La rédaction de Golf Planète a interrogé la quasi-totalité des joueurs français évoluant cette saison sur le DP World Tour, avec en prime Paul Barjon, seul tricolore membre du PGA Tour. L’objet du dossier ? Avoir leur avis sur l’émergence de ligues dissidentes soutenues par l’Arabie saoudite et qui défraie la chronique depuis plusieurs semaines maintenant, leur sentiment sur les positions prises par les circuits historiques pour défendre leurs intérêts, et leur désir ou pas de jouer ses nouveaux tournois hyper lucratifs.
Par François SCIMECA et Lionel VELLA
Il y a quelques jours, Mike Lorenzo-Vera, l’un des français du Tour européen, n’avait pas mâché ses mots dans un article paru sur le site irlandais independent.ie, appelant clairement au boycott pur et simple des LIV Golf Invitational Series, évoquant notamment la position de l’Arabie saoudite sur la question des droits de l’homme, le manque de reconnaissance de joueurs qu’il admire comme Sergio Garcia ou Lee Westwood, attirés par les prize-money indécents.
Sur un peu plus d’une quinzaine de golfeurs français qui officient de façon régulière cette saison sur le DP World Tour mais aussi sur le PGA Tour – pour Paul Barjon – quatorze ont été contactés afin d’évoquer ce sujet très brûlant. Soutenue par le Royaume d’Arabie saoudite via son Fonds d’investissement public (PIF) à coups de millions de dollars, cette Saudi Golf League dont le Directeur général n’est autre que l’ancien numéro 1 mondial, Greg Norman, s’élancera en effet du 9 au 11 juin au Centurion Club, près de Londres.
Huit tournois dont la dotation donne la vertige (25 millions de dollars chacun) et qui se joueront en grande majorité aux Etats-Unis mais aussi en Thaïlande et en Arabie saoudite. Un très gros caillou dans la chaussure (commune) du PGA Tour et du DP World Tour, qui se sont d’ailleurs empressés de ne donner aucune « autorisation » aux joueurs évoluant sur leur circuit à prendre part à l’un de ces tournois au format inédit : trois tours sans cut en individuel et par équipes.
Grégory Havret (45 ans, 546 tournois sur le Tour européen) a fait une demande
« Depuis que je suis sur le Tour, on a toujours eu à demander l’autorisation donc ça ne me choque pas. Le sujet sur l’origine des fonds est assez hypocrite puisqu’il y a eu deux Saudi International auparavant sanctionnés par l’European Tour (désormais sur l’Asian Tour) avec des apparence fees colossaux (…) Aujourd’hui, le PGA Tour et le DP World Tour Tour s’inquiètent de l’origine des fonds simplement parce que ça les arrange bien afin de protéger leurs circuits. Je trouve ça paradoxal de les voir s’en offusquer aujourd’hui alors que ça ne les a pas gênés à l’époque (…) Dans ce cas, on peut aussi discuter des fonds du Qatar, de la Chine, des pays où l’on joue depuis 20 ans. »
Je suis prêt à m’exposer au risque. Si c’était le début de ma carrière, je me poserai la question différemment.
Grégory Havret
« Ce n’est pas aux joueurs de décider si tel ou tel tournoi est vertueux. C’est les culpabiliser et leur faire peur avec des sanctions s’ils ne prennent pas la bonne décision (…) Je suis attaché au circuit européen mais je ne peux pas dire que j’ai toujours reçu un grand soutien de leur part. J’ai toujours eu à gagner mon droit de jeu et quand j’ai fait des demandes d’invitations, rares sont les fois où j’ai reçu des réponses positives (…) Concernant le tournoi de Londres, oui j’ai fait une demande. Je n’ai pas eu de réponse pour le moment. »
« Je l’ai faite parce que c’est mon métier, je vis du golf depuis toujours. Gagner de l’argent en jouant des tournois, c’est ce que je fais et quand on voit les sommes d’argent proposées, on pense à mettre sa famille à l’abri. »
« Je suis prêt à m’exposer au risque. Si c’était le début de ma carrière, je me poserai la question différemment. Si la réponse arrive et qu’elle est positive, il sera temps peut-être de penser aux conséquences. Mais j’ai 45 ans. Je n’ai plus beaucoup de possibilités de jouer. »
Raphaël Jacquelin (48 ans, 667 tournois sur le Tour européen) s’interroge
« Je trouve dommage que les tours, avec tout cet argent, ne puissent pas s’entendre pour faire un circuit mondial qui réunirait tous les meilleurs joueurs du monde et donc, toutes les télés. Cela aurait un sens. La guerre entre les circuits, c’est dommage. »
« Que le Tour Européen ne donne pas de libération aux joueurs, cela ne me surprend pas plus que ça. La question se pose quant à la légalité des sanctions. Ça risque d’être un long combat juridique entre avocats (…) Je n’ai pas fait de demande mais pourquoi pas ? Si ça ne compte pour aucun ranking, c’est un circuit exhibition pour faire du spectacle. »
Jean-Baptiste Gonnet (39 ans, 220 tournois sur le Tour européen), pas intéressé
« Je n’ai pas fait de demande car, compte-tenu de mon statut, cela ne vaut pas la peine. D’après un joueur qui a demandé à son agent de se renseigner, les critères sont assez élevés. Il faut être double joueur de Ryder Cup, ou vainqueur de majeur. D’après ce que je sais, ils demandent de s’engager pour 3 ans et je pense que les possibles sanctions des circuits historiques sont, d’un point de vue juridique, assez “borderline”. »
« Je comprends les joueurs comme Lee Westwood ou Sergio Garcia qui sont plus sur la fin de carrière que sur le début. C’est leur métier et quand tu sais que tu peux gagner 8 fois dans l’année plus de 150 000 dollars en finissant dernier, tu ne te poses pas trop la question. C’est la même démarche qu’un joueur de foot qui signe dans un club du Moyen-Orient en fin de carrière. D’un point de vue financier, je comprends. D’un point de vue sportif, cela n’a aucun intérêt. C’est du cirque, un show. La question que je me pose c’est pourquoi les Saoudiens font-ils ça ? »
Benjamin Hébert (35 ans, 242 tournois sur le Tour européen) a lui aussi fait une demande
« Je trouve qu’il y a beaucoup d’argent mis sur la table, avec des sommes hallucinantes pour récupérer des joueurs comme DeChambeau par exemple (120 millions de dollars). Cela ne me pose aucun problème qu’un nouveau tour se créé et qu’il fasse concurrence au PGA Tour et au DP World Tour. Mais il y a des façons de le faire. Je ne pense pas que de s’immiscer dans le monde du golf à coups de centaines de millions de dollars soit la meilleure des solutions. Pour moi, je trouve ça un peu choquant. »
« Ceci dit, il y a d’autres sports qui l’ont fait avec ces pays du Golfe comme la Formule 1 ou le Football. Quand le PSG via le Qatar achète Kylian Mbappé pour 200 millions, personne ne crie au scandale. En revanche, quand la Saudi League veut mettre le paquet pour DeChambeau, c’est scandaleux. Je ne trouve pas ça normal que pour certains sports, ça passe, et pas pour d’autres. Ce qui me gêne le plus, c’est que le PGA Tour ou le DP World Tour interdisent aux joueurs d’aller sur ce circuit (LIV Golf Invitational Series). Ils privent leurs joueurs d’une certaine liberté. »
J’espère me tromper mais je trouve que le DP World Tour est en déclin, en termes de champ de joueurs mais aussi de dotations. Trouver une entente avec eux (les Saoudiens) auraient permis de faire revenir les big stars en Europe.
Benjamin Hébert
« On n’est pas salarié de ces circuits. Certes, ils nous font gagner notre vie, on est très heureux de faire partie de ces mêmes circuits. Mais pour moi, c’est gagnant-gagnant. Là, ils sont en train de casser notre liberté en nous menaçant d’être banni des circuits dans lesquels on évolue. C’est ça que je trouve le plus scandaleux. Après, il est évident que l’Arabie saoudite est un pays controversé. Mais il existe et on ne peut pas faire sans. Ce qui est un peu triste, c’est que le Tour européen n’est pas arrivé à trouver un accord avec eux. Cela nous aurait permis sur du long terme d’avoir des tournois bien dotés. »
« J’espère me tromper mais je trouve que le DP World Tour est en déclin, en termes de champ de joueurs mais aussi de dotations. Trouver une entente avec eux (les Saoudiens) auraient permis de faire revenir les big stars en Europe. Eux, ils ne se déplacent plus pour deux millions. Sur le PGA Tour, c’est 8 millions de dollars au minimum et les Majeurs, ça oscille entre 12 et 15 millions. »
« Après, ces LIV Golf Invitational Series, ça reste encore un peu flou pour moi. Tant que le premier tee ne se sera pas élancé au premier départ à Londres début juin, j’attends de voir. Même si j’ai fait une demande pour ce tournoi car il y a de fortes chances que je ne rentre pas avec ma catégorie au Scandinavian Mixed (9-12 juin). Il y aura au départ 70 pros issus du DP World Tour et 70 joueuses du Ladies European Tour (LET). Cela risque d’être un peu serré. Dans l’absolu, je n’aurais même pas à demander une autorisation au Tour européen pour jouer le tournoi à Londres car ils t’interdisent d’entrer dans ces tournois si en face tu as la possibilité d’entrer dans le champ de leur propre tournoi. En revanche, il faut que la Saudi League t’accepte au sein du champ qui ne regroupe que 48 joueurs… Mais pour moi c’est trop tard. On s’y est pris la semaine passée. Et puis aujourd’hui, quand t’es 500e mondial, ça ne les intéresse pas trop. »
Julien Brun (30 ans, 18 tournois sur le Tour européen) vise surtout le PGA Tour
« Ma position est liée au fait que je viens d’arriver sur le DP World Tour. C’est tout nouveau pour moi. Ce qui me donne envie aujourd’hui, c’est de jouer sur le PGA Tour, jouer des tournois historiques. D’un autre côté, je trouve ça super d’avoir des options, d’avoir un nouveau tour avec des moyens aussi importants. Cela donne envie. »
« Les polémiques autour de l’origine des fonds, c’est selon moi un autre sujet. Il y a beaucoup de tournois pour lesquels la question de l’origine de l’argent peut aussi poser question. Mais d’un point de vue joueur, la concurrence est bénéfique. C’est sain. »
« Le PGA Tour et le DP World Tour doivent améliorer leur produit pour rester attractifs. Cela profite aux joueurs. D’ailleurs, le PGA Tour a bien fait évoluer ses tournois ces dernières années. Les dotations sont de plus en plus en importantes. »
Ma carrière sur le DP World Tour débute et je n’ai pas envie de la mettre en péril.
Julien Brun
« Personnellement, je n’ai pas fait de demande de libération pour le tournoi de Londres. Je viens d’arriver, il y a peu de visibilité sur ces tournois. Vont-ils vraiment avoir lieu ? Quelles sont les sanctions ? Ma carrière sur le DP World Tour débute et je n’ai pas envie de la mettre en péril. »
« En revanche, il y a deux choses que je ne trouve pas normal. La première, c’est que les circuits ne donnent pas l’autorisation, en brandissant un risque de sanctions. La deuxième, c’est que je pense qu’en tant que joueur, on devrait pouvoir jouer où bon nous semble. En ne jouant pas sur notre circuit d’appartenance, on prend déjà le risque de ne pas marquer de points. »
Paul Barjon (29 ans, 25 tournois sur le PGA Tour) n’a pas reçu d’invitation
« Je n’ai pas fait de demande auprès du PGA Tour vu que je n’ai pas reçu d’invitation du LIV. Je pense sincèrement que cela dépend vraiment de la situation de chacun. Si je n’avais aucune catégorie ou aucune possibilité de jouer des tournois et que cette opportunité se présentait, j’y réfléchirais. Concernant les circuits, je ne suis pas vraiment sûr de la légalité de leur décision : interdire les joueurs de jouer et les sanctionner. Cela va être intéressant de voir de quelle manière ils comptent les sanctionner et quels droits ils disposent contre les joueurs. »
Joël Stalter (29 ans, 90 tournois sur le Tour européen), pour des tournois plus courts
« Mike, qui est un type fantastique et que je respecte beaucoup, est quelqu’un d’entier. Son avis est assez franc et prononcé. C’est aussi un sujet un peu sensible et je n’ai pas vraiment les informations pour exprimer une opinion bien arrêtée. En plus, cela ne me concerne pas vraiment car je ne suis pas dans la catégorie des joueurs susceptibles d’y jouer. Je regarde donc ça de loin. »
Cette Ligue va apporter du changement dans les tournois, je l’espère en tout cas. Moi, je suis plutôt pour des tournois avec moins de journées. Par exemple un tournoi sur trois jours avec un cut à chaque tour…
Joël Stalter
« Après, cette Ligue vient un peu rebattre les cartes dans le monde du golf. Si ça peut apporter du renouveau dans notre sport, je dis pourquoi pas ? Ne serait-ce que la formule que je trouve pas mal. Trois jours, sans cut. Quatre jours, c’est trop long pour moi (…) Cette Ligue va apporter du changement dans les tournois, je l’espère en tout cas. Moi, je suis plutôt pour des tournois avec moins de journées. Par exemple un tournoi sur trois jours avec un cut à chaque tour… »
« Les vendredis, se retrouver avec 156 joueurs et jouer son tour en six heures et finir sa journée à 20h30, je trouve ça parfois ridicule. Surtout que dès les dix-huit premiers trous joués, il y a déjà un quart du champ qui n’a plus aucune chance de jouer le week-end (…) C’est peut-être une nouvelle ère qui est en train de poindre à l’horizon. Avec un PGA Tour et un DP World Tour qui vont devoir se remettre en question. »
Ils n’ont pas d’avis sur la question
Antoine Rozner (57 tournois sur le Tour européen) : « Cela ne me concerne pas du tout ! C’est un sujet assez bouillant, donc je préfère ne pas m’exprimer. »
Julien Guerrier (165 tournois sur le Tour européen) : « Désolé, je ne souhaite pas me prononcer sur ce sujet. »
Matthieu Pavon (143 tournois sur le Tour européen) : « Je n’ai aucun avis. De toute façon, je ne suis pas sélectionné pour ce genre d’épreuve. Je m’exprimerai si jamais cela est le cas. Mais honnêtement, je ne me positionne pas ! »
Il a été très heureux de prendre part au Saudi International ces dernières années mais il va continuer à évoluer sur le DP World Tour et lui apporter tout son soutien.
Joe Shuchat, agent de Victor Perez
Romain Langasque (121 tournois sur le Tour européen) : « C’est un sujet où il y a trop de critiques et trop de mauvaises choses qui sont dites. Donc, je préfère ne pas m’exprimer. »
Victor Perez (75 tournois sur le Tour européen), par la voix de son agent, Joe Shuchat : « Victor n’a pour le moment aucune intention de jouer sur les LIV Series et n’a fait aucune demande pour participer à l’un des tournois au programme. Il a été très heureux de prendre part au Saudi International ces dernières années mais il va continuer à évoluer sur le DP World Tour et lui apporter tout son soutien. »
Victor Dubuisson réfléchirait à jouer l’un des tournois des LIV Series
Adrien Saddier (135 tournois sur le Tour européen) : « Honnêtement, je n ai pas de réel avis sur ce sujet. Je pense que chacun est libre de jouer où il le souhaite. S’ils pensent que l’herbe est plus verte ailleurs, ça fera plus de place pour nous sur les tournois du DP World Tour ou du PGA Tour. »
Frédéric Lacroix (15 tournois sur le Tour européen) : « Je ne m’exprimerai pas sur ce sujet. Désolé ! »
Victor Dubuisson (201 tournois sur le Tour européen). Selon nos informations, le Cannois, vainqueur de la Ryder Cup 2014 et du Turkish Airlines Open 2013 et 2015, réfléchirait à jouer l’un des tournois des LIV Golf Invitational Series. Peut-être dès Londres au début du mois de juin…
NB : Robin Roussel et Alexander Levy n’ont pas répondu à nos sollicitations.