Alain de Soutrait est aujourd’hui à la tête du Challenge Tour qu’il a contribué à créer il y a 30 ans. A la fin de l’année, il terminera son parcours avant de se retirer sur ses terres basques.
Bien mérité pour ce battant aussi discret que déterminé, aussi rigoureux qu’ouvert aux autres. Certains ajouteront : et plus beau que Clooney !
Golf Planète a souhaité le rencontrer pour faire une radiographie du Challenge Tour et imaginer l’avenir. Questions à un homme respecté de tous qui a consacré sa vie à aider les jeunes professionnels, à créer les conditions pour qu’ils deviennent les champions qu’ils ont rêvé d’être. Parmi eux, Brooks Koepka ou Justin Rose.
Quelles ont été les motivations à la base de la création du Challenge Tour ?
Alain de Soultrait : Le Challenge Tour a été créé en 1989. Lors de sa première année, il s’appelait d’ailleurs le Satellite Tour. L’idée était la suivante : à l’époque, pour accéder au circuit européen, n’existait que la voie des cartes : solution très aléatoire, un joueur pouvant être malade ou pas en forme cette semaine-là. Et parallèlement, il y avait une quarantaine de tournois joués dans différents pays et ne faisant pas partie du Circuit Européen.
Nous avons décidé de les fédérer avec l’accord du European Tour pour créer un deuxième circuit, une autre porte d’entrée du grand Tour Européen. Les 15 meilleurs joueurs du Challenge ont ainsi accès chaque année à l’European Tour.
J’avais commencé à travailler à la Fédération Française de Golf en 1981 et ce fut, à titre personnel, un nouveau défi qui se présentait. Défi réussi, peut-on affirmer 30 ans après.
Quelle est la réalité du Challenge Tour en 2019 ?
Les joueurs du Challenge Tour viennent du monde entier : nous avons des sud-africains, des américains, des coréens, des sud-américains mais évidemment, la majorité des joueurs sont européens. En 2019, il y a sur le Challenge Tour 272 joueurs ayant une catégorie de jeu représentant presque 40 pays ! Chaque tournoi réunit 156 joueurs dont 6 places réservées à des amateurs. Les fédérations nationales disposent de 50 places qu’elles utilisent entre autres pour échanger des places avec d’autres fédérations ce qui leur permet de mettre à disposition de leurs jeunes joueurs des opportunités de jeu dans leur pays et à l’étranger. Le Challenge Tour est ainsi l’Université du circuit européen. C’est l’auberge espagnole du golf. Les Espagnols peuvent aller jouer en Allemagne, les Français en Espagne, les Allemands en République tchèque etc… Les meilleurs jeunes joueurs pros peuvent ainsi s’aguerrir dans un environnement très compétitif : c’est la clé de notre politique.
Le Challenge Tour permet aussi à des joueurs du Circuit Européen, comme Havret ou Bourdy cette année, de jouer toute l’année et de rebondir avec de bons résultats.
Par ailleurs, les cinq premiers de chacun des quatre Satellite Tour (Alps Tour, Pro Golf Tour…) accèdent chaque année au Challenge Tour.
Brooks Koepka est passé par le Challenge Tour avant de performer sur le circuit américain. Vous qui l’avez bien connu, pourquoi est-il passé par le Challenge ?
Quand on a demandé à Brooks Koepka, ce qu’il avait retenu de son passage sur le Challenge Tour, il a répondu « Cela a été formidable parce que chaque semaine, j’ai changé de pays, de culture, de langue, de parcours… Non seulement je suis devenu ainsi un meilleur joueur de golf mais je suis aussi devenu une meilleure personne, un meilleur touring pro en moins de deux ans ! J’ai pris l’habitude de voyager, de m’organiser, d’être confronté à un environnement très compétitif, de jouer sur des parcours aux dessins et à l’herbe très différents. Sur le Challenge Tour, ma formation a été complète ! ». Voilà sa réponse à votre question.
A mon avis, le passage de Koepka, au-delà de la satisfaction naturelle au vu de ses résultats actuels, est symptomatique du devenir du Challenge Tour. Si à l’époque, Brooks a reçu des invitations, c’est parce que sa venue illustrait bien notre politique d’ouverture aux jeunes professionnels désireux d’intégrer le circuit européen. La première année, Koepka a d’ailleurs gagné rapidement le Challenge de Catalunya à Tarragone… mais a raté la montée. La seconde année, après trois victoires en trois mois, il a intégré l’European Tour et on ne l’a plus revu, sinon à la tête du classement mondial avec quatre Majeurs en poche !
Quelle est l’importance du Challenge Tour au niveau international ? et quel est son avenir ?
Les chiffres parlent pour nous : dans la dernière équipe européenne de la Ryder Cup, 6 joueurs étaient passés par le Challenge Tour… plus un américain. Plusieurs vainqueurs de majeurs sont aussi issus du Challenge Tour Rose, Koepka, Kaymer, Stenson… Plus de 450 victoires ont été acquises par d’anciens joueurs du Challenge Tour sur le circuit européen ! C’est énorme.
Quant à l’avenir, à plus ou moins long terme, nous aurons un circuit mondial pour l’élite, peut-être une sorte de World Tour qui pourrait coiffer tous les circuits actuels et réunir les meilleurs joueurs du monde.
Les autres circuits resteront, ils représentent trop d’enjeux sportifs et économiques aujourd’hui pour disparaître d’un seul coup. Les champions actuels d’ailleurs sont demandeurs de la création de ce circuit mondial et du maintien des circuits en place. Le circuit américain n’est pas et ne doit pas être à lui seul ce circuit mondial. Les Rolex Series notamment doivent y avoir leur place.
L’avenir du Challenge Tour dans cette perspective a toute sa place. Le World Tour concernera 150 joueurs maximum. Alors qu’il y a des milliers de joueurs professionnels de haut niveau à travers le monde. Sans parler des dizaines de milliers de joueurs amateurs qui veulent passer pros… Le golf professionnel est bâti sur un système pyramidal qui perdurera.
Me vient à cet instant une anecdote significative : il y a quelques années, l’équipe de France amateur féminine a été sacrée championne du monde ! Si la Fédé n’avait pas acheté une page de publicité dans L’Equipe, on n’en aurait jamais parlé ! L’avenir passe toujours aujourd’hui par les Fédérations qui aident les joueurs amateurs et qui leur facilitent le passage au niveau professionnel. Sans les Fédérations, on ne sait pas ce que Le Challenge Tour serait devenu.
Vous prendrez votre retraite à la fin de l’année après 30 ans de direction du Challenge Tour. Des regrets ? des vœux ?
C’est vrai que le Challenge Tour a été mon quotidien, ma passion pendant toutes ces années. Mais pas de regrets, pas d’amertume ou de mélancolie au moment de partir !
Mon plaisir a été de voir tous ces jeunes joueurs arriver et progresser. Certains sont devenus très célèbres, d’autres moins mais quand je les vois évoluer sur le Circuit Européen ou sur le PGA Tour, je me dis qu’on a fait du bon boulot.
J’ai aussi rencontré des gens extraordinaires de tous horizons avec qui j’ai pu partager : ce fut très enrichissant.
Heureux aussi d’avoir été les premiers à créer des tournois de golf professionnels en Russie, en Pologne, en Tchécoslovaquie (à l’époque !), au Kazakhstan, en Jordanie ! Des expériences inoubliables.
Mon vœu, c’est que l’on prenne bien soin du Challenge Tour, qu’on lui accorde toute la considération et le soutien qu’il mérite, car il est indispensable pour les jeunes professionnels et le golf professionnel européen.