Le tournoi BMW de Wentworth dans la banlieue chic de Londres aura, cette semaine, une saveur particulière. Outre le débat sportif sur le parcours d’Harry Colt, c’est dans les vestiaires et non dans les salons feutrés que l’actualité devrait prendre place. Pour la première – et la dernière fois ? -, des joueurs du LIV Golf, 18 au total, disputeront un tournoi avec les champions des circuits PGA Tour et DPW Tour.
Une situation étrange, tendue, aux conséquences imprévues qui pourrait donner lieu à des règlements de compte et à un virage définitif dans le développement du golf professionnel mondial. McIlroy qui « déteste le LIV » n’a pas mâché ses mots… au moment où beaucoup de ses collègues attirés par l’éclat de l’argent saoudien craquent les uns après les autres.
D’autres faits concernant évolution des règles ou le respect de normes environnementales confirment une révolution en cours où il est difficile d’imaginer les vainqueurs de demain.
Un fait est certain : une guerre est ouverte et il est regrettable que les instances concernées n’aient pas eu l’intelligence de se mettre autour d’une table pour établir le meilleur plan de développement du golf mondial, professionnel et amateur. Les amoureux de ce sport universel et multiséculaire, ne peuvent que le regretter.
Nous avons demandé à deux grands experts du golf français et européen, Bernard Pascassio et Ivan Morris, de s’exprimer alors que Wentworth ouvrent ses portes. Golf Planète publie aujourd’hui leurs tribunes, une petite pierre pour préparer demain. RdM
Le jeu de golf et le monde en 2022 ou « Ceux qui me connaissent ne seront pas étonnés »
Bernard Pascassio
Passionné du jeu, je regardais à la télévision les meilleurs joueurs du monde s’affronter dans le tournoi final de la FedEx Cup (East Lake Golf Club, 25 – 28 août 2022). Outre l’immense plaisir d’assister à ce qu’il y a de mieux aujourd’hui en termes de jeu et de joueurs, j’ai été frappé – et scandalisé – par l’intrusion de la Règle locale en usage pour les amateurs, l’hiver dans leur club : « On place la balle ». Ceux qui me connaissent ne seront pas étonnés.
Une règle idiote
Cette règle me semble totalement risible, idiote même, pour des pros comme McIlroy ou Scheffler. Fût-elle limitée aux deux premiers tours, elle reste fondamentalement inutile dans une compétition professionnelle de niveau mondial.
Cette pratique indigne enlève à ce sport qui, ne l’oublions jamais, reste un jeu (« game »), une bonne partie de son intérêt, profondément lié à la confrontation personnelle et intime du joueur avec les impondérables extérieurs nés de la fantaisie sans borne de Dame Nature : vent, pluie, soleil, rebond inattendu, température trop basse ou trop haute, etc., etc.
L’arrosage excessif
Et il en va de même pour l’arrosage excessif de nos grands golfs modernes. Les balles ne roulent plus, même en plein été. Cela ne gêne guère les pros qui maîtrisent leurs clubs et leurs coups, mais cela prive les amateurs, même les bons handicaps, de ce « golf d’été » qui les rend un peu plus fiers de leur jeu et de ces nouveaux clubs toujours plus performants. Le golf est et reste un jeu, inventé par des bergers écossais qui, pour passer le temps, lançaient la balle sur la lande tondue par leurs moutons et jouaient l’apéro au plus adroit, bien souvent dans le vent et la pluie, courants dans ces contrées.
J’aime les links
Personnellement, c’est pour cela que j’aime les links : la nature y joue, encore, un rôle important et, qu’on place la balle ou pas, que le terrain soit sec ou humide, ce sont toujours les meilleurs qui s’en sortent. L’excès de sophistication, dans les matériels comme dans la conception des parcours, nous prive de ces hasards (en anglais dans les Règles de golf, le mot « hazard » vaut pour obstacle) qui font le sel du jeu, et du match entre joueurs. Mais peut-être bien que Dame Nature, avec les bouleversements climatiques en cours partout dans le monde, viendra régler, au moins pour un temps, cette question de l’arrosage excessif des parcours de golf !
Les champions aujourd’hui viennent de tous les coins du monde. Je suis très malheureux que nous n’ayons pas trouvé un homme du calibre de Philippe Chatrier pour instaurer un circuit mondial comme ce grand Monsieur a su le faire pour le tennis en son temps.
Deux remarques générales
À propos de golf mondial, il semble que la naissance du LIV Golf, sous la houlette de l’immense champion que fut Greg Norman, génère de sérieuses difficultés chez les pros. Je ne ferai aucun commentaire sur le fond car je n’ai pas une connaissance suffisante du dossier mais je formulerai deux remarques générales et de bon sens.
1) Il est profondément regrettable que toutes ces personnes riches et intelligentes qui gèrent les fonds importants générés par le jeu de golf dans le monde n’aient pas réussi à se réunir pour discuter des conditions de mise en place d’un circuit mondial. Et avec la volonté de parvenir à un accord général qui satisfasse tous et toutes. Car les champions aujourd’hui viennent de tous les coins du monde. Je suis très malheureux que nous n’ayons pas trouvé un homme du calibre de Philippe Chatrier pour instaurer un circuit mondial comme ce grand Monsieur a su le faire pour le tennis en son temps.
2) Cette séparation en deux « tribus » des meilleurs pros mondiaux va entraîner des dommages collatéraux importants et provoquer des blessures qui nous diviseront pour des années. Qu’on songe simplement au renvoi du capitaine de l’équipe européenne de Ryder Cup ! Quelle valeur aura désormais cette rencontre, privée de quelques-uns des meilleurs ?
Revenir aux fondamentaux
S’il est encore temps, revenons aux réalités « réelles », à ce qui a fait du jeu de golf cet exercice profondément humain et passionnant qu’il était encore il n’y a pas si longtemps et qui ont fait sa réussite dans de nombreux pays. Revenons aux fondamentaux et, si nécessaire, oublions parfois le pouvoir de l’argent et l’inhumanité de la technique. Merci d’avance, Saint Andrews !
Bernard Pascassio
Les dérives du golf professionnel au carrefour de Wentworth
par Ivan Morris
Depuis son ouverture en 1926, le parcours West conçu par Harry Colt à Wentworth près de Londres est réputé pour sa difficulté. Pendant la seconde guerre mondiale, lorsque des prisonniers de guerre allemands y ont été amenés pour nettoyer la végétation qui avait envahi les six derniers trous, le parcours avait été surnommé à juste titre The Burma Road.
Un sport de combat…
Aujourd’hui, en 2022, c’est une autre jungle qui a envahi Wentworth si on en croit les commentaires qu’une récente guerre du golf a engendrés. Les tensions sont telles que certains golfeurs semblent vouloir en venir aux mains, se contentant pour l’instant de s’envoyer des piques verbales souvent violentes. Le golf pro, sport de combat, est assurément à un carrefour.
Après avoir remporté son troisième PGA Tour Championship à East Lake dimanche dernier, Rory McIlroy n’a pas caché ses sentiments : « Je déteste le LIV Golf. Je le déteste vraiment. Je ne sais pas comment je vais supporter de jouer côte à côte avec les dix-huit golfeurs LIV inscrits à ce tournoi BMW. Si vous croyez en quelque chose, vous devez l’exprimer. Je déteste ce que LIV Golf fait au jeu de golf. Cela ne me convient pas du tout ».
On imagine alors les échanges dans les vestiaires, tendus et semés de noms d’oiseaux ! S’attendre à ce que cela débouche sur un affrontement physique est une bonne raison de ne pas rater une minute du tournoi à la télévision !
Je ne blâme pas les joueurs du LIV mais…
À titre personnel, je ne blâme pas les golfeurs qui, en fin de carrière, rejoignent le LIV. Après avoir fait de leur mieux, ils sont prêts à courir le risque de mettre fin à leur carrière sur une note amère qui peut leur permettre de recevoir le plus gros chèque jamais reçu durant cette carrière. Alors, laissons-les partir ! Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi ils veulent toujours continuer à jouer là où ils ne sont plus ni attendus ni autorisés : cela entraîne des querelles publiques inutiles. Ils ont pris une décision : qu’ils vivent avec !
Greg Norman, lui, savait depuis longtemps qu’il perdait son temps à tenter de négocier avec le PGA Tour. Aussi peu habitués que nous soyons à considérer le golf professionnel comme une industrie, c’est pourtant ce qu’il est : une grande entreprise qui grossit davantage chaque année. Derrière des chiffres énormes, se cachent des partenariats soigneusement établies avec de grandes entreprises sponsors de tournois, des organisations caritatives qui partagent les revenus financiers, des réseaux de télévision qui paient des millions de dollars pour les droits de diffusion etc. C’est dans ce contexte qu’il est interdit, pour tout membre du PGA Tour de jouer un tournoi non-PGA sans autorisation préalable. Sans cette règle stricte, le PGA Tour aurait déjà pu être déjà balayé par le tsunami financier qui porte le LIV.
Clarté et transparence requises
Eamon Lynch, chroniqueur de Golfweek, exprime la situation mieux que quiconque : « Le commissaire Monahan doit empêcher le PGA Tour de soudain devenir LIV light, un sous-LIV, l’élite des joueurs étant invités à jouer des tournois sur trois jours, en shot gun et sans cut. Le Tour ne peut pas se permettre de perdre la partie… Dans ses nouvelles annonces, le PGA a affirmé avoir suffisamment d’argent pour garantir aux joueurs un nombre satisfaisant de tournois et de dotations. Reste à mieux comprendre le programme d’impact sur les joueurs (PIP) qui selon nos informations, représente une somme de 100 millions d’euros destinés aux 10 meilleurs joueurs de l’année. Une façon de contrer les propositions du LIV. Un peu de clarté sera nécessaire, à partir d’un classement mensuel, par exemple. Il conviendra d’ailleurs de ne pas s’arrêter là quand il s’agit de transparence. Il faudra abandonner la culture enracinée du secret et être ferme sur les questions disciplinaires. »
Je ne suis pas un fan du LIV Golf. Je ne l’ai jamais regardé. Mais je ne suis pas non plus un fan du PGA Tour et de son monopole économique tyrannique. Par-dessus tout, je déteste les arrangements financiers type PIP et l’organisation de tournois destinés à favoriser quelques privilégiés. Ce n’est pas la méritocratie que doit être le golf professionnel.
Si le LIV intelligent..
Si le LIV était vraiment intelligent et voulait vraiment être à la hauteur de son propre slogan : « Dynamiser le jeu de golf », il devrait s’installer dans le long terme Et ainsi envisager d’investir une partie de ses millions dans des tournées mondiales de deuxième et troisième, sans parler de financement d’académies d’enseignement et d’infrastructures de jeu destinées au très grand public. Mais ceci n’arrivera pas : car cette vision ne fait pas partie de l’ADN de Greg Norman et de ses banquiers.
Un jeu géré par le R&A
Si suffisamment de joueurs s’emparent de l’argent saoudien, comment le PGA Tour survivra-t-il à l’hémorragie ? Les circuits américains et européens n’ont d’autre choix que de rester fermes. Le tournoi BMW à Wentworth sera peut-être la dernière occasion où nous verrons des membres du LIV Golf et des joueurs du DPW et du PGA participer au même tournoi : bref 18 « méchants » contre « les gentils ». C’est un choc qui pourrait causer d’énormes dégâts et avoir des conséquences imprévues entre deux groupes qui s’occupent de golf, un jeu géré par le Royal&Ancient de manière traditionnelle, policée et élégante.
Ivan Morris, journaliste et écrivain irlandais
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