Au cours des diverses enquêtes que nous avons menées tout au long de cette année, la thématique environnementale paraît bien la plus délicate à gérer. Et pourtant, il faudra bien se conformer dans des délais proches à la nouvelle réglementation dont Golf Planète s’est fait l’écho à plusieurs reprises, notamment en évoquant la loi Labbé qui entrera en application en janvier 2025 et interdira l’usage de produits phytosanitaires dans les espaces verts publics.
Il n’est plus temps de contester telle ou telle mesure qui nous paraîtrait trop radicale : il faut impérativement s’adapter dans un premier temps et assez rapidement changer de modèle.
La plupart des golfs français, à des degrés divers, l’ont bien compris et ont déjà entamé leur propre révolution technologique et écologique.
Le problème est devenu plus aigu encore pour les projets de golf qui, outre cette révolution, devront surmonter des difficultés de tous ordres.
Nous avons demandé à l’architecte Alain Prat, vice-président de l’Association Européenne des Architectes de golf, de nous faire un inventaire du parcours d’obstacles qui se dresse devant tout nouveau projet. Kafkaïen, c’est le mot ! Faut-il en rire ou en pleurer ?
Un autre architecte, Michel Niedbala, nous donne également son point de vue, élargit le débat aux golfs touristiques et déplore une trop grande frilosité française en face de la concurrence féroce venant des autres pays golfiques en Europe.
Dossier préparé par Denis et Roland Machenaud
« Les carnets de commande sont quasiment vides »
Par Alain PRAT, ancien vice-président de l’association européenne des architectes de golf
Golf Planète : Quelle perspective pour l’avenir de nouveaux parcours en France ?
Alain Prat : Avec un marché aujourd’hui atone, les carnets de commande des agences des architectes de golf sont quasiment vides. On compte sur les doigts de la main le nombre de projets qui voient ou verront le jour à court terme. Il s’agit essentiellement de golfs de la commande publique.
On peut être assez pessimiste sur le développement de nouveaux parcours qui désormais, des études de faisabilité préalable à l’ouverture du golf au public, prennent 8 à 10 ans, alors que seulement 3 à 5 années étaient nécessaires il y a encore 10 années. Un véritable parcours du combattant doit s’engager avec les administrations qui décernent les autorisations, les lois s’empilant comme un mille- feuilles d’année en année.
Sachant qu’un projet sera mis à l’étude en 2022, il ne sera donc opérationnel, s’il aboutit (un projet sur 5 est abandonné faute d’autorisation), qu’en 2032… Chaque Direction régionale administrative a sa propre « appréciation » vis-à-vis du golf, parfois subjective parfois victime de la pression des puissantes associations de défense de l’environnement. Pourtant, bien souvent les golfs constituent un véritable conservatoire pour la vie et le développement de la faune et de la flore ou des espaces naturels, utilisant pour la grande majorité des parcours une ressource en eau brute pour leur arrosage, c’est-à-dire impropre à la consommation (les besoins en eau sont aujourd’hui réduits au maximum grâce à l’utilisation de la gestion informatique pour l’arrosage et de nouvelles graminées peu gourmandes en eau, ce qui n’empêchera pas, à terme, que l’arrosage soit réduit comme par le passé, ou interdit sur les fairways de beaucoup de golfs, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose).
Parallèlement, la majorité des golfs s’oriente pour l’entretien des gazons et des végétaux, selon des conventions nationales, vers une utilisation zéro des produits phytosanitaires par la réduction graduelle des intrants pourtant homologués par la CEE. On est donc loin des cultures extensives du maïs par exemple, qui consomment de manière excessive eau et intrants (phyto, pesticides et autres). Également, la plupart des engins d’entretien de maintenance des golfs vont peu à peu réduire leur taux de pollution par l’utilisation de machines électriques. La politique actuelle dans les golfs cadre donc avec les orientations environnementales de la CEE en encourageant des pratiques écoresponsables de préservation de la biodiversité et du développement durable à la fois très en amont au niveau de la conception du golf et en aval dans la maintenance courante des parcours sous la responsabilité des intendants de parcours.
Redoutable : obtenir les autorisations nécessaires avec les contraintes actuelles
Comme stipulé ci-dessus, les autorisations nécessaires à la construction d’un golf deviennent de plus en plus difficiles à obtenir. Il faut une volonté très forte des politiques ou des promoteurs pour mener à terme un projet de golf (en dehors de tout contexte socio-politique).
Pour un golf dont la surface est supérieure à 4 hectares, ce qui est le cas de la majorité des parcours 9 ou 18 trous qui sont dessinés sur des surfaces comprises entre 25 et 70 hectares, avec des plans d’eau supérieurs à 3 hectares, la route menant aux autorisations finales est longue, très longue.
En effet, il est nécessaire, en complément de l’étude de faisabilité marketing de départ, de se conformer aux contraintes urbanistiques et environnementales des différentes administrations délivrant les autorisations.
Les nombreuses étapes à franchir
Cela passe par des études et des réunions abyssales avec les interlocuteurs des services de l’Etat et un certain nombre de documents de niveau supérieur tels que Loi Littoral, Directive Territoriale d’Aménagement (DTA), Charte de Parc Naturel Régional (PNR), Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT), Programme Local de l’Habitat (PLH), Plans de Déplacements Urbains (PDU), Schéma de Développement Commercial, Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE et SAGE), Direction du Territoire (DDTM) avec révision et mise en cohérence notamment des PLU par rapport à la Loi ALUR, les PPRI, les autorisations pour défricher (Ministère de l’Agriculture, Eaux et Forêts), les terrassements, les transports de terre ou organisation de décharges, les Permis de Construire pour les bâtiments et Permis d’Aménager pour les parcours, etc, etc…
Chapeautées par la DREAL sous couvert du Ministère de la Transition écologique, se rajoutent les contraintes liées aux Sites classés, aux ZNIEFF avec les préservations des Zones humides, des Zones et Espèces protégées, des prescriptions de la DRAC, du SRA, de l’INRAP en matière de classement de sites éventuels archéologiques (pour le Golf Normandie Côte d’Albâtre que j’ai livré en 2018, les fouilles archéologiques préventives ont nécessité un financement de 600 000€, pour un résultat peu convaincant, budget non prévu par la collectivité qui était prête vu le coût des fouilles à arrêter le projet).
Autant d’autorisations opposables aux tiers, et principalement aux Associations de Défense de l’Environnement qui peuvent bloquer l’aboutissement du projet dans ce processus kafkaïen qui contraint à la fois le maître d’ouvrage et le maitre d’œuvre. Il n’est pas rare que le dossier des études d’impact atteigne les 300 pages pour un golf de 18 trous auxquels se rajoutent les documents graphiques de l’architecte, des bureaux d’études spécialisés en irrigation, environnement ou en écologie (l’étude Faune et Flore doit se dérouler sur une année complète).
En attendant un Tiger Woods français
Une fois les études préalables effectuées, 2 ans minimum, les autorisations obtenues, 4 à 5 ans, se rajoutent la durée du chantier de 2 ans au mieux auquel se rajoute 1 année de maturation des gazons avant l’ouverture au public. Les 10 ans sont passés avant que le golfeur puisse taper sa première balle !
On risque donc, à moyen terme, que le développement et donc le nombre de golfs en France ne soit plus en adéquation avec la demande. On en serait presque à souhaiter que l’on n’ait pas en France l’émergence d’un talent tel qu’un Tiger Woods qui ferait exploser l’augmentation du nombre des joueurs de golf.
« IL EXISTE UNE BELLE MARGE DE PROGRESSION POUR LE TOURISME GOLFIQUE FRANCAIS ! »
Par Michel Niedbala, architecte de golf
La France est reconnue comme est un des géants du tourisme mondial et c’est également un pays de golfs et de golfeurs.
Paradoxalement, la France demeure malheureusement un nain dans le secteur du tourisme golfique. Pourtant l’offre semble déjà abondante…
Cependant, cette offre demeure par trop souvent mal structurée et d’une qualité beaucoup trop moyenne par rapport aux attentes des clientèles internationales.
Pour compléter ce constat, cette offre est soutenue par un marketing et une promotion aux abois.
Frilosité, frilosité, frilosité…
Aujourd’hui, la très grande majorité des projets de Golfs et ou de Golf Resorts peine à sortir de terre ou à se développer, pour diverses raisons :
– préparation trop succincte ;
– obstacles administratifs (très souvent) ;
– oppositions d’associations « écologistes » ;
– oppositions locales intéressées (politiquement le plus souvent) ;
– difficultés de financement.
Dans ce contexte, malheureusement, le paysage golfique français n’évolue plus,
et ne propose pas de grands Resorts de facture récente, alors que les touristes golfeurs et les golfeurs français sont par nature (de plus en plus) infidèles
et en quête de nouveauté.
À cela, s’ajoute le vieillissement des structures existantes, qui sont dépassées depuis de nombreuses années par les progrès des golfeurs, du matériel et de l’absence d’investissements pour améliorer l’offre, ou ne serait-ce que de la maintenir aux standards du jour…
L’épisode « Covid » a rebattu quasi radicalement les cartes du tourisme et des loisirs, qu’il soit hexagonal ou international.
Les voyages se déroulent déjà sur des distances plus réduites et pour des séjours plus courts ; on recherche davantage la proximité géographique pour ses loisirs ou ses villégiatures.
Pour une nouvelle stratégie de développement
Cette nouvelle orientation doit inciter tous les acteurs de la filière et au-delà
à penser et à préparer une nouvelle stratégie de développement du golf.
Par exemple, le niveau d’accueil en Resort de 5 étoiles est l’exception en France.
Les conditions d’accueil pour un tourisme haut de gamme ne sont pas réunies.
Plus généralement les catégories d’hôtels sur nos golfs sont proposées
en 3 et 4 étoiles, avec des capacités trop réduites qui ne permettent pas
de travailler avec des tours operators et/ou d’organiser des réunions (séminaires) d’entreprises…
N’oublions pas, que les golfeurs seuls ne constituent pas une clientèle suffisante pour faire vivre un hôtel.
Une programmation des équipements doit prendre en compte ces aspects,
ce qui n’a pas été très souvent le cas par le passé même récent.
Avez-vous entendu ce slogan : « La montagne ça vous gagne »… ?
Le constat en montagne est plus amer, les loisirs sur 4 saisons à la montagne ne restent encore qu’un vœu pieux. Le golf reste encore le grand absent des activités de loisirs offertes par la montagne.
Pourtant, le réchauffement climatique, les lits froids continuent à progresser et à enliser la montagne dans sa mono-industrie, sans qu’une véritable impulsion, au-delà des mots et des slogans, soit donnée pour inverser cette tendance.
Cette dernière situation résume et révèle de fait une vision à l’échelon national de nos politiques de développement, trop empruntée et trop timorée.
Quelle ambition viser pour cette filière, tout simplement celle de devenir visible sur le marché européen du tourisme golfique et mondial.
Ce marché à forte valeur ajoutée est un segment économique trop peu exploité.
Certains pays l’ont bel et bien compris depuis des années, et nous avons accumulé un retard conséquent par rapport à eux, mais non irrécupérable, si nous nous dotons d’une volonté suffisante et de moyens facilitant l’éclosion d’une véritable destination
Photos Alain Prat, Michel Niedbala, Golf Planète