Le technicien norvégien, expert du putting, travaille depuis plus de deux ans avec Matthieu Pavon, leader surprise de la FedExCup 2024. Il en a fait l’un des meilleurs putters sur le PGA Tour. Décryptage.
Lionel VELLA avec la rédaction de Golf Planète
Titulaire d’un doctorat en sciences de l’École norvégienne des sciences du sport, où il a terminé en 2010 sa thèse intitulée « Performance in Golf Putting », Jon Karlsen a découvert le golf sur le tard. A 18 ans, après le lycée. Il n’a jamais joué à un haut niveau mais il est l’un des spécialistes les plus reconnus dans le secteur du putting. Outre Matthieu Pavon, il collabore avec de nombreux joueurs Français tels Antoine Rozner, Tom Vaillant, Julien Guerrier, Clément Sordet, David Ravetto et Jeong weon Ko.
« Ce n’est pas pour autant que je parle le français, malheureusement, lâche-t-il dans un grand éclat de rires. C’est toujours un vrai plaisir de me rendre en France, rencontrer les joueurs, les entraîneurs et les caddies mais le français est pour moi une langue très difficile à apprendre. Pour le reste, tout est fantastique dans votre pays ! »
Le Norvégien, qui apporte son savoir faire de façon ponctuelle à la Fédération suédoise de golf, travaille également avec le Néo-Zélandais Daniel Hillier, l’Anglais Matthew Jordan, le Suédois Marcus Kinhult et le Norvégien Espen Kofstad, tous membres du DP World Tour. Sa philosophie ? Appréhender la pratique du putting sous l’angle de la performance tout en gardant une technique simple.
Quelle est votre approche technique et mentale dans le putting en général ?
Quand je regarde la technique de putting, ma priorité est de savoir comment tout cela fonctionne. Pour moi, une bonne technique, c’est de placer la balle sur une bonne ligne de putt et je ne me soucie peu de façon dont cela est réalisé. Si ça marche, je suis le plus heureux des hommes. Si ce n’est pas le cas, je vais essayer de changer ça avec des clés plutôt faciles à acquérir, avec par exemple la position du putter face à la balle, ou changer un peu le stance du golfeur en le reculant ou en l’avançant par rapport à la balle… Je n’essaie pas de changer totalement la technique d’un joueur quand celui-ci évolue au plus haut niveau. Je suis plus attentif à la façon dont le joueur s’entraîne.
Quand avez-vous commencé à travailler avec Matthieu Pavon ?
Cela remonte à octobre 2021, au Portugal Masters. Depuis plusieurs années, je travaillais avec le Suédois Joakim Lagergren, qui est maintenant sur le Challenge Tour mais qui avait la réputation d’être un bon putter. Et le caddie de Joakim avait été sur le sac de Matthieu, voilà en quelque sorte comment on s’est connu finalement. On a commencé comme ça et ça continue depuis…
Il m’a fait une très grande impression lors du dernier tour (en Espagne). Il m’a fait d’ailleurs un peu penser à Jon Rahm, car seule la victoire l’intéressait, il n’avait que ça en tête. Il a démontré ce jour-là qu’il avait une grande force mentale.
Jon Karlsen
Avez-vous été surpris par sa victoire rapide sur le PGA Tour ?
(Il réfléchit) Oui… Mais pour être honnête, je ne m’attendais surtout pas à ce qu’il soit déjà leader de la FedExCup (Ndlr, interview réalisée avant l’Arnold Palmer Invitational). J’ai senti, surtout lors de sa victoire sur le Tour européen à l’Open d’Espagne en octobre dernier, de très bonnes vibrations. Il m’a fait une très grande impression lors du dernier tour. Il m’a fait d’ailleurs un peu penser à Jon Rahm, car seule la victoire l’intéressait, il n’avait que ça en tête. Il a démontré ce jour-là qu’il avait une grande force mentale. Et cela ne s’est pas démenti depuis.
Sur le DP World Tour, les statistiques de Matthieu au putting n’étaient pas si bonnes avant l’année dernière (98e en 2020, 115e en 2021, 103e en 2022 puis 32e en 2023). Avant l’Arnold Palmer Invitational, il était encore 2e au Stroke Gained Putting sur le PGA Tour. Quel est votre secret ?
Il n’y a rien de secret mais Matthieu est vraiment très fort d’un point de vue mental. Quand on a commencé à travailler ensemble au Portugal, cette première semaine avait été vraiment excellente. Il avait d’ailleurs fini 2e du tournoi. Ce début de collaboration avait été brillant. Mais c’est vrai qu’en 2022, il n’y a pas eu de réelles améliorations. Il faut être honnête. Je pense que Matthieu était dans la moyenne au Stroke Putting sur le Tour européen. Et c’est vrai que depuis l’an passé, sa progression est assez impressionnante. Mais quoiqu’il arrive, il se fiera toujours au process mis en place. Qu’il fasse une bonne ou une mauvaise semaine, Matthieu qui, je le répète, est très fort mentalement, restera dans la ligne de conduite décidée au départ.
Matthieu a cette force de pouvoir contrôler ses putts. Et de s’adapter. En fait, peu importe le genre de green qu’il va aborder, il ne se fixe aucune limite.
Jon Karlsen
Il semble s’être adapté assez rapidement aux greens du PGA Tour. Pensez-vous qu’il est plus à l’aise sur des greens rapides ?
Je pense qu’il peut jouer sur n’importe quel genre de green dans le monde. Lors des premières semaines sur le PGA Tour, notamment à Torrey Pines ou Pebble Beach, les greens n’étaient pas à leur maximum, il avait beaucoup plu, ils étaient peut-être un peu plus lents que d’habitude mais Matthieu a cette force de pouvoir contrôler ses putts. Et de s’adapter. En fait, peu importe le genre de green qu’il va aborder, il ne se fixe aucune limite.
Ce qui est frappant, c’est que sur les putts de plus de 7 mètres, il a de grandes capacités. Avez-vous fait un travail spécifique concernant ces putts ?
On travaille toutes les distances de putts, courtes, moyennes et grandes… Il n’y a pas de vrai travail spécifique pour travailler une distance plus qu’une autre. Mais oui, Matthieu a été l’un des meilleurs sur les putts longue distance l’an passé sur le DP World Tour.
Sur le PGA Tour, les meilleurs joueurs frappent des putts assez agressifs sur de courtes distances qui peuvent sembler risqués. Matthieu Pavon a-t-il aussi cette tendance ?
C’est vrai qu’il est assez agressif sur les putts courts et moyens. Et c’est pour moi une très bonne chose. On a pas mal de stats là-dessus. Notamment sur les putts entre 2 et 7 mètres depuis plusieurs années. Sur le PGA Tour, la moyenne est de 9,7 %. Les tendances on va dire “agressives ” sont dans une fourchette entre 5 et 10 %, donc c’est assez exceptionnel. Je ne lui trouve pas de faiblesse !
Je peux dire qu’en ce moment, il n’y a pas trop de gros problèmes à résoudre. Tout va bien. Il n’y a donc pas trop d’appels téléphoniques entre nous.
Jon Karlsen
Comment fonctionnez-vous pendant un tournoi ? Est-ce que vous vous appelez après chaque tour ou vous faites-vous des appels vidéos tous les jours ?
Non, ce n’est pas aussi intense que cela. Chaque jour, il fait un point sur ses séances d’entraînement. On en parle évidemment mais pas tous les jours, non. Et je peux dire qu’en ce moment, il n’y a pas trop de gros problèmes à résoudre (rires). Tout va bien. Il n’y a donc pas trop d’appels téléphoniques entre nous. Nous avons une stratégie, et on s’y tient. Dans les bons ou les mauvais jours. On ne va pas tout changer quand un jour ça ne va pas. Cela ne marche pas comme ça. De façon générale, je ne parle pas beaucoup aux joueurs durant les tournois. Parfois, ça m’arrive. Mais c’est très rare.
Vous avez passé une semaine en Floride récemment avec Matthieu après sa victoire à Torrey Pines, pouvez-vous nous dire comment tout cela s’est passé ?
Matthieu est pour l’instant mon seul joueur sur le PGA Tour. Il s’entraîne entre 60 à 90 minutes (sur le putting) pendant les jours d’entraînements en tournoi, soit du lundi au mercredi. Lorsque nous nous sommes retrouvés en Floride, ces séances allaient de trois à quatre heures par jour. Cela peut même monter jusqu’à cinq heures. On a, à ce moment-là, l’occasion de travailler beaucoup plus… Durant ces journées d’entraînements, on a revu les basiques comme la position, l’alignement, la façon dont la balle quitte le putter ainsi que la visée… On consacrait 20 % de notre temps à ça. On a aussi fait des parties sur différents parcours de la région pour ne pas s’entraîner sur le même green toute la journée et surtout afin de garder l’esprit de la compétition, avec toujours cette intention de scorer…
Comment qualifieriez-vous les capacités de Matthieu au putting ? Sont-elles naturelles, mécaniques, méthodiques ?
Matthieu, c’est un peu tout ça en même temps. Il n’a pas de réelle faiblesse. Si on parle de technique, on va essayer de ne pas trop compliquer les choses. Matthieu travaille toujours de la même façon : 25 % sur les basiques (voir ci-dessus) et 75 % sur le scoring proprement dit.
Serez-vous à Augusta avec lui dans quelques semaines ?
Non. Mais on va travailler durant les quinze jours avant l’événement. Cinq jours avant la semaine d’Augusta je pense (11-14 avril). En Floride. C’est l’endroit où on peut le mieux se préparer pour ce genre de rendez-vous. Augusta, c’est un nouveau parcours pour Matthieu, on se doit de préparer au mieux tout ça, avec au moins une heure de putting chaque jour, dans le cadre de solides séances d’entraînement en amont.
LES PROGRESSIONS ET LES CHIFFRES CLES DE MATTHIEU PAVON
Alors qu’en 2017, sa moyenne de putts par tour sur le DP World Tour tournait à 29,68 (114e au classement général), celle-ci est tombée à 28,73 en 2023 (ci-dessous) après un très encourageant 29,09 en 2022. Ce qui représente en moyenne un coup par tour, rien qu’au putting. Tous les spécialistes vous le diront, quand un golfeur passe en-dessous de la barre des 29, il est dans l’excellence.
Depuis son arrivée sur le PGA Tour, Matthieu Pavon affole les compteurs. Leader au Stroke Gained Putting, il est deuxième au putting avec une moyenne de 1,238 putt par trou, juste derrière l’Australien Aaron Baddeley (1,273).*
Sa moyenne par tour sur le PGA Tour est actuellement de 28,47 putts. Son pourcentage de birdie et plus est de 39,70 % (79 birdies en 199 tentatives sur les greens), ce qui le place au 4e rang du circuit. Sur 270 trous joués depuis ses débuts sur le PGA Tour (stats réactualisées après le Cognizant Classic), le Français n’a concédé que six fois trois putts (2,22 %).*
COMPARATIF AVEC RORY MCILROY*
*(Stats réactualisées avant l’Arnold Palmer Invitational)
A noter que le site Ecole-Golf.com propose de réaliser le test “Jon Karlsen” en mettant à disposition les outils en ligne ici >>
Photo : Tomas Moss, icu.no