Il y a quelques mois, Golf Planète avait publié un long article sur Golf et Psychanalyse signé par Sandrine Vialle-Lenoël. Il avait été lu et commenté par beaucoup de nos lecteurs comme son article suivant paru le jour du déconfinement : « Nous ne jouerons plus de la même façon ».
Aujourd’hui, nous restons dans le domaine de l’introspection … et du golf en vous proposant un second point de vue traitant de l’inconscient des joueurs. Il s’agit de l’intégration de l’hypnose à la préparation mentale d’un golfeur.
Laurent Favarel nous propose cette réflexion qui intéressera beaucoup de golfeurs, pros et amateurs. Ancien membre de l’équipe de France militaire de cyclisme, c’est au cours d’une préparation à un championnat du monde qu’il a découvert les techniques d’optimisation du potentiel (TOP). Cette discipline propre à l’armée, fait appel à des fondamentaux basés sur les pratiques de la respiration, la relaxation et l’imagerie mentale. En parallèle à sa carrière militaire, Laurent est sorti du giron pour se former à la sophrologie et à l’hypnose. La première gère le stress, la seconde développe les capacités d’adaptation des athlètes, notamment leur habileté gestuelle.
Préparateur mental, il a collaboré à la revue de l’hypnose et de la santé « Transes » (Dunod), à la revue des entraîneurs français d’athlétisme « AEFA » et au magazine « Sophrologie, pratiques et perspectives » (Soteca). Psychanalyste fédéré, président de l’association « Mental+Sport » à Toulon, il fait partie de la Société Française de Psychologie du Sport.
Des illustrations de Bud Chapman en hommage
à l’artiste américain mort cette semaine
Nous avions déjà choisi des peintures de Loyal (Bud) Chapman pour illustrer certains papiers.
Cet artiste golfeur plein d’imagination, de lucidité et d’humour est mort jeudi dernier chez lui dans le Minnesota à l’âge de 97 ans.
Son ouvrage « Infamous Golf Holes » devrait figurer dans toutes les bibliothèques des golfeurs du monde. Golf Digest, en 1975, avait publié les premiers dessins de cet artiste génial qui avait été aussi caddie et avait disputé l’US Amateur et l’US Senior Open.
Peter Dye avait avoué avoir été inspiré par ses dessins…
Intégration de l’hypnose à la préparation mentale d’un golfeur
Le « flow »[1] est un état idéal de performance conceptualisé par Mihaly Csikszentmihalyi[2], un des pères de la psychologie positive aux États-Unis. Une belle image correspondant à cet état consiste à imaginer un joueur qui marche sur l’eau ; en réalité, il ne faut pas écarter l’éventualité que ce joueur tombe dans l’eau !
Aussi, une préparation mentale consiste à coller à la réalité d’un golfeur. Plutôt que de lui promettre monts et merveilles, le travail peut reposer sur ses réelles capacités :
- Capacité à contenir le stress provenant des frustrations ;
- Capacité à limiter la dispersion de l’attention ;
- Capacité à ajuster un comportement.
Le fil rouge reliant ces trois piliers est la nature de son dialogue interne (schéma n°1).
La pratique de l’hypnose permet à un joueur de prendre de la hauteur et de s’observer alors qu’ il était sous pression. L’intention est qu’il identifie lui-même des habitudes de pensée inopérantes dans l’action : « c’est parce qu’un comportement a été pensé en hypnose qu’il peut être ajusté ou modifié ».
Avant d’en arriver là, j’ai souhaité décrire ce qu’est l’état de transe sur un parcours. Si ce terme ne vous convient pas, vous pouvez le remplacer par le « flow ». Plus bas, j’explique les similarités entre la transe et le « flow ». Cette description m’a permis d’opérer la liaison avec les raisons de l’intégration de l’hypnose à la préparation mentale d’un golfeur.
Ce que nous dit Jean Van de Velde à Carnoustie en 1999
Le premier volet de ce papier revient sur la performance de Jean Van de Velde (JVDV) sur le parcours de Carnoustie en 1999. Si son histoire s’est mal terminée sur le 18 du quatrième jour, on peut dire qu’il a marché sur l’eau pendant la majeure partie du tournoi.
J’ai la conviction que la transe est un état naturel se manifestant spontanément sur un parcours. Elle est aussi fragile, voire instable. Pour aller dans ce sens, j’ai choisi de mettre en avant deux témoignages : ce sont ceux de Jean Van de Velde (JVDV) et de son caddy Christophe Angiolini. Il y a vingt ans, JVDV est passé à deux doigts de commettre un crime de lèse-majesté : remporter un Majeur, et l’Open, en terre britannique.
On a l’impression que rien ne peut l’atteindre,
en fait je dirais presque que c’est de la transe…
Quand JVDV se qualifie pour disputer le « British Open 1999 », l’épreuve est de retour en Écosse sur le site emblématique de Carnoustie. Durant les trois premiers jours de compétition, les joueurs font face à des conditions météorologiques éprouvantes. Le haut niveau d’adversité combiné à l’hostilité des éléments, n’ont pas raison de l’habileté du numéro 1 français.
Avant de céder, JVDV paraît intouchable, peut-être qu’imperturbable est plus approprié. A ce propos, décrivant l’impression que laisse le Français sur ses adversaires, un rédacteur du journal l’Équipe trouve une formule explicite : « Seul, sur sa planète ». Vingt ans après, voici ce qu’en dit JVDV au cours d’un reportage[3] télévisé consacré à cet épisode : « C’est comme si j’étais là, et j’étais seul avec Christophe[4]…on joue ce tournoi de golf, on joue ce parcours et on avance trou après trou, comme si on jouait contre le parcours…le futur n’existe même pas…vous êtes là et maintenant » . Sur les images d’archives, JVDV semble dissocié de toute agitation extérieure. Impassible dans les moments clés de la partie, il flirte avec tact et sans trembler avec ses propres limites.
Dans le reportage, son caddy poursuit par une étonnante confidence : « On a l’impression que rien ne peut l’atteindre en fait, je dirais presque que c’est de la transe, on est presque en transe à ce moment-là ». Même si à la suite d’un improbable concours de circonstances défavorables, l’histoire de JVDV s’est mal terminée sur ce tournoi, rares sont les joueurs qui ont su faire preuve de constance sur un parcours aussi difficile, devant la « crème » du circuit[5].
L’impressionnante habileté de JVDV durant les quatre jours de compétition, est peut-être à aller chercher dans des propos qu’il a tenus cinq ans auparavant. Après une première expérience sur le golf de Carnoustie, il apprend par un ami que l’Open britannique s’y tiendra quelques années après. Ne se sentant pas suffisamment armé face à ce parcours hors du commun, il lui répond : « Ce n’est pas grave, je n’irai pas ». JVDV s’est peut-être défait de la pression ce jour-là, allez savoir…Comme il est difficile d’imaginer ce qu’il a pu ressentir à l’attaque de ce qui aurait pu être le dernier trou du tournoi, alors qu’il avait trois coups d’avance.
A quoi reconnait-on un golfeur en transe ?
C’est en essayant de comprendre les origines du bonheur que Mihaly Csikszentmihalyi a isolé le concept de « flow ». Ce concept s’incarne dans un golfeur en parfaite osmose avec son environnement de jeu. Ignorant la crainte, balayant les hésitations, il passe sans effort apparent sur les effets du stress dans l’action. Le « flow » est un état idéal de performance, également appelé la « zone », il présente de grandes similitudes avec la transe hypnotique.
La transe a traversé les âges et les cultures, elle est un état de conscience vieux comme Hérode. Chez nous, elle est appréciée des artistes : peintres, musiciens, sculpteurs, danseurs, chanteurs et écrivains s’en nourrissent copieusement. En dehors de ces univers, on en parle peu. Le sujet serait-il tabou ?
Beaucoup de golfeurs réguliers peuvent témoigner d’une transe spontanée. Elle s’invite directement sur le parcours, dans l’action, sans prévenir. Dans cet état le joueur ajuste ses coups sans trembler, sans hésiter, peu importe le niveau de difficulté. Dit autrement, il joue à son meilleur niveau, évite des erreurs en maîtrisant les risques liés à ses décisions. Ce qui me fait dire qu’avant d’être positionné pour jouer, le golfeur est déjà dans cet état de franche lucidité.
Puis, son corps se met en mouvement dans une expérience plus intuitive que pensée, produisant un geste juste, délié de tensions parasites. Sa conscience traite exclusivement les informations utiles à son corps dans l’action. Le club n’est plus perçu comme un objet rapporté, il s’intègre dans le prolongement des bras pour ne faire qu’un avec le corps en mouvement. Cette représentation pourrait s’accorder à l’empreinte qu’a laissée JVDV à Carnoustie. D’autant plus quand il explique qu’au moment de jouer, il a su s’isoler de l’ensemble des distracteurs extérieurs. Il était régulièrement dissocié des réactions émotionnelles du public, comme à côté, dans une réalité décalée. L’excitation générale des spectateurs, pas plus que l’agitation des photographes n’avaient de prise sur son golf. Ces précisions apportent un éclairage précis sur un signe que je qualifie de central : un golfeur en transe joue et se déplace sans précipitation, il impose son rythme dans le jeu.
Juste avant qu’il ne s’engage dans son geste, le regard du joueur est fixe, il ne cligne pas des yeux et ne déglutit pas. Sa respiration est calme, régulière, le visage n’est pas crispé outre mesure. Les signes extérieurs ne sont pas forcément ceux du plaisir de jouer ou de la peur de mal faire. Le golfeur est habité par une sorte de neutralité, facilement perceptible sur les traits de son visage qui en disent long sur la profondeur de sa concentration. Son comportement général tend vers des fondamentaux maîtrisés, son audace s’affirme dans les moments opportuns. La conscience du golfeur est exclusivement orientée sur le jeu. Dans cet état, les sentiments sont secondaires. Si plaisir il y a sur le moment, il est forcément relégué au second plan car ce sentiment est le résultat d’une analyse.
Quand les sentiments sont en toile de fonds pour la durée de l’action, l’allongement du temps d’hésitation est soit gommé, soit limité. La concentration barre l’intellect ; le joueur évolue dans ce que l’on appelle communément l’« ici et maintenant » ou le « là et maintenant » dixit Jean Van de Velde.
L’hypnose pour jouer dans l’ « ici et maintenant »
C’est sans le vouloir qu’un individu dissocie ce qu’il pense de l’action qu’il est en train de mener. Cette modification de l’état de conscience se vérifie pour chacun d’entre nous quand nous nous engageons dans des actions répétitives. Lorsque nous conduisons par exemple, il arrive que la plus grande partie de notre attention soit absorbée par des préoccupations diverses : la pensé se dissocie de l’action en cours de réalisation. Reste présente une part de vigilance qui nous ramène à l’action de conduire en cas de danger. A cette dissociation s’ajoute une distorsion du temps : une période de trente minutes en paraît dix. Dans d’autres circonstances, la dissociation et la distorsion du temps valident l’état de « transe » hypnotique, ce qui me fait dire que la transe est un état de conscience naturel.
Quand un golfeur dans sa bulle joue au meilleur de ses capacités, il se dissocie de l’environnement externe pour n’en conserver que les informations pertinentes ; durant quelques secondes il perd la notion du temps car il est absorbé par l’action.
Ceci dit, on retrouve également la dissociation et la distorsion du temps dans un processus de déconcentration. Au lieu de viser l’action, le golfeur pense par exemple aux conséquences du coup qu’il se prépare à jouer, ou se laisse aspirer par des pensées négatives en lien avec le trou précédent (schéma n°2).
En expérimentant l’hypnose, un golfeur se dissocie inconsciemment de l’environnement externe, pour se plonger dans son intériorité[6] avec l’aide d’un opérateur[7]. Il se reconnecte consciemment à cet environnement en fin de séance, en réveillant ses sens.
Une fois sur le parcours et en position de jouer, si son attention se disperse involontairement à cause d’une variété de frustrations mal supportées, il s’en rend compte rapidement. Habitué par les séances d’hypnose à diviser ou focaliser son attention à la demande, il est à même de réagir en situation de jeu pour ramener volontairement la visée de son attention au présent, sans que cette saute de concentration ne le déstabilise pour un temps trop long.
L’entraînement en hypnose ne donne pas de supers pouvoirs, il peut permettre à un golfeur d’ajuster la visée de son attention dans les moments clés d’une partie. Un des bénéfices les plus visibles est la diminution du temps d’hésitation dans l’action. Pour cet objectif, une proposition consiste à travailler à l’intérieur de la transition qui va du geste imaginé au geste réalisé : quand un joueur se met en position devant la balle jusqu’à ce qu’il s’engage dans son geste. Dans ce court espace, l’intention est d’ inhiber les pensées qui sont susceptibles de plonger un golfeur dans les conséquences de son coup (futur/imagination), ou bien de le ramener pour un temps trop long sur ce qui s’est mal passé auparavant (passé/souvenirs). Ce mécanisme est abordé photos à l’appui dans le second volet de ce papier. Une partie pratique réalisée avec Laurent Mastoumecq[8], à proximité de Brignoles dans le var (83). Elle donnera une représentation de la préparation de la séance, de son déroulement et le point le plus important, le retour d’expérience du golfeur suite à un travail de près de trois heures.
Laurent Favarel
La semaine prochaine, 2e partie : présentation d’une partie pratique avec une séance d’hypnose réalisée par un pro enseignant français au golf de Barbaroux
[1] C. Sikszentmihalyi, The Evolving Self, N.Y, H&R, 1993 / Flow : The psychology of Happiness, London,Rieder, 1997.
[2] Psychologue Hongrois, né en 1934, ancien directeur de département de psychologie de l’université de Chicago.
[3] Intérieur sport, « Presque parfait », canal+, 2019.
[4] Christophe Angiolini, caddy de JVDV.
[5] Tiger Woods (E-U), Greg Norman (AUS), Paul Lawrie (ECO), Justin Leonard (E-U), Angel Cabrera (ARG) etc…
[6] Affects, émotions et sentiments
[7] Praticien de l’hypnose
[8] 4Golf, pro de golf à Barbaroux (83)
[9] Affects, émotions et sentiments
[10] Praticien de l’hypnose
[11] 4Golf, pro de golf à Barbaroux (83)