Seul français vainqueur aux Etats-Unis avec l’équipe européenne de Ryder Cup, Thomas Levet fait des Américains les favoris de cette 43e édition programmée du 24 au 26 septembre à Whistling Straits (Wisconsin). Explications.
Depuis le début du XXIe siècle, l’équipe européenne de Ryder Cup s’est imposée à sept reprises en neuf confrontations, dont deux fois sur le sol US. En 2004 puis en 2012. Comme à chaque fois ou presque, les Américains bénéficient pourtant des faveurs des pronostics juste avant le coup d’envoi, proposant le plus souvent une multitude de joueurs au sein du top 20 mondial. Ce qui est loin d’être le cas pour les Européens (onze Américains contre quatre Européens seulement au classement mondial du 12 septembre 2021). Mais cet état de fait ne suffit heureusement pas le moment venu. Sauf que cette fois, selon notre témoin privilégié, victorieux en 2004 à Oakland Hills (Michigan) sur un score sans appel (18,5 pts à 9,5 pts), il semblerait que les protégés du capitaine Steve Stricker possèdent les arguments nécessaires pour stopper l’hémorragie.
Propos recueillis par Lionel VELLA
Quelles sont les chances de l’équipe européenne de gagner à Whistling Straits ?
(Sans hésiter) Ce sera très dur. On le sait, les Américains, comme à chaque fois, sont très armés. C’est une équipe très solide. Avec des garçons qui s’apprécient. A l’exception toutefois de (Bryson) DeChambeau, qui est un peu exclu de tous les groupes (sic). Lui, c’est un cas à part. Mais je pense que Steve Stricker est assez intelligent pour gérer tout le monde. Avec un tel capitaine aussi expérimenté, aussi dur au mal, ça va être compliqué pour l’Europe.
Malgré la présence de six rookies dans cette équipe US contre seulement trois côté européen ?
Oui mais bon, quand on consulte la liste de ces rookies (Cantlay, English, Berger, Scheffler, Morikawa, Schauffele), c’est assez effrayant. Se coltiner Patrick Cantlay, qui vient de gagner la FedEx Cup, c’est tout sauf de la rigolade. Ces rookies sont les meilleurs joueurs du monde en ce moment… Cela va faire bizarre à cette équipe européenne que j’estime vieillissante.
Lowry, je pense que c’est mérité. Il a gagné l’Open britannique. Je suis plus réservé sur Ian Poulter. Il a beaucoup moins bien joué que Lowry et Garcia. Il est là juste par rapport à son aura en Ryder Cup.
Thomas Levet
Justement, que vous inspire les trois choix de Padraig Harrington à l’issue du BMW PGA Championship ?
Shane Lowry, je pense que c’est mérité. Il a gagné l’Open britannique (en 2019). Je suis plus réservé sur Ian Poulter. Il a beaucoup moins bien joué que Lowry et Garcia. Il est là juste par rapport à son aura en Ryder Cup. Harrington espère juste que la magie va se poursuivre… Mais attention, dans le golf, la sauce est toujours très difficile à maintenir à niveau, surtout quand on n’est pas en forme.
Sergio Garcia ?
Derrière Jon Rahm, il démontre qu’il est peut-être le joueur européen le plus solide sur le PGA Tour. Il est là depuis des années (25,5 pts en neuf participations. Un record) ! Lui, il fait peur aux Américains car il les côtoie depuis très longtemps. Beaucoup plus que les autres. Et c’est un garçon qui est extrêmement dur à battre en Match Play.
Lors des cinq ou six derniers Majeurs, à part Rahm, McIlroy ou encore Westwood, on n’a pas vu beaucoup d’Européens rivaliser en haut d’un leaderboard.
Thomas Levet
Quel est le point faible de l’équipe européenne ?
Ce serait certainement un peu moins de présence au très haut niveau, dans les grands rendez-vous. Lors des cinq ou six derniers Majeurs, à part Rahm, McIlroy ou encore Westwood, on n’a pas vu beaucoup d’Européens rivaliser en haut d’un leaderboard. Shane Lowry a gagné le British, mais ça fait plus de deux ans maintenant. Bref, il va falloir s’y mettre car pour moi, c’est un peu tendre.
Quelle sera la clé de ce duel ?
Je pense que ça va se jouer sur l’état de forme de certains hommes clés. Jon Rahm va-t-il rester ce Terminator, capable de tout fracasser ? Dustin Johnson sera-t-il enfin motivé par la Ryder Cup ? Brooks Koepka sera-t-il totalement rétabli après sa blessure (au poignet durant le TOUR Championship) ? Jordan Spieth va-t-il confirmer son retour à son meilleur niveau ? Il y a plein d’interrogations. Mais si tout le monde joue sur ses valeurs actuelles, les USA ont un petit avantage.
En 2004, Bernhard Langer nous mettait en confiance avec des petits mots qui faisaient mouches. Quand on a un bonhomme aussi charismatique que lui en face de vous et qui vous met en confiance, on peut déplacer des montagnes.
Thomas Levet
Vous êtes le seul français à avoir gagné aux Etats-Unis avec l’équipe européenne de Ryder Cup. C’était en 2004 à Oakland Hills (Michigan). Quelle est la recette pour l’emporter là-bas ?
Il faut que le capitaine mette tous ses joueurs en confiance. Harrington a de l’expérience. Il a joué plusieurs éditions, il a été aussi à plusieurs reprises vice-capitaine. Il faut que ses rookies (Wiesberger, Hovland, Lowry) ne soient pas écrasés par l’enjeu. Et que les stars soient des leaders incontestables. Quand l’Europe avait perdu en 2016 (à Hazeltine), on avait vu Danny Willett, pourtant vainqueur du Masters, ne remporter aucun point. C’était alors impossible d’imaginer l’Europe sortir vainqueur de cette confrontation. Non, il faut que les leaders portent l’équipe et que les rookies soient transcendés par l’événement.
Quel message vous avait transmis Bernhard Langer, votre capitaine en 2004, pour infliger une telle déculottée à l’équipe US, battue 18,5 points à 9,5 ?
« Je veux gagner tous les matches ! » C’était ça son message. Il avait identifié pour chacun d’entre nous le rôle qu’on allait avoir durant la semaine. Bernhard avait organisé des entretiens individuels. Il m’avait dit : « Tu joues très bien en ce moment, j’ai besoin de toi en foursomes car tu drives très bien… » Il nous mettait en confiance avec des petits mots qui faisaient mouches. Quand on a un bonhomme aussi charismatique que lui en face de vous et qui vous met en confiance, on peut déplacer des montagnes. Grâce à lui, je me suis survolté. On avait un énorme respect vis-à-vis de Bernhard. Tactiquement, il n’y a pas meilleur que lui.
En termes de génération, Harrington est beaucoup plus proche de certains joueurs. Westwood, Poulter ou encore Casey ont pratiquement son âge. Ce sera donc un peu plus difficile…
Thomas Levet
Harrington a-t-il cette même aura ?
Pas autant, non. Il va falloir qu’il trouve la bonne formule. En termes de génération, il est beaucoup plus proche de certains joueurs. Westwood, Poulter ou encore Casey ont pratiquement son âge. Ce sera donc un peu plus difficile, selon moi… Le respect du capitaine, le respect de la parole du capitaine… Mais s’il arrive à balancer les bons mots au bon moment, ça peut faire la différence.
Le danger peut-il aussi venir du public américain qui, on le sait, n’est pas toujours très fair-play quand il reçoit sur ses terres ?
Je pense que les gars sont armés par rapport à ça. Ce sera une part importante du boulot d’Harrington de préparer ses hommes, notamment les moins expérimentés, à ce genre de paramètre. C’est incontestablement l’une des clés d’une éventuelle victoire de l’Europe dans le Wisconsin.
Photo : Harry How / Getty Images North America – AFP