Un chronique de Kristel Mourgue d’Algue
Des heures, des jours, des années à arpenter les links pour espérer perfectionner son « art » et puis insidieusement, le doute s’instille… La petite voix de Jiminy Cricket résonne, invariablement : « tu sais bien, le golf représente ce que tu fais de mieux ! ».
Mais peut-être que pour une fois, le sage petit grillon, devenu golfeur à l’occasion, se trompe… Un talent qui se révèle tôt s’allie à une passion dévorante et conduit naturellement à une vie consacrée à ce jeu magnifique. La trajectoire est toute tracée et laisse peu de place à l’incertitude. La décision s’avère difficile tant l’athlète peine à se définir en dehors de toute carrière sportive.
Un rythme effréné de compétitions jalonne l’année depuis la plus tendre enfance et puis subitement, devant l’échéance inéluctable, il devient nécessaire de mettre un terme à sa carrière. Les blessures, de plus en plus précoces et répandues, représentent les causes premières de renonciation. Certaines permettent un retour pérenne, d’autres non… Quant aux plus malicieuses, elles laissent entrevoir une issue heureuse. Armés de courage et de volonté, il ne serait question dès lors de capituler ; le calvaire commence ! L’américain, David Duval, ancien numéro un mondial en 1999 devant Tiger Woods et vainqueur du British Open en 2001, illustre cette lente agonie. Commentateur brillant sur la chaine américaine Golf Channel depuis 2015, il entretient malgré tout le « secret » espoir d’une magie retrouvée au mépris d’une dizaine de blessures. Il signa notamment en juillet dernier, avec la dignité qui le caractérise, un score de 91 (!) sur le parcours impitoyable de Portrush en Irlande du Nord lors du British Open. « Véritable cadavre ambulant » comme l’indiquait son coach anglais, David Leadbetter sur Golf Channel le 27 avril 2016, Michelle Wie, l’américaine de 29 printemps qui devait révolutionner le golf féminin, annonça en avril remiser ses clubs pour une durée indéterminée.
Malgré la démonstration de son génie stratégique lors de sa victoire au Masters d’Augusta il y a de cela cinq mois, « Big Cat »*1 demeure hanté par une dizaine d’opérations qui le poursuit. Dès lors, il se voit contraint de se concentrer sur les épreuves phares du calendrier avec un come-back prévu… fin octobre au pays du Soleil Levant.
Le matador espagnol, Severiano Ballesteros (décédé à l’âge de 54 ans), se trouva plus malheureux, en dépit de son ascension fulgurante à l’âge de 19 printemps lorsqu’il termina deuxième du British Open à Royal Birkdale en Angleterre en 1976. Prodige incontesté (87 victoires à travers le monde dont cinq Majeurs), il ne put se défaire de douleurs dorsales devenues insupportables à 33 ans. Impossible alors de swinguer librement, elles finirent par ronger la confiance du héros ibérique qui chercha inlassablement un remède auprès des plus éminents techniciens. En définitive, l’ancien commentateur américain, Johnny Miller, déclara avec pertinence: « Seve en connaît sans nul doute trop sur la technique pour bien jouer à nouveau » (Golf Digest, 27 octobre 2008).
Une perte de confiance enracinée, associée aux exigences d’une concurrence féroce peut aboutir à un effondrement psychologique. « En remontant le fairway du 18 de St Andrews, j’avais tout à coup la sensation que le rough alentour venait progressivement me dissimuler du regard de la foule » (Golf Digest, 10 août 2008). Telles furent les paroles articulées après sa partie, par le lauréat australien du British Open en 91 à St Andrews, Ian Baker-Finch. Ainsi, quatre ans plus tard sur ce même tracé, il « réussit » à éviter le double fairway de 100 mètres de large au départ du 1. Inimaginable de mémoire de caddies écossais ! Les deux saisons suivantes, il traina ses instruments sur 32 tournois sans jamais passer un cut*2. A l’instar des meilleurs, lorsqu’il gagna en 1991, les ambitions s’amplifièrent avec en particulier la recherche d’un gain en longueur. Accablé par une pression insurmontable, il rangea ses cannes au garage à 36 ans afin de conjurer la dépression.
Trop souvent inavouée, cette pathologie tapie dans l’ombre, guette les champions en méforme dont la vie d’ascète occasionne également une profonde solitude.
La célèbre journaliste américaine, Stina Sternberg, signa une magnifique tribune sur sa compatriote d’origine coréenne, Christina Kim en novembre 2012, intitulée « Les larmes d’un clown». Elle y décrivit la dépression que traversa la plus jeune joueuse à atteindre le million de dollars de gains à l’âge de vingt ans sur le LPGA*3. La pétillante Kim ne s’est en effet jamais complètement remise d’un massage sollicité en 2010 lors d’un tournoi en Malaisie qui provoqua de terribles douleurs au dos et une véritable descente aux enfers. Elle raconte notamment comment elle évita par la suite, de justesse, le suicide. D’après le psychiatre de San Diego, Michael Lardon, une demi-douzaine de vainqueurs de Majeurs aurait déjà été traitée pour cette pathologie (Geoffshackelford.com, 8 novembre 2012)…
Pour la gent féminine, le choix s’avère cornélien entre la poursuite d’un destin sportif et la volonté de fonder une famille. Bien heureuse, la suédoise Annika Sörenstam qui plannifia l’arrêt de sa trajectoire professionnelle à 38 ans avec ses deux grossesses.
De toute évidence, l’inévitable passage du temps flétrit le corps et le swing, son prolongement ! « Je ne dispose plus des outils pour combattre, l’heure est venue pour moi de me retirer ». Tels furent fin juillet, les paroles austères du quintuple vainqueur de « The Open »*4, l’américain presque septuagénaire, Tom Watson, après trois jours de bataille ardue lors du British Open Senior à Royal Lytham & St Annes en Angleterre. Seul le champion peut ressentir lorsque le temps approche de se retirer. « Je suis l’unique juge de mes propres standards » déclarait déjà en 1930, à 28 ans, l’amateur Bobby Jones, deux mois après avoir été le seul golfeur à remporter le Grand Chelem de la période pré-Masters d’Augusta*5.
Quel que soit l’âge, la compétition fait partie intégrante de l’ADN de ses inconditionnels. Elle les pousse sans cesse à se réinventer. Sans elle, ils appréhendent un vide abyssal. Certains trouvent leur rédemption ailleurs mais les irréductibles réussissent à modifier leurs aspirations. Ainsi, ils se découvrent « philosophes » et apprennent à se satisfaire de trois bons coups par partie comme le préconisait le travailleur inlassable américain, Ben Hogan (1912-1997) aux neuf victoires en Majeurs. Bref, l’aventure continue !
- *Tiger Woods
- *Lors d’une épreuve en stroke play, un certain nombre de joueurs en fonction de leur score peuvent accéder aux tours du weekend end
- *Ladies Professional Golf Association
- *Nom donné au British Open
- *Avant la création du Masters en 1934, gagner l’US Amateur, l’US Open et le British Amateur et le British Open était considéré comme remporter le Grand Chelem