Vendredi 9 avril, le Masters se rappellera que Seve Ballesteros est né ce jour-là, il y a 64 ans. Cette année, le souvenir est teinté de gris, terni par le 10e anniversaire de son décès.
Habillé de la précieuse veste verte enfilée en 1980 et 1983, le champion espagnol était comme chez lui à l’Augusta National, assez disert quand on lui parlait de ses succès, voire de ceux manqués d’un rien, mais renfrogné à l’évocation de ses galères, celle de la 45e édition en 2000 frisant l’inimaginable.
Entre Ibères
Avant de fêter ses 43 bougies lors du dernier tour, Seve, double vainqueur du tournoi, était du dîner traditionnel offert par le détenteur du titre en l’honneur des vainqueurs passés Aaron, Goalby, Palmer, Brewer, Player, Nelson ou Snead, des légendes vivantes!
Eux, ils avaient renoncé à toute prétention au titre depuis longtemps, faisant le voyage d’Augusta comme d’autres vont à Lourdes, histoire de rappeler les coups qui les avaient sanctifiés ou dépoussiérer leur veste verte, interdite de sortie de club selon les règles surannées de l’Augusta National.
Cette année-là, c’est Olazàbal qui rinçait à l’espagnole façon Rioja. En douce, pas trop aventureux, Woods et les seniors se faisaient servir un hamburger…
Humilié par le parcours
Mais, à 43 ans, Ballesteros ne venait pas à Augusta pour jouer les potiches. Il brûlait encore du feu sacré qui le consumait sans qu’il ne le sache vraiment. L’homme avait le talent du golf dans les gênes, tout en instinct, un problème dès que la machine grippait un peu.
En sortant du 2e tour de ce Masters 2000 avec un affreux 81 qui faisait bien pâle face au 65 de Duval, Seve avait-t-il connu la pire humiliation de sa vie pourtant déjà bien jalonnée de hauts et de bas ?
La veille déjà, il avait signé le même score et au total, son 162 le rejetait à la dernière place du classement. Une position peu en rapport avec son statut et partagée avec Brewer et Palmer, les vieilles tiges.
Mais où était le virtuose capable d’inventer le coup génial, de se sortir de la situation la plus inextricable, semant les plaques-souvenir posées à Royal Lytham ou à Crans-Montana?
Allait-on maintenant en poser une à Augusta après ses quadruples bogeys épouvantables aux 13 et 15 que d’autres gobent en quatre ou trois coups?
Des signes avant-coureurs
A l’entraînement, il avait partagé un parcours de reconnaissance avec Olazàbal, Jiménez et Van de Velde. Un désastre. Drives dans les arbres, approches dans les bunkers, putts hors ligne. Ses copains ne savaient plus où se mettre. Et Miguel Angel de s’approcher pour tenter un conseil. “Alors, je suis ridicule” s’entendait-il répondre, avant un définitif “A ce jeu, les pros ne sont jamais ridicules”.
On souhaitait alors un avis de sa part plus long que trois mots. Enfin… «Ma motivation est nulle. Ma confiance aussi. Il n’y a pas une chose qui déconne. Il y en a des paquets. Tout dans le golf se ligue contre moi. Je dois absolument oublier cette semaine d’avril pour positiver».
Point de technique, de l’instinct
Connaissant le bonhomme et ses pépins dorsaux, on était loin de la coupe aux lèvres. Imaginer un seul instant qu’il pouvait gommer ce + 18 d’Augusta d’un revers dédaigneux, alors qu’il traînait une grosse casserole au plan physique avec son dos brisé et un moral à mille questions sans réponse?
Comment croire que le 590e joueur mondial pourrait revenir au premier rang d’une façon permanente alors qu’il avait appris son golf d’instinct sans la moindre solide base technique de référence ?
Cela explique sans doute sa perte. Une chute déjà entamée en 1986, lorsqu’il fit cadeau du titre à Jack Nicklaus pour avoir immergé sa balle au 15, le dernier par 5 d’Augusta National qui a noyé beaucoup d’autres espoirs depuis.
Coachs et gourous à la rescousse
Ne trouvant pas seul les parades à ses maux, il écoutait n’importe qui, de Leadbetter à Rotella (psy), de Harmon à O’Grady, le plus fou des gourous, sans les entendre plus que quelques semaines. C’était comme apprendre à un singe à manger avec une fourchette quand il se débrouille très bien avec ses seuls doigts.
La fin d’une époque s’annonçait et Seve le sentait. Sortir de ses cendres à 43 ans, il fallait se pincer pour que cela arrive quoique, la classe et l’orgueil n’étant pas des qualités que le temps efface, il pouvait bien finir par renaître au terme de l’une de ces prouesses dont il avait été si coutumier.
Les traits du vaincu
Rejeté par ce Masters 2000, le champion espagnol n’était plus qu’une grimace telle que personne n’osait l’approcher pour lui glisser un mot, même doux. Au grill du club-house, on regardait le plafond. De toutes façons, Seve était ailleurs, coincé sur lui-même, ruminant mille injures intraduisibles entre des pensées noircies, jusqu’à…
Jusqu’à ce qu’elle s’approche en courant, levant les mains pour qu’il la prenne dans ses bras en le serrant fort, fort…
Cut… Scores… Honte… Rage? Pfuit! Le temps d’un clin d’œil, exit le pro esquinté, l’homme était de retour et n’en avait plus que pour les yeux plissés d’une petite Carmen toute à la joie d’avoir enfin retrouvé son papa au sourire de conquistador à nouveau affiché. Le golf pouvait s’arrêter de tourner.
Philippe P. Hermann
Golfers & Co
Photo JEFF HAYNES / AFP
Photo Harry How / Getty Images North America / Getty Images via AFP