Exemple typique du parkland à l’américaine, Augusta a pourtant été conçu en hommage aux… links ! Considéré comme un must architectural, il est le résultat de changements constants, la plupart mineurs, opérés au cours des décennies par une multitude d’architectes, de champions et même d’un président omnipotent qui fut à l’origine de la pire transformation du célèbre parcours.
Par Sébastien Brochu
Pour de nombreux golfeurs, le parcours de golf est considéré comme une oeuvre immobile créée par un seul homme. Or même les plus célèbres ont subi l’évolution du temps et du jeu – le Old Course de Saint Andrews en tête – et il est devenu bien difficile d’attribuer la seule paternité d’un tracé à son créateur. Le fameux parcours de l’Augusta National, théâtre du Masters depuis 1934, n’échappe pas à la règle. Il en est l’une des illustrations les… moins flagrantes, le tracé restant inchangé à environ 90 %.
C’était mieux avant ?
La forêt de pins, les massifs de fleurs, le sable blanc des bunkers et les greens manucurés d’Augusta font partie de ses signatures mythiques au point qu’elles donnent l’impression d’avoir toujours été présentes. Pourtant, à son ouverture en 1933, peu d’arbres entouraient les trous, les fairways étaient beaucoup plus larges, le rough était absent, le sable normal et pas si omniprésent, les greens différents. On ne sait si en voyant le résultat d’aujourd’hui, l’architecte Alister MacKenzie se retournerait dans sa tombe, qu’il a hélas trop vite rejointe en 1934, mais son ouvrage a bien changé de l’intérieur !
Des changements actés par Bobby Jones
L’oeuvre n’a d’ailleurs pas attendu l’épreuve du temps puisque l’aller et le retour furent rapidement inversés afin que les trous qui formeront plus tard l’Amen Corner, ne soient pas victimes du possible gel matinal qui pouvait ralentir les premières parties.
Au cours des années successives, les aménagements étaient plutôt considérés comme des finitions, sous l’oeil de l’autre créateur, le légendaire Bobby Jones. A l’issue des premières éditions du Masters, Jones a tenu compte des avis de plusieurs champions tout en constatant leur facilité à scorer sur certains trous. Il a initié ainsi la principale démarche du club, celle de tenir tête aux exploits des meilleurs golfeurs qu’ils soient aidés par leur talent ou par la technologie de leur matériel.
Gagner, gagner et encore gagner en distance
Depuis sa création jusqu’à maintenant, le club s’est lancé dans une vaste course à la distance des trous incarnée notamment par l’architecte Tom Fazio qui, face à l’émergence des longs frappeurs tels que Tiger Woods, n’a cessé de faire reculer les départs depuis le début des années 2000. Et, à coups de rachats de terrain, cette tendance ne semble pas prête de s’achever comme l’indiquent les derniers changements en date, tels le par 5 du 13 rallongé de 32 mètres.
Here’s a look from the new tee box at the 13th hole at Augusta National. Quite a change! pic.twitter.com/4yO5tnXZqd
— Rock Bottom Golf (@rockbottomgolf) March 31, 2023
La révolution des bunkers
Autre évolution majeure : les bunkers. Si leur aspect blanc immaculé ne date que du milieu des années 1950, ils ont surtout été déplacés, bouchés ou rajoutés. Depuis l’origine, leur nombre a carrément doublé ! Imaginez le green du 7 sans ses bunkers qui le protège… c’était le cas à son ouverture. Au fur et à mesure des années, les contours ont aussi été simplifiés par rapport à l’extravagance des premiers dessins de MacKenzie. Cela est essentiellement dû aux changements de graminées et surtout aux transformations des greens, la plupart agrandis pour laisser davantage de possibilités aux emplacements de drapeau.
La pire erreur architecturale d’Augusta
Le nombre de spectateurs étant de plus en plus croissant, plusieurs modifications ont été apporté au cours des décennies afin de leur apporter plus de confort et de visibilité. Ce souci a conduit parfois à des erreurs qui ont été réparées à l’image de celle concernant le green du 8, L’associé de Jones et premier président du club, l’homme d’affaires Clifford Roberts, qui faisait la loi dans la prestigieuse enceinte, en fut à l’origine. En 1956, il se sent pousser des ailes d’architecte en rasant les deux monticules qui cernaient le green dont les gorges ainsi soutenues, avaient fière allure. Fort séduisant, le green était surnommé le « Jane Russell », du nom de l’actrice alors célèbre pour sa poitrine.
Believe it or not: for more than 20 years this was the 8th green @ Augusta National. Your annual reminder that everyone makes mistakes. pic.twitter.com/ghR3ETdhbS
— Michael Wolf (@bamabearcat) March 24, 2023
Tout pour le public
Bien que très puritain, Roberts ne l’a pas modifié pour cette raison. Il souhaitait tout simplement que les spectateurs puissent mieux voir les champions putter sur un green surélevé, pourtant démuni de tout attribut. Mis sur le fait accompli, Bobby Jones entra dans une colère noire, et face à la polémique naissante, Roberts fit placer lors du Masters 1957 une pancarte stipulant que le green était provisoirement en travaux… Ce ne sont pas les bunkers, rajoutés de part et d’autre par Georges Cobb la même année, qui allaient réparer la bavure. Il a fallu attendre 1979, deux ans après le suicide de Roberts, pour que le champion Byron Nelson fasse appel à ses souvenirs et redessine lui-même les monticules, avec le concours de l’architecte Joseph Finger, pour redonner au 8 son esprit d’antan.
The original 16th at Augusta National pic.twitter.com/qxLRMJj3cf
— Steven Armstrong 👨👩👧👧🏌🏻♂️ (@SArmstrong1973) September 22, 2022
Ah, ce plan d’eau au 16 !
Fort heureusement, d’autres architectes tels que Robert Trent Jones Sr ont amélioré le parcours. Après le Seconde Guerre mondiale, Bobby Jones l’invita à travailler sur certaines modifications dont la plus célèbre demeure aussi la plus spectaculaire à ce jour : la construction d’un plan d’eau sur le fameux par 3 du 16 où les victoires se jouent ou se déjouent parfois. En effet, ce par 3 avait un autre green situé plus à gauche et défendu par une simple rivière. Une autre trahison à l’esprit de MacKenzie qui, cette fois, a permis au parcours d’entrer encore davantage dans la légende.