
En remportant le Masters au terme d’une journée complètement dingue, peut-être la plus folle de l’histoire des Majeurs, Rory McIlroy a définitivement changé de dimension. Le Nord-Irlandais entre au Panthéon de son sport. Ce triomphe absolu, cette première veste verte, ce Grand Chelem complété est l’aboutissement de la carrière d’un enfant surdoué à l’itinéraire parfois contrarié, mais enfin pleinement récompensé.
Des jeunes prodiges dans le golf, on en a vu des centaines dans l’histoire de ce sport. De tous ces surdoués promis à un avenir doré, l’histoire n’en a pas retenu beaucoup. Il y a bien sûr eu Tiger Woods, génie précoce qui est devenu un mythe avec ses 15 Majeurs. Et il y a désormais Rory McIlroy. Sans cette victoire au Masters, il aurait été bien compliqué de « ranger » le Nord-Irlandais dans la catégorie des icônes de son sport. Dans celle des joueurs dotés d’un immense talent qui ont tenu leurs promesses et même au-delà.
Rory a été enfant prodige. Puis il a été un grand champion. Il est aujourd’hui une légende vivante de son sport, grâce à ce succès qui aura mis une éternité à se dessiner. Onze ans d’attente entre ses deux victoires en Majeur, c’est long. Et ce dimanche où il sera passé par toutes les émotions lui a aussi semblé durer une éternité…
Né à Holywood il y a 35 ans, « Ror’s » comme on le surnomme était prédestiné à devenir une star. Sauf que ce Holywood là est situé en Irlande du Nord, près de Belfast. Il n’empêche, dans le petit monde du golf, le gamin aux joues rondes auréolés de tâches de rousseur défraie vite la chronique. Son père Gerry, joueur scratch, l’initie très jeune à son sport. A 9 ans, il devient champion du monde des 10 ans et moins en gagnant à Doral aux Etats-Unis. A 10 ans, il signe son premier trou en un et passe dans des shows télévisés. A 16 ans, il bat le record du parcours de son enfance, le Royal Portrush, avec un extraordinaire 61 sur ce parcours qui sera l’hôte du prochain Open britannique au mois de juillet.
Adoubé par les plus grands dès son plus jeune âge
Précoce on vous dit. Très vite, les plus grands joueurs l’adoubent, à commencer par son compatriote Darren Clarke, qui le prend sous son aile avant sa majorité et lui ouvre de nombreuses portes. Il quitte le système scolaire à 16 ans pour se concentrer sur le golf et devient vite une star du circuit européen, avant même son passage chez les pros. En 2007, Rory est le meilleur amateur au British. Il conserve sa carte sur le DP World Tour en seulement deux épreuves (un record), avec notamment une 3e place sur l’Alfred Dunhill Links Championship. Il n’a que 17 ans… Déjà, certains le considèrent comme le futur Tiger Woods européen.
Et effectivement, les succès s’enchaînent. Deux ans plus tard, il remporte son premier titre, le Dubaï Desert Classic. En 2010, il conquiert son premier succès sur le PGA Tour (il en compte 28 aujourd’hui) à Quail Hollow et devient le vainqueur le plus jeune du tournoi à 20 ans, 11 mois et 28 jours. Le dimanche, il signe un 62 exceptionnel. L’année d’après, il écrase l’US Open en gagnant avec huit coups d’avance avec un score étourdissant de -16. C’est son premier Majeur, à 21 ans. On sait que ce ne sera pas le dernier…
Mais juste avant ce triomphe il y avait eu un premier accroc dans sa carrière. Le jeune Rory a mené largement le Masters. Le dimanche, il s’est élancé avec quatre coups d’avance. Avant de craquer complètement avec un terrible 80 (+8) dans ce dernier tour. Au trou 10, son drive en hook s’est égaré dans les maisons qui bordent le parcours. Triple bogey…
3 889 jours, une si longue attente
Une péripétie pense-t-on alors. Car le gamin surdoué devenu un homme pressé de gagner s’est donc vite remis de cet accroc. Il remporte ensuite le PGA Championship en 2012, puis l’Open britannique et le PGA Championship en 2014. McIlroy ne va pas en rester là, c’est une évidence. La pureté de sa frappe de balle exceptionnelle fait l’admiration des plus grands. Son jeu est complet, sa puissance est inégalée. Il s’est construit un corps d’athlète. Le Nord-Irlandais veut dominer son sport et tous les voyants sont au vert pour qu’il le fasse.
A cette époque, le fait qu’il n’a pas encore remporté le Masters semble anecdotique. « Il va gagner entre 10 et 15 Majeurs », estimait Jack Nicklaus après la victoire du Britannique au Congressionnal. « Il a tout le temps du monde pour gagner le Masters, disait l’année d’après le Golden Bear. Il va le gagner bientôt et il va gagner beaucoup d’autres Majeurs. »
Sauf que non. Rory McIlroy, à la surprise de tous, n’a plus gagné un Majeur pendant 3 889 jours.
De août 2014 à ce jour de grâce, ce 13 avril 2025, il est allé de déception en déception, de presque victoire en maudites places d’honneur. Ses échecs les plus douloureux sont récents. L’Open britannique 2022, pour la 150e édition du tournoi à St Andrews, quand il mène de deux coups à neuf trous de la fin avant d’être trahi par son putting. Et que dire de l’US Open 2024, quand c’est de nouveau son putting, alors qu’il mène à trois trous de la fin face à Bryson DeChambeau, qui le lâche.
Une pression comme un golfeur n’en avait jamais connue
Contre vents et marée, l’ex n°1 mondial a continué de gagner sur les plus gros tournois du PGA Tour pendant toutes ces années. Mais dans les Majeurs, ses nerfs l’ont trahi. Tant et tant de fois. Et il s’est relevé. Tel un boxeur qui reçoit des uppercuts pleine face, le poids lourd Rory McIlroy a subi des KO mais son courage et sa ténacité ont fini par être récompensés.
Dans ce triomphe absolu à Augusta, il doit beaucoup au psychologue Bob Rotella, à qui il a tant parlé pendant ce Masters où à l’image de sa carrière, il a connu des hauts (très hauts), avec plusieurs coups géniaux dans ce dernier tour, mais aussi des bas. Des incroyables bas, avec deux doubles bogeys dimanche, dont celui totalement incompréhensible du 13. Et puis ce coup de wedge plein bunker au 72e trou alors que l’affaire semblait pliée.
Mais tout s’est terminé en apothéose. Ces maudits démons qui ont rodé autour d’Augusta pendant 19 trous étouffants se sont évaporés avec un dernier coup de génie.
Un si long dimanche de fiançailles
Rory a su faire face à cette incroyable pression qui pesait sur ses épaules ce dimanche. Car un échec de plus, qui plus est dans le seul Majeur qui manquait à sa collection, dans celui qui est le plus prestigieux, aurait été immensément douloureux, alors qu’il était en tête. Bryson DeChambeau, son premier rival, puis Justin Rose, dans ce dénouement étouffant, avaient tout à gagner. Rory, lui, avait beaucoup, beaucoup à perdre.
On n’est pas sûr que dans l’histoire du golf, dans son entièreté, qu’un golfeur ait jamais été autant attendu, espérer gagnant avant ce dernier tour. Même le public et les médias américains étaient totalement en sa faveur.
Au terme d’un long dimanche, les fiançailles entre Rory McIlroy et le Masters d’Augusta ont été réussis. Le golf peut dire merci à ce champion d’exception qui entre ici au Panthéon de son sport… Il rejoint Gene Sarazen, Ben Hogan, Jack Nicklaus, Gary Player et Tiger Woods au rang des monuments qui ont réussi le Grand Chelem. Il le sait, plus rien ne sera jamais comme avant pour lui.
« Il y avait tant de poids sur mes épaules, tant d’attente pour ce Grand Chelem. Je suis fier d’y être arrivé. Je suis content d’avoir répondu à tous ces obstacles, tous ces écueils… »
Entre ici, Rory, ton cortège d’échecs douloureux est désormais loin derrière toi…
©The Masters