Alors que la guerre entre le LIV Golf, le PGA Tour et le DP World Tour s’intensifie, les motifs d’inquiétude sont nombreux pour la Ryder Cup.
Tous les chemins ne mènent pas à Rome…
Pas de panique pour les amoureux de la plus grande compétition par équipes de golf : la Ryder Cup 2023 se disputera bien à Rome, sur le Marco Simone Golf & Country Club, fin septembre 2023. Il ne s’agit pas là d’écrire que la tenue de l’événement est menacée. La compétition biennale aura bien lieu. Mais son intérêt sportif est vacillant.
Il y a fort à craindre que les équipes européennes et américaines soient amoindries, par le jeu des suspensions déjà annoncées et celles à venir pour les dissidents du LIV. Et c’est presque une certitude, la situation ne va faire que s’aggraver. Même si les événements sont très « mouvants » dans cet affrontement qui oppose les circuits historiques au nouvel El Dorado du golf mondial.
Oui, de grands noms de la Ryder Cup ne seront pas en Italie. Beaucoup de grand noms.
L’équipe américaine sera belle, quand même
Rien n’est encore acté mais il est très probable, à ce stade du conflit, qu’aucun joueur américain parti sur le LIV ne jouera la Ryder Cup 2023. Ni même plus aucune Ryder Cup dans le futur, quand bien même le circuit LIV devait un jour attribuer des points mondiaux.
Zach Johnson, le capitaine américain, a été très clair sur ce sujet lors du John Deere Classic. « Pour être sélectionnable, vous devez accumuler des points via la PGA of America. Pour engranger ces points, vous devez être membre de la PGA of America. Or nous sommes membres de la PGA of America via le PGA Tour. »
La liste des principaux joueurs à la bannière étoilée ayant cédé aux sirènes des billets verts saoudiens est, dans l’ordre du prestige de leur palmarès : Phil Mickelson, Brooks Koepka, Dustin Johnson, Patrick Reed, Bryson DeChambeau, Kevin Na, Matthew Wolff…
Il y a des noms clinquants et mêmes des légendes de la Ryder Cup. Mais pour la plupart, ce sont des joueurs plutôt en toute fin de carrière (Mickelson), dans la deuxième partie de leur carrière (DJ, Reed) ou en difficulté depuis plusieurs mois sur le plan physique (Koepka, BDC). Surtout, ils présentent tous un profil ultra-individualiste qui ne s’est pas toujours bien marié avec l’esprit d’une compétition par équipes. On ne va pas se mentir, les USA font plutôt une bonne affaire en se débarrassant des problèmes d’intégration des Mickelson, Reed, DeChambeau, et aussi avec le conflit larvé entre Koepka et DJ.
D’une certaine façon, la situation facilite presque le travail du capitaine Zach Johnson et de la PGA of America. Avec Scottie Scheffler, le n°1 mondial actuel, Collin Morikawa, Justin Thomas, Patrick Cantlay, Xander Schauffele, Jordan Spieth, Tony Finau, des jeunes joueurs qui s’entendent très bien entre eux, le noyau dur de « team USA » est déjà impressionnant sur le papier. Avec l’arrivée probable de « rookies » tels Sam Burns, Will Zalatoris ou Max Homa, on n’est pas inquiet pour l’équipe américaine. Elle aura fière allure et sera très largement favorite à Rome…
L’Europe, un monument en péril
Difficile d’en dire autant de la future équipe européenne déjà sèchement battue l’an passé à Whistling Straits. Vainqueur de 12 des 18 dernières éditions, l’équipe du Vieux continent s’est forgée un collectif avec des grandes victoires, légendaires parfois (Medinah en 2012). Des succès inoubliables qui ont aidé à bâtir un état d’esprit solidaire et conquérant devenu la marque de fabrique d’une équipe rarement favorite sur le papier.
Cette immense passion bleue et jaune pour l’épreuve a été transmise de générations en générations à leurs pairs par d’immenses champions (Ballesteros d’abord, Faldo, Olazabal, Langer, Montgomerie, Garcia ensuite). Cette unité, ce désir ardent de jouer et gagner ensemble, les Américains l’ont longtemps jalousé… Mais voilà désormais que tout semble partir en lambeaux.
Le CEO du DP World Tour, Keith Pelley, n’a pas encore pris les mêmes sanctions que son homologue du PGA Tour, Jay Mohanan. Les rebelles européens ne sont pas suspendus définitivement, mais pour quelques tournois seulement. Pour le moment car à terme, on semble aller tout droit vers une logique identique.
Le DP World Tour, déjà très fragile économiquement et délesté de beaucoup de grands joueurs, doit se protéger. Le rapprochement « calendaire » avec le PGA Tour va dans ce sens. Il semble presque inéluctable que Pelley soit forcé de s’aligner sur les décisions prise outre atlantique…
Le problème, c’est que sportivement, cela s’apparente à un retour en arrière dans l’histoire de la Ryder Cup. N’oublions pas qu’avant l’arrivée des joueurs continentaux, la compétition se résumait à un affrontement entre les USA et la Grande-Bretagne et l’Irlande et se soldait presque immanquablement par des victoires écrasantes du premier camp. Si les Européens du LIV sont privés de Ryder Cup, on va tout droit vers ce genre de scénario sportif…
Non seulement, la dernière édition dans le Wisconsin en 2021 (victoire des Etats-Unis 19 à 9) a montré à quel point la jeune génération des joueurs européens souffrait de la comparaison avec celle des Américains, en termes de talent et de nombre. Mais voilà que les vieilles gloires, qui pouvaient encore rendre des services aux Bleus et Jaunes en tant que joueur ou transmettre leur ferveur en endossant le costume de capitaine, ont opté pour les pétrodollars… Au risque de dire adieu à l’épreuve qu’ils ont tant chérie.
C’est fou à quelle vitesse on peut perdre tout respect pour quelqu’un que l’on a pourtant admiré toute sa vie
Robert MacIntyre
Des héros devenus zéros
Le plus grand pourvoyeur de points de l’histoire de la Ryder Cup, Sergio Garcia, véritable talisman de son équipe depuis 20 ans ? Parti pour le LIV. Ian Poulter, le rageux de Medinah, le « postman » ? Parti pour le LIV. Lee Westwood, 11 participations, un profil idéal de rassembleur pour devenir un jour capitaine ? Parti pour le LIV. Tout comme Paul Casey, Graeme McDowell ou Martin Kaymer, ces deux derniers ayant un jour marquant de leur vie inscrit le point décisif de la victoire de leur équipe.
L’Europe risque donc de devoir se passer d’eux, de leur passion, de leur expérience, de leur leadership…
Ce simple constat est déjà inquiétant. Mais il y a aussi plus grave. Ce « joli » collectif de rebelles a décidé de traîner devant la justice le DP World Tour pour contester les sanctions prises à leur encontre (suspensions de tournois, amendes).
Certains jeunes joueurs qui considéraient ces héros, devenus zéros, ont été choqués par leurs réactions et par le procès intenté à « leur » circuit. On parle ainsi d’une colère monstrueuse de Sergio Garcia lors du BMW International Open en Allemagne quand l’Espagnol a appris sa suspension. Ce qui expliquerait ce tweet sibyllin de l’Ecossais Robert MacIntyre…
Amazing how fast you can lose respect for someone that you’ve looked up to all your life #10secondrant #wecanhearyou
— Robert MacIntyre (@robert1lefty) June 25, 2022
Il se murmure aussi que Rory McIlroy, principal défenseur de l’ordre établi, n’a que peu apprécié ses échanges avec ses (ex) coéquipiers de Ryder Cup sur leurs choix d’aller voir ailleurs pour, citons-les, « l’avenir de leur famille et le développement du golf mondial. »
Jon Rahm, lui, a publiquement exprimé son inquiétude. « J’espère que l’on ne va pas perdre l’essence même de la Ryder Cup, qui est le tournoi de golf le plus attractif du monde. » Des craintes exprimées en amont du dernier US Open. Depuis, on l’a dit, les choses se sont aggravées.
Ô capitaine, mon capitaine
Bref, l’Europe a déjà perdu gros. En joueurs, en expérience, en unité. Et ce pourrait être pire. Les départs risquent de se multiplier et pourraient concerner des joueurs plus jeunes (c’est déjà le cas pour l’Autrichien Bernd Wiesberger, «rookie» en 2021, les Anglais Sam Horsfield et Laurie Canter, les Espagnols Pablo Larrazabal ou Adrian Otaegui).
On peut d’ores et déjà être inquiets pour la compétitivité de l’équipe européenne à Rome. Certes, il y aura sans doute Rory McIlroy, Jon Rahm, Viktor Hovland, Shane Lowry, Matthew Fitzpatrick (en Ryder Cup, le dernier vainqueur de l’US Open compte zéro point en six matchs…) Mais après ? Francesco Molinari, dont la forme est chancelante depuis de nombreux mois mais qui doit rêver de jouer devant son public ? Justin Rose, Tyrrell Hatton, Thomas Pieters ? Tous ces profils manquent a priori de leadership.
Cerise sur le gâteau, ces derniers jours et même ces dernières heures, les rumeurs envoient vers le LIV un certain… Henrik Stenson désigné capitaine du vaisseau européen en mars dernier. Le Suédois est sans doute coincé aujourd’hui mais son nom fut un des premiers à circuler avant même que les LIV Golf Invitational Series ne soient lancées et n’a jamais démenti.
S’il partait, il devrait évidemment rendre son brassard de « skipper », ce qui pourrait ressembler à de la haute trahison. Mais l’attitude du vainqueur de The Open 2016 sera scrutée de près dans les semaines à venir. Que fera-t-il après la Ryder Cup ? Que pense-t-il de « la bande à Greg Norman » dans laquelle se complait son ami Ian Poulter ? Comment se positionne-t-il pour défendre les intérêts de son circuit, de son équipe donc ? On n’est peut-être pas au bout de nos (mauvaises) surprises.
Il y a tout de même une bonne nouvelle dans ce « maelström » qui secoue le golf mondial. Les places dans l’équipe européenne vont être plus faciles à aller chercher pour ceux qui sont restés fidèles au DP World Tour. Une chance à saisir pour la jeune génération montante. Les résultats de l’Ecossais Robert McIntyre et des frères Danois Rasmus et Nicolai Højgaard pour ne citer que les plus prometteurs vont être suivis avec attention. Tout comme ceux des Français, Victor Perez en tête.
Sur le DP World Tour donc. Et s’il vous plait, pas sur le circus show pathétique orchestré par Greg Norman qui piétine les ancestrales valeurs morales et de “sportsmanship” du sport que nous aimons.
Ces mêmes valeurs qui ont contribué à faire de la Ryder Cup l’une des plus belles compétitions au monde, tous sports confondus.