Alain de Soultrait prendra officiellement sa retraite fin janvier après 30 ans sur l’European Tour dont 25 à la direction du Challenge Tour.
Alors que s’achevait dimanche le dernier tournoi qu’il organisait – le Grand Final Challenge Tour sur le parcours d’Alcanada à Majorque-, Golf Planète l’a rencontré pour dresser un bilan de ces années passées au coeur de « l’Université du Golf » comme il aime dire.
Ce soir, après la finale du Challenge Tour 2019 à Majorque, vous mettez fin à trente ans de direction de ce circuit, tremplin de l’European Tour. Avant de vous retirer des instances européennes fin janvier. Le temps est venu d’un premier bilan. Tout d’abord, quelles sont les évolutions majeures que vous avez conduites ou constatées au cours de ces années ?
Laissez-moi tout d’abord vous dire tout le plaisir que j’ai vécu lors de ces 30 années au sein de l’European Tour dont 25 à la direction du Challenge Tour.
Je me suis bien amusé au milieu de tous ces défis à relever. Cette année, la Jordanie était le 50e pays où nous avons organisé un tournoi : voilà qui donne une idée de tous ces pays que nous avons visités !
Quel plaisir aussi de retrouver le nom de champions passés par le Challenge Tour dans le peloton de tête du classement mondial ou européen, ou comme vainqueur d’un tournoi. Comme la semaine dernière encore, le petit Brown au Portugal ! Et quand il est Français, cela fait encore plus plaisir évidemment.
Pour répondre à la première question, il convient de revenir en arrière et de rappeler l’objectif de la création du Challenge Tour : à l’origine, il n’y avait qu’une voie d’accès au circuit européen, c’était les cartes. On a réuni l’ensemble des circuits nationaux aux mains des fédérations pour en faire un circuit. Il a fallu professionnaliser ce circuit en établissant des règles communes tout en s’alignant avec le circuit européen. Un gros effort a aussi été réalisé par les promoteurs de chaque tournoi ce qui fait que le Challenge Tour a atteint un degré d’excellence indiscutable. Et le niveau des joueurs a accompagné cette évolution positive : il est aujourd’hui d’une densité tout à fait remarquable. C’est un fait notoire.
Le golf européen se porte-t-il mieux aujourd’hui par rapport au golf américain ou asiatique ?
Je ne fais jamais de comparaison entre le golf américain et les autres. Le golf en Amérique, c’est un autre monde : 26 millions de golfeurs, des dizaines de milliers de golf, les accords TV du PGA Tour leur rapportent des centaines de millions de dollars etc. C’est une industrie et on n’est pas dans le même monde.
Ceci dit, force est de constater que des joueurs viennent aujourd’hui de tous pays pour jouer le circuit européen. Afrique du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande, Chine… On pourra même saluer l’arrivée du premier joueur Polonais en 2020. Et l’on joue toute l’année depuis qu’on se déplace en Afrique du Sud, en Asie, au Moyen-Orient. Le circuit européen s’est indéniablement renforcé au cours des 15 dernières années.
Quant aux joueurs, les résultats de la Ryder Cup ces 20 dernières années prouvent que l’Europe n’a pas à rougir de l’état de son golf face aux Américains ; on a d’abord eu les Ballesteros, Olazabal, Faldo, Woosnam, Harrington puis les Stenson, Poulter, Rose, Casey, McIlroy et maintenant les Molinari, Fleetwood…
Quant au golf pro asiatique masculin, on a parlé un peu vite de la Chine, d’autant que pour des raisons politiques, l’engouement a été calmé et ce n’est pas fini. Ils ont ainsi fermé 250 golfs ! Ils arriveront, mais prudence !
Et le golf français dans ce paysage ?
Pour parler du golf professionnel français, quand j’ai commencé en 1981 à la fédération, il y avait deux joueurs sur le circuit européen ! Aujourd’hui, on a une quinzaine de joueurs de haut niveau qui gagnent des épreuves du circuit européen. Cette année, quatre joueurs figurent dans les 30e premiers du classement européen : c’est une belle génération qui va durer.
Le succès de la Ryder Cup en France a mis ce sport en première ligne et hommage doit être rendu une nouvelle fois à Pascal Grizot et aux équipes de la Fédération pour ce fantastique travail. Les présidents de la Fédération, à commencer par Philipe Martin, ont initié cet engouement pour un sport alors confidentiel. On a la chance d’avoir des directeurs comme Christophe Muniesa, lui-même ancien joueur du Challenge Tour, pour assurer la défense et le développement du golf en France.
Ce qui nous manque, c’est l’exploit qui propulsera le golf parmi les sports favoris des Français : un Noah du golf qui gagne un tournoi majeur . N’oublions pas que Van de Velde, Levet ou Havret ont été à un fil de réaliser cet exploit. Mais voilà, ils ne l’ont pas fait et il reste à faire.
Quels sont vos regrets et vos satisfactions ?
Un seul regret : ne pas avoir trouvé un grand sponsor pour parrainer le circuit du Challenge Tour comme les Américains l’ont eu hier avec le Web.com ou le Korn Ferry aujourd’hui. Cela nous aurait donné la souplesse financière pour mener à bien des projets que j’avais encore dans les tiroirs.
La satisfaction, c’est simplement d’avoir mis en place un système qui marche et fait du Challenge Tour un vrai circuit professionnel, connu et reconnu, fort de 27 tournois cette année dont la Grande Finale de la Road to Mallorca que nous venons de disputer sur le parcours d’Alcanada..
Vous avez fréquenté beaucoup de champions en herbe, entre Koepka, Rose, Stenson, Kaymer mais aussi d’illustres inconnus : quels sont les champions que vous garderez en mémoire et pourquoi ?
On pourrait rajouter aussi Tommy Fleetwood ou Nicolas Colsaert parmi les plus connus.
Mais je voudrais d’abord me rappeler de tous les joueurs français qui sont passés sur le Challlenge Tour. La liste est longue : à vrai dire, elle contient quasiment tous les joueurs tricolores à l’exception de Wattel et Dubuisson !
Et puis, il y a tous ces joueurs inconnus qui sont venus se bagarrer pour se faire une place au soleil. De belles pages d’émotion, de défis personnels, de rencontres intéressantes, des souvenirs enrichissants. Certains joueurs n’avaient peut-être pas le talent pour passer à l’étage supérieur mais ont fait d’autres carrières, comme Robert Lee commentateur sur Sky. D’autres sont coach ou manager, ou directeur de fédérations. J’ai bien sûr gardé de bons contacts avec certains joueurs parmi les 2 500 qui sont passés sur notre circuit au cours de toutes ces années et parmi les 450 qui sont montés sur le circuit européen !
Avant de partir vers de nouvelles activités moins contraignantes, quels conseils vous laisseriez à votre successeur ?
Mon successeur s’appelle Jamie Hodges, il est Anglais et travaille avec moi depuis quatre ans. Il est passionné par le Challenge Tour et c’est un élément fondamental. Je lui laisserai comme conseil : il faut batailler sans cesse et d’abord au sein de l’European Tour afin de recevoir les appuis nécessaires de la part de nos propres instances. Nous ne sommes pas un centre de profit. Le Challenge Tour doit être considéré comme une université du golf. Il faut donc se battre pour nos financements en permanence afin d’exister simplement en interne et l’extérieur. Le budget annuel n’est pas énorme mais il s’élève quand même à près de 6 millions qu’il convient de trouver. C’est le prix pour organiser 27 manifestations à l’international.
Par ailleurs, je lui dirais qu’il faut toujours rester fidèle aux partenaires historiques que sont les Fédérations nationales de golf , sans elles il n’y aurait probablement pas de Challenge Tour. Et enfin, ne jamais mettre de côté les relations humaines quand on parle aux joueurs.
Enfin, votre passion pour le golf est-elle la même tant d’années après ? Pourquoi continuez-vous à aimer autant ce sport et cette culture ?
Love life, Love golf. J’aime le golf d’abord pour trois raisons principales : le contact permanent avec la Nature, les valeurs de ce jeu dont le sens de l’honnêteté et bien sûr les relations humaines.
Quel plaisir de se lever de bonne heure au soleil levant et d’aller installer des drapeaux avant un tournoi ! Un moment magique!
Je ne sais pas encore exactement ce que je vais faire après ces nombreuses années. Je sais que je donnerai davantage de mon temps au golf d’Arcangues dont je suis président de l’Association Sportive. Et puis si je peux redonner au golf français une petite part de tout ce qu’il m’a permis d’acquérir, ce sera avec plaisir !
Propos recueillis à Majorque par Roland Machenaud