Que devient Alejandro Reyes ? Le superintendant du Golf National pour la Ryder Cup 2018 est aujourd’hui un des consultants les plus demandés en matière d’agronomie. Il nous a accordé un long entretien exclusif pour aborder son parcours tout en revenant sur les enjeux présents et futurs en matière d’entretien de terrain.
par Sébastien Brochu
Dans cette première partie, Alejandro revient brièvement sur son expérience au Golf National qui a changé sa vie avant d’aborder son travail actuel qu’il mène au sein de sa société T.A.S.
En 2013, vous avez répondu à l’appel de la ffgolf pour devenir le superintendant du Golf National. Jeune, inconnu et inexpérimenté, vous avez remporté le morceau ! Avec le recul, comment l’expliquez-vous ?
Jeune mais pas si inexpérimenté que ça ! J’avais fait mes classes chez Nicklaus Design, mais il est vrai que d’autres avaient plus d’expérience. Je ne sais pas quoi vous dire, c’est délicat… Peut-être que je correspondais au profil d’une personne dynamique et particulièrement motivée pour le poste, prêt à tout donner pour le Golf National. Et j’ai su transmettre mon enthousiasme.
Il y a un détail qui aurait fait penché la balance en votre faveur…
Ah ! L’anecdote du français ? Oui. Mon premier entretien s’était déroulé normalement en anglais. Ensuite, dans la short-list des cinq candidats, il ne restait plus qu’un francophone. Je me suis mis alors en tête d’apprendre le français en un temps record… C’était risqué car je vous laisse imaginer mon niveau ! (Alejandro parle désormais très bien le français avec cet accent à la Pedro Delgado, très « maillot yaune »). La DRH m’avait bien précisé que, pour des raisons éthiques, si on commençait ainsi, il fallait le terminer en français… J’ai répondu oui et là, le jury s’est regardé d’un air de dire, « bon il est chaud le gars » ! Ca s’est très bien passé, mieux que je l’imaginais !
Vous avez été embauché tout de suite ?
Ah non, comme tout cadre en France, j’ai eu ma période d’essai ! Elle se terminait à l’Open de France 2013. Là aussi, honnêtement, ça s’est super bien passé… grâce à une équipe soudée et motivée.
Quelle a été la mission la plus dure à accomplir en six ans au National ?
Celle d’identifier au début les besoins réels, sans avoir droit à l’erreur. Imaginez si le National avait subi des travaux qui n’auraient servi à rien ! Le cahier des charges prévoyait quand même un budget assez limité et il fallait bien faire les choses.
Quelle est aujourd’hui votre fonction au National en vue des JO 2024 ?
J’ai un rôle de consultant agronome pour les équipes et spécialement pour Lucas Pierré, le superintendant actuel qui était mon assistant pendant la Ryder. Un grand professionnel. Dès que je reviens, je suis heureux, je me sens comme chez moi. Je souhaite être un appui pour les équipes, les motiver en leur offrant un gage de sécurité et de sérénité. Pour les JO 2024, je ne vois pas de soucis particuliers, il faut travailler dans la continuité et présenter notre parcours au plus haut niveau possible pour les athlètes.
Imaginons que vous devez préparer le National pour 2018 avec les contraintes environnementales de 2025 (moins d’eau et zéro produits phytosanitaires). Le résultat aurait-il été le même ?
Au risque de vous surprendre, nous aurions fait quasiment tout pareil. Le concept durable d’approche environnementale avait été choisi dès le départ : la récupération de l’eau de drainage, la construction d’un bassin de rétention d’eau, la rénovation du système d’arrosage… En revanche, j’aurais sans doute procédé à un changement de graminées sur les greens. Je l’avais d’ailleurs préconisé, mais l’European Tour, qui avait son mot à dire concernant la Ryder Cup, n’a pas voulu prendre le risque de changer : 95% des greens des « parcours Ryder » étaient jusque-là en pâturin annuel et ça c’était toujours bien passé.
Et le zéro phyto ?
C’est sûr, le zéro phyto aurait été une sérieuse contrainte supplémentaire pour la qualité des greens, des départs et des fairways… il y aurait fallu que la Ryder Cup se joue avec quelques mauvaises herbes sur les fairways…
Avec le zéro phyto, la Ryder se serait jouée avec quelques mauvaises herbes sur les fairways…
Quelles ont été les propositions que vous avez reçues après la Ryder ?
Sans vouloir donner de noms, j’ai reçu une très belle proposition d’un parcours réputé des Etats-Unis, en Asie aussi… Un peu partout finalement ! Mais vous savez, après avoir travaillé à un tel niveau au National, il est difficile de recevoir des propositions aussi motivantes.
En fait, vous aviez déjà une idée précise concernant votre avenir…
Figurez-vous que je le savais déjà au moment de commencer au National… Dès 2013, j’envisageais de créer ma société avec Sylvain Duval qui n’est autre que mon mentor. Le plus grand consultant français au monde. Sylvain avait d’ailleurs été contacté par la ffgolf pour la Ryder Cup mais il n’était pas libre. Il a toutefois suggéré un nom : le mien. Alors c’était vraiment clair dans ma tête, sauf si la Ryder 2018 avait été un échec. Dans ce cas, je serais resté.
Aujourd’hui vous êtes donc consultant au sein de votre propre société…
Je suis associé avec Sylvain Duval au sein de notre société T.A.S. (Turfgrass Agronomy & Services). Jusque-là, il avait toujours refusé de s’associer, mais un jour je lui ai dit : « Veux-tu devenir le n°1 européen de l’agronomie dans le golf ? ». Et maintenant, on est en passe de réussir notre pari ! T.A.S. est déjà présente sur 13 pays en Europe. Nous avons aussi une forte présence en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
Il est vrai que votre personnel a l’air très étoffé !
Nous sommes en train de grandir, lentement mais sûrement. Nous avons la chance de compter sur 10 professionnels repartis dans plusieurs pays. Pour nous, la priorité est de rester près de nos clients et réagir rapidement aux difficultés. En ce sens, nous avons racheté un bureau d’étude d’arrosage (la société française Imagineur). Un arrosage précis et efficient des parcours est prioritaire dans notre travail.
Que proposez-vous exactement ?
Nous sommes une société spécialisée dans le conseil agronomique des surfaces sportives engazonnées et plus précisément l’entretien, la conception, la rénovation et la construction des parcours de golf. Nous proposons également de l’audit et du conseil pour des clubs qui souhaitent connaître l’étendue des investissements à entreprendre.
Je suis fier d’avoir apporté de la notoriété au travail d’intendant
Le nom de Reyes facilite l’obtention des contrats ! Avez-vous conscience que vous êtes sans doute la star des greenkeepers ?
Aux yeux du grand public, je ne suis personne. Mais dans notre petit monde, il est vrai que j’ai acquis une petite notoriété grâce au travail réalisé au Golf National. Depuis mon début j’ai beaucoup travaillé pour la reconnaissance de notre métier, qui était trop souvent dans l’ombre. J’ai été actif sur les réseaux sociaux pour expliquer, montrer qu’on travaille aussi en équipe. C’est un des changements dont je suis le plus fier.
Alors quel budget faut-il pour se « payer » Reyes ?
Ahah… notre société propose plusieurs types d’interventions. En général, pour un conseil agronomique standard sur un an, nous effectuons une visite sur place tous les trimestres, rédigeons un plan agronomique très détaillé et apportons une assistance régulière par visioconférence. Ce contrat se situe légèrement en dessous des 12 000 €/an (hors frais de déplacement).
Quel est actuellement votre portefeuille de clientèle ?
Nous avons actuellement 80 contrats et notre clientèle est internationale. Nous venons de signer un gros projet au Vietnam par exemple. La France est notre marché principal : une trentaine de golfs français nous consultent.
Visiblement, ce ne sont pas uniquement des golfs prestigieux…
Non et j’y tiens d’autant plus que le travail est différent et parfois moins contraignant ! Certains golfs plus huppés ont une direction élargie qui ne facilite pas la prise de décision et quelques membres croient même en savoir plus que le consultant ! D’autres golfs n’ont clairement pas les moyens de leur ambition : les vœux du comité de direction ne sont pas réalistes. Alors notre rôle n’est plus seulement d’ordre agronomique, il consiste aussi à les orienter sur la politique générale du club. Nous leur apportons du réalisme justement qui permet souvent aux intendants d’avoir plus de moyens. La direction a souvent besoin d’un oeil extérieur qui lui apporte le bon argument pour investir.
Nous apportons plus de moyens aux intendants de terrain
Jouez-vous au golf ?
Oui, c’est important de jouer même pas très bien comme moi (index 18,5). C’est important de visualiser les différents coups et de se mettre dans toutes les situations de jeu ! Souvent, j’ai deux-trois balles dans la poche et je les lance pour voir leur réaction sur le terrain.
Mais c’est pas du golf ça, c’est du baseball !
Arrêtez… Vous voyez bien ce que je veux dire… Il est important de voir l’impact de la balle sur le green, son lie qui va influer sur la tonte, la fermeté du sable dans les bunkers pour évaluer son entretien, la difficulté des roughs…
Dans la seconde partie de l’interview, Alejandro Reyes évoquera les enjeux de demain en matière d’entretien, à commencer par le futur parcours de la Ryder Cup 2023 dont il est le consultant permanent.
@alejandroreyes ©DR