Golf Planète a rencontré, entre greens et vignes, Gaëtan Mourgue d’Algue, âgé aujourd’hui de 81 ans, retiré avec sa famille dans ses terres du Bordelais, au golf du Grand Saint Émilionnais. Épaulé par son épouse Cecilia, une championne de golf au palmarès impressionnant, celui qui fut naguère 30 fois champion de France, puis un visionnaire, un entrepreneur et un homme de presse, porte un jugement toujours aussi acéré et lucide sur le monde du golf qu’il connait si bien.
Un sport, un jeu, un art de vivre
Golf Planète : Visionnaire et entrepreneur, vous avez été une grande figure du golf français et européen. Aujourd’hui, et avec le recul, comment jugez-vous votre action et quelle a été à votre avis votre contribution la plus importante ?
Gaëtan Mourgue d’Algue : La passion pour ce sport, pour ce jeu et pour cet art de vivre qu’est le golf a toujours guidé mon action. Il m’a toujours paru naturel de partager cette passion et de promouvoir ce jeu que j’affectionne tant sans en perdre ses valeurs qui en font sa beauté.
En faisant venir pour la première fois les meilleurs mondiaux en France comme Arnold Palmer, Gary Player, Severiano Ballesteros, Bernard Langer et d’autres, le Trophée Lancôme a eu un retentissement international. Il a ainsi permis de mettre en valeur les joueurs d’Europe Continentale et de créer un embryon du Tour Européen.
GP: Le Trophée Lancôme dont vous avez été l’initiateur reste encore aujourd’hui le tournoi qui a donné la plus belle image du golf en France : a-t-il été facile à monter puis à développer ? Une telle épreuve serait-elle encore possible et souhaitable actuellement ?
Gaëtan Mourgue d’Algue : Il a fallu d’abord convaincre, et notamment le président de Lancôme de l’époque. Avec mon associé Dominique Motte, guidé par l’enthousiasme et la jeunesse, nous sommes partis à l’aventure. La rencontre avec Mark McCormack, l’inventeur du marketing sportif et fondateur d’IMG, nous a permis de faire venir dès le début Arnold Palmer, le grand champion très médiatisé de l’époque, et d’établir une sorte de Masters en Europe Continentale. Bref de donner à ce tournoi une envergure mondiale.
Je pense que créer une épreuve est toujours possible. Mais recréer une épreuve sur les bases du passé serait une erreur. Le sponsor, le format du tournoi, le lieu, la présence des meilleurs, tout cela est une alchimie difficile à trouver pour qu’une telle épreuve « prenne », surtout si la période économique n’est pas porteuse.
Aujourd’hui la priorité me paraît être de soutenir et de faire grandir l’Open de France.
Arnold Palmer et Seve Ballesteros
GP: A travers cette épreuve, quel a été le joueur qui vous a le plus marqué sportivement et celui qui restera, dans votre cœur, comme la personnalité la plus attachante ?
Gaëtan Mourgue d’Algue : Sur les conseils de son oncle Ramon Sota, meilleur joueur espagnol, je suis fier d’avoir invité Severiano Ballesteros, au Trophée Lancôme 1976 alors qu’il était inconnu. Quelques semaines plus tôt, il avait toutefois terminé 2e de l’Open Britannique.
Quel génie à l’état pur ! Quelle jeunesse et quelle fougue ! Je me souviens des 4 points de retard qu’il avait sur le grand Arnold Palmer, avec lequel il partageait la partie, et seulement 9 trous à jouer au dernier tour du Lancôme 76. A 19 ans, pas du tout impressionné, il réussit alors l’exploit de faire 32 sur le retour, sans toucher un fairway, pour coiffer sur le fil son adversaire de classe mondiale. À la sortie du green du 18, sous le choc, Palmer dira alors à son agent (Mark McCormack) : « you really want to sign this guy now! ». (Je te conseille vivement de le prendre sous contrat tout de suite !).
Quant à Arnold Palmer, garde une place à part pour mon épouse et moi. Nous avons eu la chance de le côtoyer pendant de nombreuses années et de nous lier d’amitié. C’était vraiment un Monsieur et une belle personne.
GP: Le Trophée Lancôme , s’il a permis de voir évoluer les plus grands champions sur le parcours de St Nom-la-Bretèche en région parisienne, n’a jamais pu accueillir Jack Nicklaus, le golfeur le plus titré de l’Histoire du golf mondial . Est-ce un grand regret, peut-être le plus grand que vous ayez subi ? Quelles en sont les raisons ?
Gaëtan Mourgue d’Algue : Avec mon père, président du golf, nous avons eu la chance de recevoir Jack Nicklaus à Saint Nom la Bretèche pour la Canada Cup (ancêtre de la World Cup) de 1962. En duo avec Arnold Palmer, il a d’ailleurs remporté cette édition pour les États-Unis.
En revanche, nous n’avons pas eu la chance de l’accueillir par la suite au Lancôme. Le balbutiement du golf en Europe, l’importance des tournois aux USA et le fait qu’il n’était pas sous contrat avec IMG expliquent certainement son absence, qu’il est vrai je regrette.
Ce champion que nous attendons tous
GP : On peut constater que malgré les efforts, il manque en France un champion dont la constance dans les résultats entraînerait une plus grande notoriété, rejaillirait sur l’ensemble de notre sport. A quoi attribuez-vous cette faiblesse ? Ne souffre-t-on pas également d’un manque de culture sportive en général, golfique en particulier ?
Gaëtan Mourgue d’Algue : Je ne qualifierai pas cela de faiblesse compte tenu de la taille de notre pays, de la place relative du golf et du sport, et du niveau fabuleux atteint par les meilleurs mondiaux. Jean Van de Velde et Thomas Levet ont été vraiment très près de gagner un Majeur. Ils auraient pu alors devenir la « locomotive » que le golf français attend. Nous avons eu depuis des joueurs français très talentueux et capables d’excellents résultats, à l’image de Victor Dubuisson et Victor Perez.
Les efforts de la Fédération pour détecter et former les jeunes golfeurs sont importants et commencent à porter leurs fruits.
Pascal Grizot s’est beaucoup investi pour amplifier le mouvement, pour miser sur les très jeunes, pour les faire jouer sur des parcours de qualité, exigeants notamment au petit jeu, pour leur donner accès aux meilleurs pros, pour leur transmettre la rigueur et la passion, deux véritables moteurs de la réussite.
Je pense aussi à la place centrale des professeurs de golf, membres de la PGA France, qui sont les experts, qui doivent nous aider à délivrer une véritable culture sportive et golfique, et qui doivent s’inscrire dans une démarche de progrès continu, sanctionné par leurs pairs les plus expérimentés. Ces efforts importants devraient permettre de sortir ce champion que nous attendons tous, et aussi, d’améliorer le niveau général des golfeurs français.
C’est cela qui mécaniquement conduira a plus de licenciés.
GP : Si on connaît votre nom en tant que promoteur et organisateur, on sait moins que vous – et votre épouse Cecilia – aviez été classés parmi les meilleurs joueurs amateurs, vous en France et Cecilia en Suède et en France. Cela vous a-t-il aidés à réussir dans le monde du golf ?
Gaëtan Mourgue d’Algue : En fait, mon épouse a pris la nationalité française lorsque nous nous sommes mariés en 1967.
Je suis admiratif de sa longévité au plus haut niveau : elle a représenté la France dans l’équipe nationale pendant plus de 30 ans avec notamment deux titres de vice-championne du Monde par équipe ; elle a ensuite continué gagner chez les seniors aux États-Unis et en Europe. Elle a d’ailleurs un des plus beaux et des plus étoffés palmarès amateur féminin en Europe.
Pour revenir à votre question, évidemment cela m’a beaucoup aidé de connaitre les meilleurs joueurs, les grands parcours et surtout cela m’a donné une crédibilité à parler golf en Europe. J’ai pu ainsi organiser les Opens de France, de Hollande, d’Allemagne, de Belgique, d’Italie et du Portugal, sans parler de la création du Tour d’Amérique du Sud…
Nous avons convaincu Tom Doak de dessiner à St Émilion son premier parcours en Europe continentale
GP : Vous avez également, avec votre compère Dominique Motte, été le fondateur du magazine Golf européen, qui a pris la suite de « Tennis et Golf » et a longtemps été considéré comme la Bible en France et occupé une place de choix parmi les revues à l’échelon européen continental . Expliquez-nous comment a commencé cette aventure ?
Gaëtan Mourgue d’Algue : Mon succès doit beaucoup à mon association avec Dominique Motte. Tout a commencé par un coup de téléphone. C’était en 1969, Dominique était promoteur de maisons sur le Golf de Bondues. Il souhaitait faire de la publicité dans Tennis et Golf. Nous avons discuté ensemble. Il avait 2 billets pour aller voir un projet de golf en Corse. Nous sommes partis le voir ensemble, le projet n’a malheureusement pas vu le jour, mais nous avons bâti là une solide amitié.
Ensemble, nous nous sommes rendu compte qu’il manquait un magazine entièrement dédié au golf et que le golf en Europe continentale était en gestation. Nous avons alors décidé de racheter « Tennis et Golf » et de le transformer en « Golf Européen ». C’était très visionnaire pour l’époque.
GP : Vous avez signé la conception de quelques parcours, s’il y a une chose que vous pouvez regretter, ne serait-ce pas justement de n’avoir pas imaginé d’autres terrains en Europe et de par le monde ?
Gaëtan Mourgue d’Algue : Je n’ai jamais été architecte, mais plutôt ce que les Anglo-saxons appelleraient un « développeur de golf » : concept, choix de l’architecte, obtention des permis, mise en place de l’exploitation… Toujours avec Dominique Motte, je suis particulièrement fier d’avoir réalisé les parcours d’Arcangues, de Joyenval et de Limères, sans oublier les 2 parcours de Côte d’Ivoire, à Abidjan et à Yamoussoukro.
Ce qui me réjouit aujourd’hui, c’est d’avoir, avec mon fils André, réussi à convaincre, le maître architecte Tom Doak de créer le parcours du Grand Saint Emilionnais, son premier golf d’Europe continentale.
Les links comme canons de la beauté
GP : Quelle idée vous faites-vous du parcours moderne ? Vous avez notamment été un des fondateurs en 1959 du Golf de St Nom la Bretèche.Le parcours du 21ème siècle doit-il lui ressembler ou les critères ont-ils changé ?
Gaëtan Mourgue d’Algue : Le golf a beaucoup évolué depuis son apparition en Écosse il y a près de 600 ans, contrairement à l’idée reçue qui veut que cela soit une discipline conservatrice.
Les règles évoluent constamment. Les progrès de la balle et des clubs ont complètement changé la pratique et la technique au golf.
Je pense qu’un bon parcours résiste à tous ces changements.
Surtout il doit pouvoir recevoir tout type de joueurs, c’est-à-dire être capable de représenter un vrai challenge pour les meilleurs, tout en restant amusant et accessible pour les joueurs les plus modestes. C’est là où tout le génie de l’architecte doit s’exprimer.
Il y a 50 ans, l’écart de niveau entre les meilleurs et les personnes autorisées à aller sur le parcours était beaucoup plus faible que maintenant : le haut niveau a beaucoup progressé et les parcours accueillent de vrais débutants, avec juste quelques heures de golf. L’écart entre les catégories de golfeurs n’a jamais été aussi grand.
Le parcours du 21e siècle doit aussi clairement respecter la Nature et s’inscrire dans le développement durable (chemin emprunté par les parcours de golf jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale) tout en utilisant à bon escient les progrès techniques.
Je m’explique : le choix des graminées doit être judicieux pour limiter la consommation d’eau, d’engrais et de produits phyto sanitaires. Je salue cette démarche menée par la Fédération depuis de nombreuses années.
Au 21e siècle, les canons de la beauté d’un parcours seront pour moi beaucoup plus proche des parcours de bords de mer (links) que de celui des parcours manucurés et très intensifs en entretien. À Saint-Émilion nous avons pris cette voie depuis le début : nous avons relevé le défi d’utiliser 100 % d’eau de pluie pour arroser le parcours, avec un pilotage précis et économe des 800 arroseurs du parcours. Le résultat c’est un parcours qui change de couleur avec la saison et ses aléas tout en restant plaisant et jouable.
GP: Doit-on aujourd’hui revenir en arrière, avec des parcours moins longs, plus subtils, avantageant l’intelligence du jeu plus que l’aspect purement physique ?
Gaëtan Mourgue d’Algue : L’aspect athlétique et sportif du golf a beaucoup été renforcé ces 50 dernières années chez les pros, au détriment de l’adresse, de la stratégie et de la réflexion.
Je dirais qu’un bon architecte de golf ne recherche pas la longueur, il propose un défi stratégique aux golfeurs. Il s’agit de faire réfléchir les golfeurs et non pas de les épuiser physiquement. Ce type d’architecture est moins onéreuse à construire et à entretenir. C’est surtout tellement plus amusant pour le commun des golfeurs : la course à la difficulté et à la longueur est sans issue.
GP : Dans quelle catégorie placez-vous la nouvelle réalisation du Golf du Grand Saint Émilion près de Bordeaux qui a déjà recueilli de nombreuses critiques positives en France et à l’étranger? Une réalisation 100 % familiale, chose de plus en plus rare, il convient de le souligner.
Gaëtan Mourgue d’Algue : Avec le Peugeot Golf Guide et le Rolex Golf Guide, nous avons arpenté et étudié les 1000 meilleurs parcours d’Europe et du monde pendant plus de 20 ans. Nous avons été vraiment frappés et séduits par l’aspect naturel et stratégique des réalisations de Tom Doak. Ses parcours sont vraiment à part.
Le parcours du Grand Saint Émilionnais est le seul en Europe continentale de ce « maître architecte », figurant parmi les trois meilleurs architectes encore en vie dans le monde.
Le tracé s’intègre merveilleusement dans son environnement de chênes centenaires, d’ajoncs et de bruyères entourés par les vignes. La qualité de l’enchainement des trous est vraiment un de ses points forts. Il crée ainsi une expérience différente et beaucoup d’émotions pour le golfeur, jour après jour, quel que soit son niveau, ce qui est une vraie gageure.
En effet, j’ai la chance d’avoir une famille qui partage la même passion que moi et c’est tout naturellement qu’André, mon fils cadet, m’a rejoint après ses études et une expérience américaine… Il est aujourd’hui à la tête de cette vaste entreprise, épaulé par un trio féminin de haut niveau, avec mon épouse Cécilia, ma fille Kristel et son épouse Philippine. Elles participent à la réussite de ce golf hors norme et s’assurent entre autres qu’il soit toujours adapté aux femmes.
À ce propos, nous sommes très heureux de recevoir le championnat de France Jeunes Filles à la fin du mois d’octobre cette année et impatients de voir comment elles joueront le parcours.
Je reste admiratif de Tiger Woods
GP : Diriez-vous également qu’on est allé trop loin dans l’évolution du matériel ? En particulier, ne devrait-on pas avoir une balle identique pour tous les tournois professionnels, quitte à ce qu’elle porte moins loin ?
Gaëtan Mourgue d’Algue : Les balles et le matériel ont énormément progressé et c’est tant mieux pour les joueurs de golf. C’est devenu plus flatteur et amusant, notamment pour les plus jeunes et les débutants, tout comme pour les femmes et les gauchers qui ont maintenant du matériel adapté…
Le changement de balle pour les pros est inévitable et souhaitable. Seulement il doit être bien géré avec tous les enjeux financiers et d’image que cela implique. Une réduction de taille de 20 % comme le préconise Jack Nicklaus, des alvéoles moins nombreuses et moins profondes, tout cela est en cours d’évaluation. Je m’étonne qu’une réduction de la taille du trou, à ma connaissance, ne soit pas étudiée pour les pros : cela permettrait de donner plus d’importance au jeu d’adresse, au petit jeu et plus de spectacles à mon sens, sans que cela coûte cher en modifications…
GP: Le golf qui fut l’une de vos grandes passions, le reste-t-il encore et toujours ?
Gaëtan Mourgue d’Algue : Le golf c’est ma vie. J’ai commencé à l’âge de 7 ans sur le golf de Chantaco. Aujourd’hui, à 81 ans, je reste animé par cette passion et pas une semaine ne se passe sans que je ne suive les résultats amateurs et professionnels, et que je ne me rende sur notre parcours pour en suivre sa belle maturation.
GP : Que vous inspire la victoire de Bryson de Chambeau, le Monsieur XXL du Golf ? Quel est le champion en activité qui vous séduit le plus et pourquoi ?
Gaëtan Mourgue d’Algue : DeChambeau est un très grand joueur qui partage un record seul avec Tiger Woods et Jack Nicklaus : celui d’avoir remporté l’US Amateur, le NCAA (championnat universitaire US) et l’US Open. Sa victoire a été impressionnante et incontestable, bravo ! Il a repoussé les limites physiques du golfeur avec sa technique révolutionnaire.
Le temps dira si c’est la bonne voie à emprunter notamment sur sa modification physique. Je suis curieux de voir comment il abordera le test des parcours de bord de mer, exposé au vent, aux rebonds aléatoires, aux bunkers pièges, aux greens très animés… En revanche, j’apprécie beaucoup moins le temps qu’il met à réfléchir et à jouer sur le parcours. Là c’est sûr, ce n’est pas la voie à suivre.
Je reste admiratif de Tiger Woods, cet immense champion, qui a tant apporté au golf depuis 25 ans et qui l’a fait tant progresser, à la fois physiquement, techniquement et mentalement.
Toute une nouvelle génération inspirée par lui est en train d’éclore. Quel beau spectacle !
(recueilli par Denis Machenaud)