Il y a quelques années de cela, un magazine américain avait organisé une consultation aux fins de savoir quel était le plus prestigieux des quatre tournois du grand chelem de golf. A la surprise de tous, Jack Nicklaus avait choisi le tournoi de l’USPGA et je me souviens que le président d’Augusta National, qui devait s’attendre à toute autre réponse de la part d’un homme six fois vainqueur du Masters, s’était contenté de déclarer : « Jack a parfois des idées très originales … ».
Il ne faudrait pourtant pas me pousser beaucoup pour penser que le « Golden Bear » avait fait ce choix inattendu à dessein de démontrer que la question n’avait pas de sens. En réalité, chaque tournoi à son tour ne vaut que par la façon dont les hommes relèvent le défi de dame Nature et tous les éléments de l’adversité, nous rappelant ainsi que le golf des sommets reste le plus biblique des jeux sur terre. A cet égard, on pouvait compter sur le parcours de Royal Portrush et sur le ciel irlandais pour nous offrir, cette année, un vainqueur du British Open offrant tout d’un berger de l’Antiquité, la foi et le maintien dans les intempéries, peut-être la main de Dieu et, pour finir, le sourire d’un enfant sur un visage mangé de barbe. C’est bien le portrait de Shane Lowry, Irlandais de 32 ans, surgi de nulle part si l’on veut bien considérer qu’il n’avait, jusque là, jamais franchi le cut en quatre tentatives dans l’épreuve suprême.
L’Irlande une et entière
Pour comprendre le retentissement de l’exploit au cœur d’un peuple entier, il faut imaginer la fête en France, le conte de fée si le fils de Zidane venait à gagner le Tour de France cycliste. Deux héros dans la même famille, deux versions du récit national !
Car le papa, Brendan Lowry, n’est rien moins qu’une figure du gaelic football, le sport béni en Verte Erin. Alors, certes, pour la beauté du coup, le fils vainqueur du 148 ème British Open n’est pas un enfant de l’Ulster, Irlande du Nord, comme Rory McIlroy ou Graeme McDowell, mais il est natif de l’Irlande une et entière, celle du rugby et des grands poètes de ce pays. Et, un vainqueur irlandais du British Open sur un parcours irlandais, c’était chose jamais vue à ce jour. Tout juste Shane Lowry, encore amateur, avait-il gagné l’Irish Open en 2009, sa maman seule y gagnant quelques sous pour une mise à 250 contre 1 sur le gamin ! C’est dire, tout simplement, si le sport coule dans les veines de la famille et si la gloire a bien fait de frapper à la porte de la maison de Clara, ville de 3000 habitants du comté d’Offaly.
Pendant trois jours, on a pourtant désespéré de l’Irlande et des Irlandais. Car il ne pleuvait que des birdies sur le parcours de Portrush ! On ne pouvait admirer que la version ensoleillée du pire assassin des bords de mer irlandais. Comble du paradoxe et de la stupeur, c’était le grand favori local, Rory McIlroy, qui s’était planté par un quadruple bogey sur le premier trou. Ne parlons pas de Tiger Woods, l’icône des fairways américains n’avait rien à faire dans la galère annoncée. Mais le mystère décidément reste entier en ce qui concerne Rory McIlroy et Jordan Spieth, l’un Irlandais et l’autre Américain, ces deux bombes lâchées très tôt sur le théâtre des quatre tournois majeurs. Ils n’arrivent plus à rattraper les bébés triomphants qu’ils ont été. Rory aura beau nous offrir un superbe morceau de bravoure le deuxième jour, il ne passera pas le cut. Jordan, lui, trop heureux de finir dans le gros du classement, 20 ème exaequo.
Le puissant intérêt de Zi Open
On n’oublie jamais, au sein du « Royal and Ancient », ce que le British Open doit à la souveraine contribution d’Arnold Palmer en un temps où l’épreuve souffrait d’un certain détachement de la part de ses compatriotes. En retour, il n’est donc pas question de bouder son plaisir sous l’assaut de l’armada du golf américain. Le puissant intérêt de « Zi Open » demeurait précisément dans l’ultime chance qui s’offrait aux Européens, si possible par temps pourri, de briser la suprématie américaine dans les trois premières levées du grand chelem de cette année. Bien sûr, Brooks Koepka, n° 1 mondial, était la cible parfaite, et puis Dustin Johnson, le plus oublié des n° 2, Tony Finau, Patrick Reed, Schauffele et tutti quanti, enfin ce Ricky Fowler dont on se demande bien pourquoi il n’a pas encore gagné un « majeur ». Et voilà qu’un Américain inattendu, J.B. Holmes, surgissait le troisième jour pour se mêler en tête à une sorte de conjuration des barbus, en l’espèce notre Shane Lowry et son caddie, non pas le moins poilu des trois. Le parti européen se présentait en nombre avec Lowry, Fleetwood, Westwood, Rose, Rahm, Willett, McIntyre, Fitzpatrick, que sais-je !
La main de Dieu
Au milieu de ce beau samedi, quatre hommes franchirent pratiquement en même temps le premier pic des 10 coups sous le par : Lowry et Holmes d’une part, Westwood et Fleetwood d’autre part. Trois Européens et un seul Américain. Car Tarzan Koepka, pendant ce temps-là, pestait en silence contre un putting poissard au possible. Tarzan pas content. Tarzan pas trouver liane sur les greens, pas trouver ficelle.
C’est à ce moment, sur les neuf derniers trous du « moving day », que se joua sans retour le sort du 148 ème British Open. Ce Shane Lowry, appelez-le plutôt Chêne, comme ça se prononce. Pour la robustesse, certes, mais sans oublier un swing léger comme l’oiseau en vol et une main infaillible dans le petit jeu, réellement la main de Dieu. En tout cas, l’instant de grâce. Un écart tranquille et définitif. Un tour en 63, laissant à quatre coups son compagnon pour le dernier jour, Tommy Fleetwood, challenger épatant, autre look d’un berger de l’Antiquité, et à six coups le malheureux Holmes, condamné aux galères d’un dernier tour en 87 et précipité à la 67 ème place finale, un coup derrière notre Langasque.
Le jeu reste plus grand que les plus grands des joueurs
À ce compte-là, la tornade céleste annoncée pour le dimanche, ce fameux vent « qui sépare l’homme de l’enfant » ne pouvait plus avoir l’effet escompté depuis le premier jour. Au reste, la tempête tarda tellement que, parmi les partants du matin, Molinari-Petite-Souris put en profiter pour rentrer tout ce qu’il pouvait avant l’hiver, un 66 le ramenant du fond du classement à une 11 ème place plus digne d’un « defending champion ». Autrement, dans les rafales meurtrières réservées aux hommes de tête, un seul d’entre eux réussit à jouer dans le par 71, l’impeccable Tony Finau. Il n’était plus plausible que Koepka reprenne sept coups à Lowry et à son caddie, tous deux faisant barbe commune de bout en bout, pour le bonheur bien mérité du public le plus stoïque du monde. Tarzan lui-même ne peut pisser contre le vent. Quant à Dustin Johnson, dans ce casting tout éparpillé, qu’on en juge : il va finir 51 ème, un coup derrière notre Benjamin Hebert. Comme pour Rodgeur Federer, manquant ses deux balles de match en finale de Wimbledon, le jeu restait plus grand que les plus grands joueurs.
Denis Lalanne
Photos Open