Fléau des temps modernes, le jeu lent n’en finit plus de pourrir le golf professionnel. Les récents « exploits » de Patrick Cantlay au Masters puis au RBC Heritage ont exacerbé ce sentiment d’impunité. Adrien Saddier, membre du DP World Tour, avance des solutions et demande aux arbitres de réagir. Fermement !
Les images ont fait le tour du monde. Brooks Koepka et Jon Rahm, en dernière partie du Masters, constamment en train d’attendre que le duo formé devant eux par Patrick Cantlay et Viktor Hovland daigne accélérer quelque peu le rythme. Idem le week-end passé à Harbour Town au RBC Heritage (PGA Tour) avec encore Patrick Cantlay au centre des débats, dépassant allégrement les 50 secondes autorisées pour jouer son coup, sans qu’aucun arbitre ne vienne agiter le drapeau rouge…
Une attitude qui a eu le don d’énerver le vainqueur, l’Anglais Matthew Fitzpatrick, qui partageait justement le dimanche sa partie avec l’Américain n°4 mondial. « C’est une honte, a soufflé le dernier vainqueur de l’US Open. Le problème, c’est que ça dure depuis des années et des années. Et personne ne fait rien pour changer les choses. J’estime même que c’est une perte de temps d’en parler, puisque rien ne bouge. Ce dimanche, je n’ai pas une seule fois vu un arbitre de toute la journée. Attendre comme ça indéfiniment, ça devient frustrant. »
🚨#WATCH: Gallery members got out the timers ⏱️ as Patrick Cantlay took 2 mins and 50 seconds to hit a shot 👀. pic.twitter.com/hENyq8aUhT
— NUCLR GOLF (@NUCLRGOLF) April 18, 2023
Le mal est en effet profond au sein du golf professionnel. Pour les femmes, comme pour les hommes. Il devient aujourd’hui banal de constater que les deux premiers tours sur le PGA Tour, le plus souvent, ne parviennent pas à s’achever le jour même. Et la météo n’a rien à voir là-dedans. Un état de fait s’est installé au plus haut niveau, et personne ne semble vouloir inverser un processus qui est pourtant en train de tuer ce sport magnifique qu’est le golf. Pour nous rendre compte que le problème est profond, nous avons interrogé Adrien Saddier, l’un des plus présents sur les réseaux sociaux à combattre ce fléau. Son constat est simple. La balle est dans le camp des officiels. A savoir les arbitres. Eux seuls ont le pouvoir de « changer les choses ! »
Propos recueillis par Lionel VELLA
Patrick Cantlay aurait-il selon vous mérité un point de pénalité au Masters puis au RBC Heritage pour jeu lent ?
Oui, très sûrement. On le voit allégrement dépasser à chaque fois de 40 ou 50 secondes le temps imparti. Sur le papier, je dirais donc oui.
Alors pourquoi n’a-t-il pas écopé de cette pénalité ?
C’est ce que je dis souvent à mes potes. Les arbitres ne font pas assez la police. C’est tout. Comme je le signale souvent sur Twitter, on est un des seuls sports où le timing n’est pas respecté. Au tennis, ils ont un temps pour servir avec le chrono sous les yeux. Même chose au rugby où un temps déterminé est acté pour effectuer une transformation. A un moment, c’est aux arbitres de faire régner la loi.
Si sur un tour il (Patrick Cantlay) prend deux ou trois points de pénalité, je pense que son comportement changerait. La pénalité est selon moi plus dissuasif que l’amende financière. Surtout pour les tops players…
Matthew Fitzpatrick a déclaré à l’issue de sa victoire au RBC Heritage que ce jeu lent était épouvantable pour le golf. Vous partagez son point de vue ?
Oui, je suis assez d’accord avec lui. C’est pour moi un sacré manque de respect.
Quelles sont d’après vous les solutions à apporter à ce problème de plus en plus fréquent dans le golf professionnel ?
J’avais beaucoup apprécié l’idée d’instaurer en 2018 sur le Tour européen le Shot Clock Masters (en Autriche). Les golfeurs étaient tous chronométrés. Avec cette menace du point de pénalité en cas de dépassement de temps. Des joueurs comme Cantlay, qui a un compte en banque bien garni, prendre 2 000 dollars d’amende, ça ne va pas l’empêcher de dormir. En revanche, si sur un tour il prend deux ou trois points de pénalité, je pense que son comportement changerait. La pénalité est selon moi plus dissuasif que l’amende financière. Surtout pour les tops players…
Ce n’est pas normal, lors d’un Pro-Am le mercredi avec trois amateurs, que l’on joue en 5h00, et qu’à trois pros, le lendemain, on joue en 5h10…
Le jeu lent est-il un mal plus visible sur le PGA Tour que sur le DP World Tour ou le Challenge Tour ?
(Catégorique) Non, non… Sur le Tour européen, il est bien présent aussi ! En Inde, au mois de février, on a tourné en moyenne en 5h20 pour 18 trous. C’est affreux. Le jeu lent est partout présent. Hélas. Je me répète mais tout part des officiels. C’est à eux de faire bouger les choses. Pour n’importe quel coup, pour n’importe quelle partie, pour n’importe quel joueur, ils doivent être là, prêts à dégainer leur chrono. C’est aux arbitres de faire leur job.
Avez-vous eu récemment des discussions à ce sujet avec les représentants du DP World Tour ?
Je sais qu’avant le Covid, il y avait des réunions dans ce sens. Pour les nouveaux arrivés, notamment. Ils expliquaient en fait la même règle que lorsque vous arrivez à l’école de golf. 50 secondes pour jouer, 40 secondes si vous êtes deuxième à jouer, et puis basta. Mais depuis le Covid, on n’en parle plus. Pendant deux ans, on a été uniquement concentré sur ce virus, sur le fait que l’on puisse jouer malgré lui, tout en sécurité. Au détriment du jeu lent. Là, j’ai l’impression, parce que c’est Patrick Cantlay, on le laisse faire. Ce n’est pas normal, lors d’un Pro-Am le mercredi avec trois amateurs, que l’on joue en 5h00, et qu’à trois pros, le lendemain, on joue en 5h10… Il y a un problème quelque part. Et ce problème, c’est l’absence d’arbitre au bord du terrain.
Vous avez évoqué le Shot Clock Masters qui avait eu lieu du 7 au 10 juin 2018 en Autriche. Pourquoi cette expérience n’a-t-elle pas été renouvelée sur le Tour européen ?
Je ne sais pas. Je n’ai pas été au centre des discussions. Mais j’estime que c’est l’idée parfaite pour lutter contre le jeu lent. Après, est-ce que ça a déplu aux joueurs car, justement, ils se sentaient en stress de pouvoir peut-être prendre des points de pénalités ? En tout cas, moi, je pense que c’est la solution. Quand je joue Crans (Omega European Masters) ou l’Open de France, j’ai des amis qui me suivent. Et même eux me disent que ce n’est pas très agréable à regarder. Surtout quand ça joue au-delà de 5h00… Normalement, une partie, c’est 4h30… Donc, il y a un vrai problème !
Photo : Octavio Passos / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP