Par Sandrine Vialle-Lenoël, Psychanalyste et Golfeuse
Pour illustrer cette tribune, nous ne pouvions pas échapper aux œuvres de Loyal Bud Chapman qui à travers ses peintures a imaginé le monde impitoyable, infernal, pénalisant du golf. Bud a aujourd’hui 97 ans et continue ses peintures dont il a dévoilé les plus récentes à Orlando au dernier PGA Show en janvier. Sa première expérience avec le golf fut sur un parcours du Minnesota où il travailla comme caddie à l’âge de 12 ans. Son chef d’oeuvre s’appelle « Infamous Golf Holes » dont nous vous proposons une sélection. Il est toujours possible d’en acheter sur Internet.
L’approche mentale est venue depuis quelques années recouvrir la pratique et l’enseignement du golf, à nous en faire presque oublier l’ampleur de la technicité et du travail nécessaire pour arriver au plus haut niveau. Il est même établi aujourd’hui un pourcentage, une croyance scientifique, faisant office de référence : le golf c’est 90% de mental, valable pour tous.
L’apport et les limites des techniques mentales
Le golf ne peut donc plus faire l’impasse sur une approche d’enseignement exclusivement technique et physique.
Un mental fort, voire d’acier, est nécessaire pour atteindre l’excellence. La plupart des approches sont centrées sur un triaire cognition-émotion-concentration dont la pratique se fonde sur la maitrise de ce qui est maitrisable. Ces pratiques orientent le joueur vers un ensemble de processus mentaux, qui se rapportent aux fonctions de l’intelligence, de la résolution de problème, de la prise de décision, de la perception, de l’attention, de la gestion des émotions…
L’ensemble des actions proposées permettent donc de produire un plus grand contrôle, afin d’obtenir un plus grand relâchement des tensions du corps et du mental, une plus grande maitrise des émotions, la transformation des pensées négatives en pensées positives et la suppression des pensées parasites. Visualisation, routine, répétition vont apporter un contrôle des pensées, afin de diminuer les interférences cérébrales avec l’exécution de chaque coup. Mais voilà̀, le golfeur peut utiliser et maitriser toutes les techniques mentales, il existe une part de lui-même qui reste immaîtrisable et rebelle, qui ne peut pas obéir à l’injonction de ces diverses pratiques et va à l’encontre de sa volonté de gagner.
Et l’Inconscient dans tout ça, mon cher Watson (Tom ou Bubba) ?
Cet endroit, visible dans son expression et obscure dans son fonctionnement, est l’Inconscient du golfeur.
L’inconscient est un concept issu de la psychanalyse, pas de la psychologie, ni de la psychothérapie, encore moins du coaching. Il est donc accessible à peu de praticien et peu de golfeur en connaissent les véritables fondements. L’inconscient est complexe et les coachs mentaux ne peuvent pas y accéder, sauf par hasard.
Un golfeur n’est pas un programme, un robot, une intelligence artificielle, son désir de gagner s’inscrit dans une histoire complexe et énigmatique, opaque, y compris à lui-même, surtout à̀ lui-même !
L’inconscient du golfeur, voilà un merveilleux monde parallèle qui joue un autre jeu que celui du golfeur. Les golfeurs ont leurs objectifs, selon qu’ils sont amateurs ou pros. Ils veulent gagner, baisser leur index, avoir le niveau pour rentrer dans l’équipe première de leur club, ou d’autres objectifs plus modestes, selon les raisons qui les font jouer au golf. Pour le professionnel, avoir sa place auprès des meilleurs mondiaux, devenir le meilleur européen ou le 1er mondial est un objectif rêvé, pensé, parfois énoncé, ou annoncé médiatiquement. Il se prépare donc bien physiquement, mentalement, ses images de victoire sont en place, sa respiration, sa décontraction, le sont également. Il a répété des exercices, il sait ce qu’il a à faire, même dans les moments du tournoi où la pression sera plus importante. Il a donc à sa disposition l’ensemble du travail de conditionnement pour gagner.
Un Réel qui met en échec la possibilité de la victoire
Mais… Pendant ce temps, en même temps se trame au plus profond de l’intériorité de chaque golfeur un Réel, un aspect de l’inconscient, qui a cette propriété spéciale de toujours stimuler une réponse inadéquate, et qui est conditionné à se répéter dans son échec.
Le Réel représente cette part d’impossible, d’impasses enfouies. Les pratiques mentales ne peuvent pas contrer ce Réel. Ce Réel de l’inconscient demande un travail particulier, une exploration, il faut suivre son chemin, l’écouter, observer les actes manqués, explorer les rêves, afin de dénouer ce qui gouverne le golfeur, en deçà de sa volonté. Il peut avoir l’illusion de maîtriser de mieux en mieux son mental, son entraînement, s’être parfaitement entouré et néanmoins son inconscient continue à jouer à un autre jeu insistant, mettant en échec la possibilité même de la victoire. Plus la victoire s’approche, plus elle s’éloigne en même temps.
Les 4 désirs qui se cachent au fond de nous
Dans nos logiques souterraines, nous avons de nombreux mouvements, dont quatre plus fréquemment observés chez le golfeur.
Ces mouvements prennent des formes, des habillages variés selon chaque joueur, parce que chaque mouvement a sa Cause. Ces mouvements se repèrent à partir de référents théoriques et cliniques spécifiques et en l’absence de la connaissance de ces différents concepts, les interprétations relèvent de la pensée magique.
1. Le premier mouvement inconscient est de rendre son désir impossible.
Ce mouvement permet au golfeur de mettre en place une étrange stratégie pour ne pas réaliser ce qu’il dit vouloir réaliser.
Alors que sa carte offre une très belle perspective, le golfeur peut organiser et construire le ratage. Nous connaissons tous de nombreux exemples célèbres et nous le vivons en tant qu’amateurs ou professionnels. Le golfeur a la capacité de rater si bien son coup, pour rendre le coup suivant « impossible », mettre plusieurs balles dans l’eau sur un même coup, faire une erreur dans le choix du club, une erreur de distance, sans oublier le putt trop court en Play off. Il est même capable d’affirmer dans une grande lucidité, après avoir exécuté son coup « de ne pas avoir fait, ce qu’il y avait à faire ». Chaque golfeur retrouvera ces moments où il a rendu son désir impossible et son ingénieuse capacité à réaliser avec le plus de maîtrise possible un coup qui n’atteindra pas le but qui est apparemment recherché. Quel talent ! Pourquoi rendre son désir impossible, alors que le golfeur souhaite l’inverse ? Une énigme à découvrir au cas par cas, en dénouant un à un les causes qui rendent ce désir impossible. Les raisons sont variées, peuvent dépendre de la structure psychique, c’est à dire du squelette psychique en quelque sorte, son histoire, comment le golf s’est noué dans son corps dans son langage, ses conflits cachés,…
2. Un autre mouvement assez proche, mais différent, est celui de mettre son désir à distance.
Lequel se manifeste le plus souvent par la persistance d’une conduite pouvant entraîner le manque d’envie de l’entraînement, procrastination ou l’émergence de symptômes rendant le corps douloureux diminuant les capacités physiques.
Le golfeur peut aussi décaler ses entraînements et continuer à prendre du plaisir à s’entraîner au drive, alors qu’objectivement, c’est son putting qu’il devrait travailler pour mieux scorer. Les stratégies mises en place sont celles qui le détournent, qui l’éloignent, de ce qu’il dit vouloir réaliser. Les capacités du golfeur sont infinies dans ces stratégies, tout est prétexte à reculer tout en disant qu’il veut progresser. Il peut même réussir à construire des obstacles, remettre toujours à demain ce qu’il peut réaliser aujourd’hui, mal s’alimenter sur le parcours, ne pas boire suffisamment pour être certain d’être en difficulté physiologique pour finir le parcours. Le golfeur est très habile dans ce domaine, se trompe lui- même, avant de tromper l’autre. Croire au tout mental, croire qu’on devient plus fort alors que le score et la victoire ne sont pas au rendez-vous, « mais que ça finira bien par arriver un jour », est une façon de continuer à mettre son désir à distance de manière même un peu fataliste. Obtenir une place dans le top 10, mais surtout pas la première ! Certains professionnels sont même très persévérants à maintenir la victoire à distance pendant de nombreuses années. De plus, ce mouvement inconscient peut engendrer des problèmes techniques indépassables qui ne pourront se résoudre que par l’exploration de la cause inconsciente : arrêter son club dans la balle (courant chez les amateurs dans les bunkers), décélérer son swing, crise de yip, sans oublier les divers problèmes de putting, …
Le golfeur finira toujours par s’arranger avec lui-même pour saboter, « se tirer une balle dans le pied » sur quelques trous ou mieux, les 3 derniers trous, pour mieux mettre une fois de plus, encore, son désir à distance. La liste est longue et chaque golfeur se reconnaîtra dans ses capacités à mettre en place différentes stratégies à échouer, comme celles de mettre en acte sa peur de gagner.
Les raisons de ce mouvement sont multiples et appartiennent à chaque golfeur. L’angoisse en est souvent le noyau dur avec des manifestations qui le débordent et envahissent plus largement la vie du golfeur, au-delà de son jeu. Il se retient, s’empêche. Le coach mental peut alors se rendre complice sans le savoir de la stratégie inconsciente du golfeur en acceptant le retrait de certains tournois, et en analysant les passages à vide et les cuts ratés comme le temps nécessaire à la performance. Se confronter à la victoire ou à l’échec peut être si insupportable que mettre à distance son désir est un bon compromis. La victoire peut entraîner une perte du désir, obtenir la première place mondiale, gagner le tournoi souhaité n’est pas sans conséquence. Et après… Le vide, la perte de désir peut se présenter, la perte de l’envie de jouer, visible dans la carrière longue de certains professionnels. Pour le golfeur affecté par ce Réel, il préfèrera ne pas gagner pour garder son désir intact, insatisfait certes, mais préférable à l’absence de désir.
Seule, l’exploration de l’angoisse permettra de saisir les causes de cette mise à distance et de développer un mieux « savoir y faire » pour dépasser ses habiles stratégies.
3. Le troisième mouvement est le fait de rendre son désir insatisfait.
Le golfeur a bien joué, mais son putting n’était pas au rendez-vous, le drive pas suffisamment en place, les sorties de bunkers imprécises, les sensations absentes, sans oublier l’insatisfaction de son entraînement.
Le golfeur animé par ce mouvement va donc mettre en place des stratégies pour être insatisfait et impérativement le rester. Le golf est un sport tellement difficile, qu’il est assez aisé pour n’importe quel golfeur d’être insatisfait de son jeu. On pourrait donc se dire que, puisqu’il est insatisfait, il va travailler pour dépasser cette insatisfaction et bien non, surtout pas. Le centre de ce mouvement est l’insatisfaction et c’est ainsi que le jeu s’organise.
Se battre contre son jeu, ne pas être satisfait de son début de saison, dire son rapport difficile à certains parcours, voilà des paroles qui en disent long sur le Réel en jeu. L’inconscient trouve dans le golf un merveilleux terrain de jeu où tout acte peut être une insatisfaction. Trop facile ! À la portée de chaque golfeur. Et continuer à se plaindre des roughs, des greens, de l’organisation du tournoi, de la fatigue… Être encore et toujours insatisfait, et faire sorte de maintenir son insatisfaction, d’en prendre soin ! Souvent la technique mentale proposée pour contrer ce phénomène est « prenez du plaisir à jouer » injonction vouée à l’échec, puisque le golfeur pris dans ce mouvement veut impérativement jouir de son insatisfaction !
Tant que le trajet de l’insatisfaction du désir n’est pas exploré, tout effort allant dans le sens de l’allègement, de la pensée positive et du plaisir sera sans effet, même si l’illusion de la satisfaction se présente pendant un moment, cette dernière ne peut pas tenir dans la durée, parfois même pas les 18 trous. On obtient ce que le désir inconscient impose, à savoir pas la victoire, mais l’insatisfaction permanente.
4. Le quatrième mouvement est un déplacement où le jeu et la victoire ne sont pas au centre du désir, même si le golfeur dit sa volonté de gagner.
Le désir de lien social à travers le langage est au centre de ce trajet de l’inconscient.
Le discours, une fois le parcours terminé est au centre du désir. C’est ainsi que le jeu s’organise, à partir du désir d’en parler à ses amis golfeurs, à son pro, à son coach, aux médias, de s’inscrire dans un lien à l’Autre. Il en est même dépendant. L’important n’est pas le jeu, mais ce que l’on va en dire, ce qu’on va dire de soi, de la réassurance qui prend appui sur la parole.
L’expression de la pensée positive en est un bon exemple. Le golf passe dans le langage, à défaut de passer dans la victoire. N’importe quelle partie bien scorée ou la pire des cartes font l’objet d’un récit.
Entre golfeurs, on comprend cette nécessité symptomatique. Pour les non-golfeurs qui en sont témoins, cela relève d’une bizarrerie commune à tous les golfeurs. La parole peut être jouissive plus que le coup lui-même.
Le discours fait alors lien social, lien avec les autres. Peu importe la façon dont on a joué, il y a quelque chose à raconter. Souvent dire son golf dans son ratage est plus important que de réussir, on peut surtout se plaindre et se tourmenter, on peut même en faire une identité, s’en montrer fier. Cela constitue parfois un effet contraire à la réussite et à l’efficacité de l’entrainement. Avoir toujours à dire quelque chose de la plainte pour maintenir le lien à son pro ou à son coach, maintenir un lien transférentiel, rentrer dans la langue de ce dernier pour rester un bon élève.
Le maintien du lien à l’autre et la demande affective est au centre de ce mouvement inconscient. Ne pas réussir pour continuer de se plaindre, parsemant son discours de quelques performances, afin de ne pas trop lasser l’autre de sa complainte. Les professionnels animés par ce mouvement cherchent généralement à se faire beaucoup entourés. Néanmoins, le golfeur sera toujours, à un moment ou un autre, confronté à la solitude. L’appareillage mis en place, quel qu’il soit, restera fragile quant à la nécessité inconsciente.
Il faudra donc aborder la notion de perte, savoir à qui fondamentalement s’adressent ces paroles de demande affective, interroger la solitude fondamentale souvent accentuée par la vie de pro, éloigné de sa base affective, famille, amis, conjoint, … Le rôle du caddy est primordial, c’est un angle qui est souvent peu ou pas travaillé dans l’approche mentale. Le rapport à ce coéquipier particulier peut avoir un impact important sur le golfeur, avec sa manière toute singulière d’accueillir sa parole et de créer des suppléances. Sans ce travail global sur l’environnement du golfeur, le mouvement du désir vers la victoire est une illusion trop dépendante des autres, du staff et des autres joueurs. L’Autre est au centre de ce mouvement et peut expliquer l’abandon prématuré de certains professionnels sur le circuit.
Le golf met en évidence nos conflits, nos désirs, nos impasses
Tout ceci constitue une infime partie de l’inconscient. Le jeu de golf met en évidence nos conflits intérieurs, nos désirs, nos ratages, nos impasses…
Même si le désir de chaque golfeur s’inscrit dans une tendance singulière liée à sa construction psychique et à son histoire, le mouvement de son désir inconscient n’est ni figé, ni exclusif. Il peut le rendre impossible un jour, et insatisfait le lendemain, puis le mettre à distance.
La psychanalyse utilise même ces mouvements à visée thérapeutique, selon l’urgence subjective à réussir. Pour un golfeur, il sera peut-être nécessaire de passer par l’insatisfaction du désir, préférable au désir impossible.
On ne peut pas empêcher le fonctionnement de l’inconscient, les professionnels du mental peuvent tout au plus le mettre sous cloche. Les symptômes ressurgiront toujours, pour nous rappeler le mouvement de notre intériorité. Si un symptôme peut s’éliminer artificiellement par une technique mentale ou l’injonction d’une pensée positive, il réapparaîtra sous une autre forme, mais en contiendra toujours un message analogue.
Le symptôme insiste et vient dire « je veux gagner, mais ce que je désire le plus c’est échouer et être insatisfait, en fait je ne désire pas ce que je veux ». Faire taire toute expression de l’inconscient, c’est se priver d’un savoir à notre disposition, afin qu’il arrête de nous hanter, particulièrement dans les moments cruciaux d’une compétition. De plus, rêver n’est pas désirer.
Le rêve n’est pas le désir, l’un et l’autre n’appartiennent pas au même registre dans le psychisme. Le rêve appartient à l’imaginaire, il est même un bon support à la mise à distance du désir, il peut être mensonge, illusion et fantasme. Pour gagner, il faut sortir du rêve, il faut se réveiller, aller chercher ce qui se trame dans notre inconscient pour rencontrer un désir enfin engagé et sans entrave. Une fois le désir engagé, ce à quoi aboutit le travail par l’approche psychanalytique, l’ensemble de ce qu’il faut faire se met en place, tout devient centré sur ce désir.
Tous sur le divan ?
Il n’est pas pour autant question de remplacer le banc de tous les trous N°1 par un divan de psychanalyste, mais a minima de ne pas se raconter d’histoires sur ce qu’on veut et ce qu’on désire.
Cette dissonance est présente chez tout golfeur, sauf exception chez certains champions qui se sont construits très tôt dans l’articulation à leurs désirs. Elle est de structure chez tout être humain.
Le golf a la particularité de nous y confronter sur chaque coup, pendant tout le temps de jeu et au-delà, sans aucun répit. L’ensemble de ces raisons fait que les professionnels ne peuvent pas faire l’impasse de saisir, ce qui les gouverne.
Sandrine Vialle-Lenoël , psychanalyste, psychosociologue et golfeuse
DESS Psychologie sociale appliquée, Université Paris VII DEA Psychanalyse concepts et cliniques, Université Paris VIII
Golfeuse : index 11,5
Membre du Golf de Saint-Germain en Laye et Golf d’Hossegor