Sergio, il est peu probable que tu lises ces lignes. Encore moins qu’elles te touchent. Mais sache qu’elles sont écrites par ton plus grand fan habitant en France. Ou plutôt ton ex-plus grand fan…
Un Masters. 23 « tops 10 » en majeur (oui, oui 23 !). Un Players Championship. Onze titres sur le PGA Tour. Seize succès sur le circuit européen. Et surtout, surtout : 28,5 points en Ryder Cup, le record absolu. C’est peut-être le chiffre qui claque le plus quand on fait le bilan de ta carrière, Sergio : 28,5 points dans la compétition la plus passionnante, la plus signifiante, la plus exigeante, la plus intimidante du golf.
Mon idole
Dès tes premiers pas flamboyants dans cette épreuve en 1999 et tes victoires pleines de panache avec Jesper Parnevik, tu es devenu mon idole des greens. Ton énergie, ton esprit d’équipe, ton petit jeu de rêve : tout me plaisait chez toi quand tu portais le maillot jaune et bleu.
En double, tu as gagné des matchs avec des joueurs si différents, venus de tous horizons, aux caractères disparates : les Suédois Parnevik ou Noren, les Anglais Westwood ou Donald, les Espagnols Olazabal, Cabrera Bello ou Rahm, le Nord-Irlandais McIlroy.
Tous ont gagné un match, souvent plusieurs, à tes côtés. Grâce à ton jeu mais aussi et surtout grâce à la passion de la Ryder Cup que tu as su leur transmettre.
De si glorieux ainés
Pour ça, tu étais le digne héritier de ton aîné Severiano Ballesteros, le champion qui a transformé la Ryder Cup, le champion que tu dis avoir adulé. Pour ça, le golf européen te doit beaucoup. Énormément. Pour ça, je t’ai aimé et je t’ai suivi sur tous les terrains de jeu, sur le PGA Tour, le Tour européen, même l’Asian Tour parfois.
Pour ça, je t’ai beaucoup pardonné. Tes défaites in extremis en majeur, comme celle si cruelle de Carnoustie en 2007 à The Open face à Padraig Harrington.
Dix ans plus tard, le jour de la délivrance au Masters 2017, j’ai presque pleuré de bonheur. Tes échecs sportifs dans ta quête d’un Grand Chelem faisaient presque partie de mon attachement à toi.
Dérives
Je t’ai pardonné aussi tes excès. Tes dérapages.
Un commentaire très limite sur Tiger Woods en 2013 ? Pardonné en repensant à ta victoire au dernier trou contre Jim Furyk lors de l’inoubliable « miracle de Medinah » de 2012.
Un crachat dans un trou après un putt manqué en 2009 ? Oublié en repensant au fameux « Come ooooon » lancé après avoir arraché un match nul avec Paul Casey lors de la « Ryder » 2008.
Un bunker dévasté de rage, des greens détruits et une disqualification en 2019 au Saudi International (tiens, tiens…) ? J’ai préféré repenser aux trois matchs que tu as remportés au Golf National, sous mes yeux ébahis.
J’avais hurlé comme un damné quand tu avais rentré ce putt au 17, alors que tu jouais avec Rory.
J’ai été profondément ému quand tu as versé des larmes de bonheur après être venu à bout de Rickie Fowler en simple et que tu as levé tes yeux embués vers le ciel, invoquant la mémoire de Seve, le record de points en poche.
Ces trois jours de grâce à Paris, à courir pour trouver le meilleur « spot » visuel à chacun de tes coups, méritaient à mes yeux tous les pardons à tes nombreux écarts de conduite. Entre le feu et la glace, j’avais choisi.
La goutte d’eau
Mais cette fois, tu es allé trop loin. Je ne te suis plus. Au sens propre sur les réseaux sociaux, comme au sens figuré. Ce départ vers le LIV Golf, ces mots méprisants envers le PGA Tour, cette colère d’enfant gâté (rapporté par les médias anglais) quand tu as appris que le DP World Tour t’infligeait une amende et une suspension pour ce départ vers les exhibitions grotesques de Greg Norman, ça ne passe pas !
Sergio, tu as trahi mon cœur de fan. Plus grave, tu trahis, selon moi, la mémoire de ton héros, Seve Ballesteros. Tu trahis le formidable héritage que tu aurais dû laisser avec tes exploits en Ryder Cup. Tu trahis les circuits qui t’ont consacré : le PGA Tour, qui n’a peut-être pas toujours été assez reconnaissant avec toi, et surtout le circuit européen, ta première famille, celle où grandissent aujourd’hui des générations de jeunes golfeurs que tu as fait rêver.
Aujourd’hui, comme moi, d’autres fans, quelques-uns de tes anciens amis comme Rory McIlroy et probablement Jose Maria Olazabal, peut-être des jeunes champions du Vieux continent sont désolés de voir le plus grand joueur de l’histoire de la Ryder Cup oublier ses idéaux, ses valeurs, pour quelques dollars en plus. Bon, pour beaucoup de dollars en plus, je te l’accorde.
La revanche de Norman
Cette guerre LIV Golf-PGA Tour-DP World Tour n’est rien d’autre qu’une vieille vendetta de Greg Norman vis-à-vis de l’ordre établi et notamment du circuit américain. Elle ne fait pas de bien au golf, tu le sais bien. Elle fait du bien à ton compte en banque. Rien d’autre.
Elle va conduire à l’affaiblissement du PGA Tour et peut-être à la disparition du DP World Tour. Plus grave pour moi, pour toi aussi j’espère, elle va dévaluer la Ryder Cup. À long terme, l’épreuve dont tu es le fier recordman de points pourrait même devenir une aimable exhibition, à peine plus excitante que les joutes de ton LIV chéri.
J’ose espérer que tu ne vas pas oser, comme Talor Gooch, comparer l’ambiance de ces deux événements… J’imagine mal que la 3e place que tu as décrochée à Portland avec ton équipe des FIREBALLS GC (c’est quoi ce nom ?) t’a donné le même frisson que l’exploit de Medinah…
Le chemin de la rédemption
Alors je t’adresse cette lettre avec un fol espoir. Celui de te faire changer d’avis. Si toi, joueur emblématique de l’Europe, tu fais machine arrière, si tu renonces aux billets verts indécents, si tu abandonnes le LIV, si tu reviens sur le DP World Tour (qui ne manquera pas de t’accueillir à bras ouverts) pour décrocher une dernière « qualif » en Ryder Cup, et pouvoir alors devenir le capitaine des Bleus et Jaunes en 2025 ou en 2027, alors cette décision pourrait être le geste le plus fort de toute ta carrière.
Plus fort que ton putt victorieux à Augusta. Plus fort que tes 28,5 points.
Sergio, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis.
Reviens vers la Ryder Cup. Là-haut, Seve te regarde. Dans les coulisses, Jon Rahm et Rory McIlroy espèrent.
Et moi devant mon ordi, je t’écris…
Ton (ex) plus grand fan de France