Le PGA Championship 2019 vu par Denis Lalanne
Tout s’est passé sur les quatre tours de l’USPGA comme si Brooks Koepka devait s’exaucer d’un Masters qui n’aurait jamais dû lui échapper. Même départ canon, record du parcours en 63, mais pas de frivolité cette fois, pas de cadeau à une concurrence éparpillée par ses soins tout autant que par un parcours assassin.
On a connu naguère des championnats de l’USPGA rendus invivables par une chaleur infernale au cœur de l’été du Middle West. Je pense à Jack Nicklaus dégoulinant qui implorait en vain la grâce de pouvoir jouer en bermuda. Mais jouer en mai, par mauvais temps d’hiver, ne fut pas le cadeau espéré sur ces chemins de guerre de Bethpage Black, où Tiger Woods en particulier ne risquait pas de retrouver la miraculeuse opportunité qui s’était offerte sur les vertes avenues d’Augusta National.
Gatsby le Magnifique
Koepka lui-même, après 36 trous avalés en 128 coups – autre record – fut d’abord mis à l’épreuve lors d’un troisième tour qui devait fatalement ramasser les cassés, les brisés, les consumés à petit feu, cependant prévenus par une pancarte bien vue au départ et signifiant en clair : « Parcours interdit aux petites natures ». Mais il était dit que sur cette péninsule new-yorkaise de Long Island, chasse gardée des enfants gâtés des Roaring Twenties et du Jazz Age, nous aurions la plus juste idée d’un autre héros fitzgeraldien, un autre Gatsby le Magnifique, et c’est donc Koepka du même nom. Une superbe bête de golf. Nous lui trouvons le coffre, la « caisse » de Nicklaus jeune, quand il pesait son quintal et se coiffait en brosse. En apparence, ce n’est pas la même férocité que le Golden Bear, mais ce n’est pas plus mal. Nous aimons voir flotter un sourire de chic type sur le visage de l’homme au-dessus du lot. Nous aimerons aussi le voir se débattre dans la besogne de Monsieur Tout le monde.
Oui, disions-nous, Brooks Koepka en personne a dû lâcher du lest lors de ce terrible « moving day » : trois bogeys en chemin, pour rentrer seulement dans le par 70, autant dire un événement ! Mais ce n’était que le mince reflet d’une capitulation affichée sur tout le champ de jeu, la meilleure carte du jour étant le 67 de Jazz Janewattananond, cet épatant freluquet de Bangkok passé pro à l’âge de 14 ans et soudain pointant là à la deuxième place exaequo, à 7 coups de Koepka, par la grâce d’un putting bordé de médailles. Et ce n’était surtout que le mince reflet de ce qui attendait notre large favori dans un dernier tour « de muerte ».
Une ultime partie Brooks/Dustin
Dommage seulement que l’ultime partie n’ait pas réuni Brooks Koepka et Dustin Johnson, les deux hommes qui avaient fini à un coup de Tiger Woods à Augusta et l’avaient encore en travers de la gorge. Nous aurions peut-être revécu là les inoubliables Nicklaus-Watson d’antan. Au lieu de quoi le tirage confia à Koepka comme dernier compagnon de jeu un Harold Warner venu de nulle part et bientôt renvoyé « nul par » avec un 81 à la clé. Il fallut donc s’attacher à un duel à distance entre les deux plus belles cylindrées du moment, lâchées dans des rafales glaciales de 50 km-heure.
Avec sept coups de retard, Dustin Johnson partait de trop loin, mais sa charge fut réellement digne d’un n°1 mondial. En cette affaire strictement américaine, il arriva que le public new-yorkais prît parti pour «D.J. », son allure impayable de personnage de Sergio Leone, avec tête mise à prix. Peut-être l’autre avait-il trop bon genre ! Toujours est-il que l’assaut fut un régal du genre. C’est si vrai que notre grand cow-boy revint à un coup de Koepka à la suite d’un énorme coup de mou de celui-ci, quatre bogeys consécutifs entre le 11 et le 14, redescendant ainsi à 9 sous le par. Deux parties devant lui, D.J. pointait à moins 8 au départ du 16., le stress comme d’habitude semblant glisser sur lui comme la pluie sur le plumage des canards. Comble de l’émotion. Tout les autres sur les rotules. Tous déglingués dans les maudites rafales. Plus que six joueurs sous le par !
MLV, qualifié de dernière minute, reviendra plus fort
C’est alors que Dijé à son tour prit le vent dans la gueule, lâchant deux bogeys mortels au 16 et au 17. Koepka, blême, les pupilles dilatées, put se présenter avec deux coups d’avance au départ du 72 ème trou. Son coup de driver, salement ensablé sur la gauche, fit encore sauter le cœur de tous. Jean van de Velde, à son micro de commentateur, était bien l’homme de la situation. Il en connaissait un autre qui avait perdu gros sur le dernier trou d’un majeur. Par bonheur, ce ne fut pas le cas de Koepka, qui engrangea un par plein de sagesse. Il gagnait avec un douloureux 74, DJ pour sa part ramenant un 69, personne n’ayant mieux que le 68 d’un certain Gary Woodland par ce dimanche cauchemardesque.
C’est dire le prix faramineux du 69 ramené le matin par notre Michael Lorenzo-Vera. Véritable bond de géant, de la 50 ème à la 16 ème place du classement final, avec une seule carte au-dessus du par, son 75 du troisième tour, à l’issue duquel il déclarait : « Je suis cuit ». Or, pour finir, il avait trouvé la clé de Bethpage Black, qui est de driver le fair-way le plus souvent possible, faute de quoi vous n’en finissez pas de bouffer du rough. C’est fameux, ce qu’il est en train de nous offrir, le gamin biarrot que nous avons vu grandir, conduit par sa maman au practice du Phare ou de Chiberta. Songez qu’il a fait mieux ici que tous ceux, hormis Mac Ilroy, de l’équipe européenne de Ryder Cup, les Molinari, Fleetwood, Rose, Rahm, Poulter et compagnie. A 34 ans, il s’affirme comme le plus raisonnable des nôtres. Il sait qu’il lui faut prendre du coffre. Mais il reviendra sûrement de Long Island plus fort qu’il s’y était rendu, qualifié de dernière minute.
Denis Lalanne