Patrice Bernard, intendant de golf, a pris en charge l’entretien du golf de Biarritz depuis 1983 et celui du Centre International d’Ilbarritz en 1987. Il a à son actif la préparation d’une quarantaine d’épreuves internationales à Biarritz, en France et à l’étranger.
Co-fondateur de l’AGREF (Association Française des Personnels d’Entretien des Terrains de Golf) avec ses collègues Claude Bru et Daniel Prabonne, il en fut son président durant plus de 25 ans avant de rejoindre les instances paritaires nationales, qui négocient la Convention Collective du Golf.
Siégeant au Conseil des Sages de l’AGREF, Patrice Bernard apporte son analyse et son expérience dans tous les départements mis en place par l’association et notamment dans les stages de formation continue destinés aux personnels œuvrant sur les terrains de golf, dans les négociations salariales avec les employeurs et dans le domaine de l’Environnement.
Golf Planète a le plaisir d’accueillir son cri d’alerte qui demain sera entendu pour que le golf se porte mieux en France. (Titres, intertitres et photos sont le choix de la rédaction).
À se vouloir vertueux, l’issue pourrait être fatale !
Comme beaucoup d’entre nous, je m’interroge aujourd’hui sur l’avenir de notre profession en général et de celle du golf français en particulier. L’expérience et le vécu professionnel font naître des interrogations sur la situation et les pratiques peu conventionnelles, malheureusement de plus en plus courantes.
La filière du Golf représente-t-elle, en l’espèce, un cas isolé ou s’apparente-t-elle aux incohérences relevées ici où là, découlant d’une médiocratie généralisée et grandissante ?
En période délicate, il est souvent opportun d’évaluer la situation afin d’être en capacité de prendre l’orientation la plus juste, la meilleure décision ou à défaut … la moins mauvaise.
Est-ce véritablement le cas ?
Admettre que les résultats ne sont pas glorieux, mais que cela se passe plus mal encore ailleurs, ne représente peut-être pas un argument recevable et suffisant.
Passée l’euphorie de la Ryder Cup dont il convient de saluer la parfaite réussite organisationnelle, l’image qualitative véhiculée à travers le monde et les retombées économiques circonstancielles, qu’en reste-t-il véritablement comme héritage ? Quels retours réellement significatifs en termes de promotion mais surtout d’évolutions pour le Golf Français à prendre en compte?
La Ryder Cup a-t-elle été l’aube d’une dynamique tant promise ?
Quelques évidences qui tiennent du mirage
Pour les terrains, notre domaine, nous pouvons mettre en exergue quelques évidences qui tiennent du mirage telles que :
- L’amélioration de la gestion de l’eau, en excès comme en déficit, au travers de quelques millions d’euros d’investissements.
- L’augmentation de manière extrêmement conséquente de la ligne budgétaire dédiée aux consommables Terrain, y compris celle des matériaux drainants en procédant à des apports de sable importants afin d’améliorer les supports de culture des différentes surfaces.
- La multiplication par 10 de l’effectif habituel ou par 35 ceux couramment rencontrés dans la plupart de nos structures respectives…
- L’augmentation d’un parc matériel amenant à bénéficier d’un volume supérieur à nos importateurs nationaux eux-mêmes !!! Avec des conditions climatiques idylliques durant trois mois.
Et, en terminer, enfin avec les comparaisons déplacées et injustes dont nous avons été presque tous l’objet durant de … trop longs mois.
Pour le reste, rien de plus d’extraordinaire que les meilleurs d’entre nous n’auraient appréhendé, et il serait même insultant d’avancer une éventuelle différence de valeurs au regard des conditions totalement exceptionnelles qui ont été mises en œuvre
Faisons le juste constat que le profusion des moyens et la confusion des sens sont bien les caractéristiques de notre société, le golf n’y échappe pas.
A ce titre, un très grand directeur, et vieil ami, aujourd’hui disparu, Patrice Galitzine, ne se plaisait-il pas à dire : « Le meilleur intendant n’est pas forcément celui de tel ou tel golf mondialement connu, c’est simplement celui qui obtient le meilleur résultat possible avec les moyens dont il dispose ».
Nos compétences ne peuvent être difficilement remises en cause avec l’historique et l’antériorité de notre formation initiale Intendant (1981) existant bien avant celles des pays voisins d’Europe Continentale.
Difficile aussi de remettre en cause le niveau acquis et officiellement référencé de Niveau II (Bac + 3), quelquefois même complété de deux années en Université Américaine, dans la spécialisation, pour atteindre un niveau Bac + 5, en en faisant indiscutablement le niveau de formation le plus élevé de tous les métiers de la filière Golf.
Pour parfaire tout cela, on pourrait ajouter, si nécessaire, l’investissement de nombreux d’entre vous au travers des formations continues, enviées aujourd’hui encore par nos voisins, et dont la plupart des thèmes proposés et traités sont avant-gardistes.
Parallèlement, comme par volonté de ne pas réussir, nous constatons une mode grandissante menant à conduire une politique généralisée du « moins disant », se caractérisant bien souvent par un maintien strict du budget (-5 à -7 % ) voire, dans certaines circonstances, de restrictions financières entrainant des baisses variant souvent entre 10 & 13 % induisant les conséquences imaginables sur plusieurs exercices successifs !!!
Il conviendra pour les éventuels sceptiques de se référer aux augmentations subies sur certaines lignes budgétaires comme les produits phytopharmaceutiques, le carburant, les semences gazon, les sables, le traitement des déchets ….
Mais parce que cela pourrait ne pas être suffisant comme entraves, on y ajoutera les restrictions de personnel (effectif moyen de moins de 5 salariés/terrain par structure suivant notre récente enquête interne) avec :
- Des non-remplacements de départs volontaires ou à la retraite.
- L’introduction de nouveaux salariés en contrats aidés, apprentis, stagiaires … main-d’œuvre d’apparente compensation pour des postes où l’immédiate qualification est pourtant primordiale et garante d’une certaine réussite.
- Est-ce véritablement utile d’aborder les investissements ou renouvellements de matériels accordés pour parachever le triste constat ?
On pourrait même, pour enfoncer le clou, évoquer la politique salariale menée avec un comparatif des minimas conventionnels avec ceux d’autres branches de métiers proches qui sont inférieurs à ceux de l’Agriculture ou des entreprises paysagistes avec bien souvent des contraintes professionnelles plus importantes (travail du samedi, dimanche, jours fériés ….).
Alors, en termes de bilan, comment ne pas s’étonner de la désaffection pour notre métier, des difficultés de recrutement rencontrées …. et des embauches qui sont faites par défaut ? C’est un constat amer mais le réel a toujours raison…
Il en va de même pour le poste de Mécanicien dont le recrutement est quasi impossible pour de nombreuses structures avec des différentiels de salaires incroyables, concurrencés par des loueurs, des concessionnaires et d’autres secteurs.
Combien d’exemples de collègues, totalement désabusés, partis dans des professions parallèles, se demandent quelques années après, comment ils ont pu, se contraindre, aussi longtemps, à de telles souffrances au travers d’existences difficiles ou de vies de famille gâchées …
L’un d’entre eux me disait, il y a peu de temps, au cours d’un déjeuner « J’ai exercé durant trente ans ce métier avec passion et plaisir mais depuis quelques années … c’est sous pression ».
Frustration et dégradation
La frustration est grande chez nombre d’entre nous souvent exacerbée par des pratiques devenues habituelles dans de trop nombreuses structures, qui se traduit par un sentiment de lente et inexorable dégradation.
Tous ces éléments, faute d’être compris par nos interlocuteurs, engendrent dans beaucoup de cas des décisions inverses, simplistes et réductrices. La forme aurait-elle pris le dessus sur le fond ?
La mode est à la mise à l’écart de l’intendant en place, relégué « sous la tutelle » d’experts ou autres superviseurs, qui, eux, font valider par les gestionnaires des propositions pourtant déjà maintes fois suggérées par l’intendant et trop souvent écartées par ces mêmes gestionnaires.
Souvent, on n’hésite pas à consentir, comme par magie, une réévaluation du budget d’entretien et à engager des investissements, pourtant depuis longtemps proposés par l’intendant en titre et non réalisés, sous prétexte que l’avis externe est nettement plus crédible…..
En effet, par ces temps, il est inutile d’écouter, de comprendre ou d’accorder des moyens accrus en fonction des objectifs visés : la solution ne peut se trouver qu’ailleurs, au travers d’un « œil extérieur », même si ce dernier ne connait pas ou peu le site … tant il est préférable de se faire donner l’heure dont on dispose… à sa propre montre.
Au-delà de l’incompréhension vécue, d’un manque de confiance et de soutien, il apparait alors très souvent un phénomène d’autosatisfaction chez les auteurs de telles décisions n’hésitant pas à se féliciter de l’initiative prise.
En fait, il s’agit de découvrir qu’une visite mensuelle ou trimestrielle est plus salvatrice qu’une présence continuelle sur site associée à unesolide connaissance agro-climatique de la région et du site… Personne ne l’avait jamais appréhendé au préalable !!!
Plus sérieusement, notre incompréhension est légitime d’autant plus qu’elle résulte du mode de gouvernance conduit malheureusement par un trop certain nombre de clubs… le temps permettra ici et là de juger du bienfondé de la démarche.
Pour l’heure, cela traduit et explique bien souvent les difficultés rencontrées sur de nombreux golfs.
Oui, la gestion d’un golf est un métier et considérée comme telle dans les grandes nations golfiques faisant référence. Il ne suffit pas d’être passionné de golf, et même de le pratiquer avec aisance, pour croire que seules ces qualités suffisent à tout comprendre, et plus encore, à tout expliquer et à vouloir tout décider y compris dans le domaine aussi difficile et complexe qu’est le nôtre.
Et vous le savez bien, l’humilité qui souvent vous caractérise résulte de ce vécu.
Je suis souvent impressionné par ces nombreux décideurs, venus d’horizons divers, souvent sans formation initiale ou seulement de quelques mois pour le métier qu’ils exercent, très vite persuadés qu’ils ont tout compris, les exonérant ainsi d’éventuelles actions de formation continue et qui expliquent sans retenue aucune, tout, invariablement tout et son contraire sans aucun scrupule.
A moins de nombreux dons naturels, la situation interroge et me fait me remémorer quelques principes de base reçus lors de cours de management : « Souvent celui qui est bon à tout … n’est bon à rien ! ».
Gouvernance, compétences et professionnalisation du golf
Le manque de culture golfique est fréquemment souligné au sujet des pratiquants … je crains que le mal ne soit plus étendu et explique plus aisément les maux dont souffrent de trop nombreuses structures.
Considérer et traiter un intendant de terrain, un jardinier de golf, comme des exécutants de bas étage est tout simplement révélateur de la différence de perception avec les grandes nations golfiques, pour lesquelles l’entretien et la préparation de surfaces naturelles de quelques millimètres suscitent respect et reconnaissance.
Vous l’avez compris malgré notre investissement quotidien, notre dévouement, sans limite pour nombreux d’entre nous, nous n’avons aucune emprise sur l’avenir du golf. Le problème de fond résulte de situations de gouvernance, de compétences et de professionnalisation du milieu.
Cette nécessité de prise de conscience est réelle, même si celle-ci demande des efforts de lucidité et d’humilité inhabituels pour beaucoup.
Très probablement, cela demandera du temps et le ciel risque de s’assombrir, pourtant plus encore avec le danger potentiel d’une extension de la Loi Labbé aux surfaces sportives gazonnées : Football, Rugby, Golf Hippodromes… bénéficiant pour l’instant encore d’une dérogation sous la dénomination de « zones à contraintes ». Pour combien de temps encore ?
Là aussi, peut-être par ignorance (le pire des maux à vivre pour ceux … qui sont concernés) ou simplement par vanité ? A se vouloir les plus vertueux en matière de bonne gestion environnementale … l’issue pourrait être cruelle et fatale.
Hypocrisie et/ou mensonges qui pourraient faire croire aux plus crédules qu’il est possible de gérer une culture aux exigences toujours plus élevées sans avoir recours aux produits phytopharmaceutiques !!!
Ou même que le peu de produits de bio-contrôle existants ou solutions alternatives … toujours attendues, pourrait suffire !!!
Le spectre de cette possibilité plane pourtant au dessus de nos têtes ou plus particulièrement de celles des pratiquants et des gestionnaires des structures.
Au moment où le changement climatique est désormais bien réel et ressenti, caractérisé par une pression sanitaire accrue, nous pourrions alors, en cas de disparition de « trousse à pharmacie », être très vite dans une voie sans issue et contraints de faire face à de graves conséquences commerciales et économiques…
Là encore, je ne suis pas certain que tous les protagonistes concernés soient conscients des enjeux. Si cette perspective hante déjà les nuits de nombreux d’entre nous, pour beaucoup d’autres, l’utilisation de solutions alternatives, parmi lesquelles les produits de biocontrôle ou autres biostimulants, semble être la panacée universelle salvatrice !!!
Nous seuls, praticiens, savons que cela est irréaliste ou utopique, tout comme la multiplication des opérations mécaniques, qui au-delà de l’intolérance ou du déplaisir des joueurs, s’avère impossible dans les faits, au regard d’effectifs souvent trop restreints ne permettant pas leur mise en œuvre.
Cependant, notre profession a tenu quand même à explorer cette nouvelle piste et l’AGREF, par l’intermédiaire de l’Institut Ecoumène Golf & Environnement, s’est dotée d’un outil d’expérimentation répondant au référentiel d’exigences des Bonnes Pratiques d’Expérimentation (BPE). Dorénavant, l’agrément COFRAC/BPE, qui vient de lui être délivré, lui permet de réaliser des essais officiellement reconnus afin de vérifier le niveau de conformité de ces nouvelles solutions alternatives.
Faire des croissants au beurre… sans beurre ni farine !
Si, malheureusement, l’extension devenait effective, le fossé devrait alors se creuser un peu plus et en rajouter à l’incompréhension de nombreux de nos clients, fervents téléspectateurs des tournois PGA ou de l’European Tour, où souvent tout est différent !
La situation serait simple : nous serions alors dans la position du pâtissier de qui on exigerait la réalisation de croissants au beurre … sans beurre, ni farine !!!
Et, malgré la formidable capacité d’AGREF-Formation de proposer, depuis de nombreuses années déjà, des formations novatrices au plus près de la réalité, pour autant, elle n’a pas encore envisagé de programmer le stage : Réaliser des miracles.
Patrice Bernard