La révolution promise par la loi Labbé au 1er janvier 2025 sur les parcours de golf attendra. Sans diminuer la portée de ce texte fondateur qui va dans le sens de l’histoire, la liste des usages dérogatoires finalement mise en œuvre pour préciser la loi (l’éventualité d’une liste dérogatoire était prévue par le législateur dès 2014) repousse le redouté moment du « zéro phyto ». De nombreuses solutions sont à l’étude pour anticiper ce moment qui paraît inéluctable malgré toutes les craintes qu’il suscite pour les filières sportives évoluant sur des gazons naturels, dont le golf. La question environnementale dans le monde du golf reste un vaste sujet qui englobe autant l’utilisation des produits phytosanitaires que la gestion de l’eau. Au moment de l’application de la loi Labbé, certes édulcorée en attendant une éventuelle exécution stricte, nous nous sommes concentrés sur l’utilisation des produits phytosanitaires et leur impact. Nous verrons dans une seconde partie les solutions envisagées pour tenter de s’en passer, aidés de spécialistes reconnus.
L’arrêt de l’utilisation des molécules chimiques toxiques et un retour au naturel est dans l’air du temps. C’est vrai pour les pelouses qu’elles soient récréatives ou sportives, publiques ou privées. C’est vrai également dans le domaine agricole avec le boom des produits bio dans les années 2000. Mais la réalité oblige à des avancées mesurées, notamment lorsqu’aucune solution de biocontrôle n’existe pour combattre une pression des nuisibles de plus en plus importante suite au réchauffement climatique. La loi Labbé offre un véritable cadre à une avancée vers l’abandon total des produits phytosanitaires sur l’ensemble des terrains sportifs engazonnées. Mais le législateur savait dès son élaboration en 2014 qu’il fallait une soupape de sécurité concernant notamment les fongicides si importants dans l’entretien des greens de golf.
Un besoin de lutter contre les champignons sur les greens
Le constat que Golf Planète avait déjà relevé dès 2020 reste d’actualité : les champignons attaquent régulièrement les greens de golf. Certains appellent ça une maladie, Stéphane Rouen, gérant de GK Consult, préfère parler tout simplement de champignons. «On parle de maladie, mais en fait ce sont des attaques de champignons neuf fois sur dix. Le gazon dans la nature, il pousse jusqu’à 50cm, explique-t-il. Nous on a besoin de couper à ras pour les greens (à peu près 3 mm). Ce n’est pas l’état naturel du gazon. Il est soumis à un stress et devient plus sensible. Il faut donc aider le gazon a résister aux attaques extérieurs comme les champignons, les ravageurs. Et on n’a parfois pas d’autres solutions que d’utiliser des produits phytosanitaires. »
On peut effectivement difficilement imaginer putter sur un gazon de 50cm de haut. Alors comment éviter l’émergence des champignons sur des greens stressés, coupés ras, sans utiliser de produits phytosanitaires ? Pour le moment, aucun fongicide de biocontrôle n’a apporté les preuves de son efficacité. Particulièrement touchée cette année par le dollar spot (principal maladie causée par un champignon ravageur de green avec la fusariose), la Normandie a souffert de l’humidité et de la chaleur, propices à son développement. « Quand on me demande comment je fais pour avoir des greens aussi jolis. Je ne mens pas. Je leur dis que je traite. Je traite ! Mais avec les bons produits et au bon moment», avoue Yoann Tanneau, directeur et greenkeeper du Golf d’Omaha Beach.
Un impact très limité, mais pas (très) anodin
Si Yoann Tanneau évoque principalement les greens, c’est parce qu’ils concentrent l’écrasante majorité des traitements. Les surfaces traitées sont donc très réduites puisque les greens représentent en moyenne 2% de la surface d’un golf. Les 700 parcours de golf français (moins de 500 sont des 18 trous) ont une superficie moyenne de 50 hectares, soit une surface de greens totale de 700 hectares sur l’ensemble de la France, moins que certaines exploitations géantes de plus de 1000 hectares chacune, qui jalonnent nos campagnes françaises… et qui ne sont pas soumises aux restrictions de la loi Labbé (nous y reviendrons plus tard…)
Si les greens sont ainsi chouchoutés, c’est parce que c’est l’endroit qui requiert le plus de précision. Le tapis de jeu doit être proche de l’irréprochable. « Le golf est un sport de précision, ce ne sera plus vraiment le cas si la balle est déviée par du dollar-spot par exemple. Ça me dérange et ça dérange tous les golfeurs», reconnaissait M. Tanneau. « Si la balle ne roule pas droit, ça perd de son intérêt, ajoutait Rémy Dorbeau, président de l’AGREF & Écoumène. « On a besoin de greens qui se rapprochent le plus possible des greens de compétition pour permettre à d’éventuels futurs champions de s’entraîner dans de bonnes conditions», complétait Gérard Rougier, directeur territoires & environnement, DTN adjoint de la FFGolf.
Un coût non négligeable pour les parcours de golf
La chaleur et l’humidité sont deux facteurs aggravants et les modèles météorologiques ne sont guères optimistes. Il est donc malheureusement encore nécessaire de traiter les greens pour le moment, tant que des solutions n’ont pas été trouvées. Les traitements administrés sont par ailleurs réduits au maximum avec des produits actifs très dilués et une fréquence d’application minimum (on évoque en moyenne cinq traitements par an). Les produits sont chers et dangereux et personne n’apprécie de les utiliser. « On est autour de 3000 euros par hectare et par traitement. » avançait Rémy Dorbeau, également directeur du prestigieux Golf de Chantilly. « On ne traite pas plus qu’avant, mais les produits coûtent de plus en plus cher, regrette Yoann Tanneau. J’espère au moins que dans cette augmentation des prix, il y a une part qui va à la recherche pour nous proposer rapidement des solutions alternatives. On ne demande que ça de se passer des produits phytosanitaires. »
Le gazon végétal d’un green est très dense et il y a beaucoup moins de risque pour l’environnement que dans un champ
Rémy Dorbeau
L’impact sur l’environnement est d’autant plus limité que la forte densité du gazon d’un green permet de minimiser l’infiltration des produits dans le sol. « Le gazon végétal d’un green est très dense et il y a beaucoup moins de risque pour l’environnement que dans un champ, précisait M. Dorbeau. La feuille et la racine ont la capacité à stocker les produits et à les dégrader en partie. Et les résidus de tonte sont conservés dans un phyto bac homologué par le ministère de l’écologie pour continuer de dégrader les molécules. »
Les risques sont très limités, mais le risque zéro n’existe pas
Jean-Paul Sampoux, INRAe
Car les produits ne sont pas neutres et les produits sont plus stockés que dégradés. « La biodégrabilité des herbicides et des fongicides est théorique, tempère Jean-Paul Sampoux, ingénieur agronome à l’INRAe et spécialiste du gazon. L’impact potentiel sur l’environnement n’est pas négligeable. Même si je sais que les greenkeepers font du bon boulot et qu’ils essaient d’utiliser le moins de produits possible. Ils doivent jongler entre l’exigence d’un beau green et un compromis avec le respect de l’environnement. Je sais qu’il y a des contrôles réguliers. On ne peut pas faire n’importe quoi, n’importe quand n’importe comment. Les risques sont très limités, mais le risque zéro n’existe pas.»
Quand on utilise un produit phytosanitaire, c’est vraiment parce qu’on n’a pas le choix
Stéphane Rouen, GK Consult
Des traces de pollution liée à l’usage de produits phytosanitaires sur les parcours de golf n’ont vraisemblablement jamais été retrouvées dans la nature officiellement, même s’il est impossible de l’affirmer catégoriquement. « Quand je suis arrivé à Granville vers 2008, nous n’avions pas le droit d’utiliser de produits phytosanitaires. Et ça marchait, expliquait Stéphane Rouen, un des pionniers du golf écologique en France. Mais on a quand même eu cinq dérogations en dix ans. On n’a pas pu vraiment faire du zéro phyto stricte. Quand on a utilisé les produits, les organismes de l’état sont venus pendant plusieurs mois prélever régulièrement dans les eaux destinées à la population. Et jamais ils n’ont trouvé la moindre trace des produits qu’on avait utilisés. »
Les fongicides principalement utilisés sur les greens ne sont cependant pas anodins. Ils représentent un danger pour les populations avoisinantes, les joueurs et surtout les utilisateurs des produits. Les greenkeepers et les jardiniers sont donc soumis à la double peine. Mais les risques sont extrêmement limités. Les personnels sont formés à l’utilisation des produits et équipés en fonction pour protéger leur santé et celles de leurs congénères. « Les produits coûtent cher. Ils sont dangereux pour nous quand on les utilise. D’ailleurs on a aussi des obligations de fermeture après l’application des produits entre 6 et 48h en fonction des produits. C’est un choix compliqué économiquement de devoir fermer le parcours. Donc quand on utilise un produit phytosanitaire, c’est vraiment parce qu’on a pas le choix», confirme Stéphane Rouen.
Un amalgame avec l’agriculture défavorable
Malgré toutes les précautions d’usage, le golf est parfois montré du doigt par les défenseurs de l’environnement comme étant une source de pollution, notamment à cause de l’utilisation des produits phytosanitaires et la gestion de l’eau (ce dernier point n’est pas concernée par la loi Labbé et nous tâcherons de l’aborder dans un prochain dossier). L’amalgame est d’ailleurs souvent fait avec le monde agricole (lui non plus pas concerné par la loi Labbé) de la part des défenseurs de l’environnement. Pour appel, 95% des produits phytosanitaires utilisés en France le sont par l’agriculture. L’amalgame est d’autant plus vite réalisé que l’image d’un sport bourgeois, qui n’hésite pas à piller les ressources en eau, continue de coller à la peau du golf. De nombreux parcours ont d’ailleurs été saccagés ces dernières années par des particuliers zélés ou des associations qui ont même parfois revendiqué ouvertement leur geste pour le moins cavalier, se sentant dans leur bon droit « au nom de la défense du vivant ».
« On a encore eu des greens saccagés sur le Golf Barrière Deauville à l’été 2024 avec des tags anticapitalistes, déplorait Stéphane Rouen. On reprochait l’utilisation de potentielles terres agricoles en terrain de golf. Mais S’il n’y avait pas de golf ici depuis 1929, il n’y aurait certainement que des villas avec vue sur mer. Et certainement pas des terres agricoles. »
Un parcours de golf, une chance pour la biodiversité locale
Il est certain que les parcours de golf apportent leur lot de pollution, tout comme l’ensemble des transports, l’intégralité des moyens qui créent de l’énergie (fossile ou non) ainsi que tous les êtres humains qui habitent cette planète, à leur échelle plus ou moins modeste. L’industrie du golf l’a bien compris et elle tente de minimiser son impact négatif… tout en rappelant son impact positif. Car les terrains de golf sont aussi de formidables puits de biodiversité.
« Un golf est un véritable poumon vert. Avec une biodiversité incroyable », martèle Stéphane Rouen. «Le golf a un vrai rôle de capture du CO2. Il agit comme une prairie. Il participe à l’évapotranspiration en limitant également la hausse des températures par rapport à des surfaces goudronnées par exemple. Il faut expliquer tout ça aux gens et démocratiser la pratique du golf en proposant sa pratique au collège par exemple. Ça permettra de sensibiliser les jeunes», propose Jean-Paul Sampoux. « On maintient des milieux ouverts prairiaux en dehors des zones de jeu en les laissant le plus naturel possible. Le milieu prérial diminue de manière dramatique en France. Et les golfs apportent cette préservation. Les espaces qui ne sont pas destinés au jeu doivent servir à la promotion de la biodiversité. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la dérogation concernant l’utilisation des produits phytosanitaires ne s’applique que sur les départs, les fairways et les greens », concluait Rémy Dorbeau.
Cet espace de biodiversité que représente un parcours de golf reste néanmoins encore perfectible pour minimiser son impact environnemental négatif afin que la balance penche définitivement du bon côté. La recherche s’oriente vers des modes d’actions diversifiés comme des produits de biocontrôle qui pourraient remplacer les produits phytosanitaires actuels, de nouvelles graminées qui résisteraient mieux aux maladies, ou encore l’utilisation de pelouses synthétiques. Nous verrons la semaine prochaine comment s’est organisée la recherche pour proposer des solutions aux amoureux du golf… qui devront peut-être eux aussi accepter de s’adapter aux conséquences du changement climatique.