La terrible sécheresse qui touche le pays n’épargne pas les golfs de l’Hexagone. Les nombreuses restrictions, en fonction du niveau d’alerte décidé par les préfectures, mettent en péril la survie de certains parcours. À la Fédération, tout l’état major est sur le pont autour de Christophe Muniesa pour tenter de trouver des solutions et éviter une catastrophe. Le Président Pascal Grizot est lui en première ligne pour défendre la filière face aux critiques et à la stigmatisation de certains élus et responsables politiques qui n’hésitent pas à tirer à boulets rouges sur ce qu’ils considèrent comme un privilège… le plus souvent en total décalage sur l’utilisation de la ressource et la réalité économique de ces entreprises sportives.
Bien plus que la pluie tant attendue, c’est un déluge d’arrêtés préfectoraux qui s’abat sur la France depuis une semaine : interdiction de remplir sa piscine, de laver sa voiture, fermeture de douches publiques sur les plages… Chacun connait les mesures édictées pour faire face à la pénurie d’eau qui frappe la plupart des régions.
Inévitablement, cette crise touche de plein fouet les parcours de golfs avec des restrictions très sévères encadrées selon les accords passés entre les pouvoirs publics et la Fédération française de golf (FFG).
Elles suivent une échelle graduée de quatre niveaux selon la gravité de la situation estimée par les Directions Départementales des Territoires et en fonction des niveaux d’eau de chaque bassin.
Il arrive donc parfois que les niveaux d’alerte diffèrent pour des communes d’un même département.
L’exemple du Loiret
Dans le Loiret, la situation varie ainsi d’un bassin à l’autre. Les golfs suivent l’évolution sur le site de la préfecture. Aux Aisses, on est en zone rouge sur la carte de limitation provisoire d’usages d’eau. Cela signifie que l’état de “Crise” a été atteint.
« Cela fonctionne par bassin versant. Aux Aisses, je ne peux plus arroser… Seulement les greens », confie Christophe Berthet, le directeur du parcours solognot. À quelques kilomètres plus au nord, à Limère, sur la commune d’Ardon, la situation est à peine moins dramatique. «Nous sommes en alerte renforcée, donc pas d’arrosage des fairways mais les greens et les départs sont préservés. À Donnery, « nous ne sommes qu’en vigilance, donc nous pouvons arroser la nuit les zones que nous souhaitons mais avec une limitation par rapport à nos usages habituels comprise entre et 15 et 30% », explique Maxime Adolphe-Louis, directeur des golfs Gaia-Concept de Limère et Donnery.
« Par nuit, c’est environ 1000 m3 en ce moment », explique Yanick Jacquet, directeur du Golf de la Cabre d’Or dans les Bouches-du-Rhone (13) où les restrictions sont encore supportables. «On doit réduire par rapport à la consommation habituelle d’environ 20%. On remplit un registre que pourra consulter la police de l’eau. Pour le moment on ne les a pas encore vus », nous indiquait-t-il en milieu de semaine.
Les 4 niveaux de gravité
Niveau 1 : seuil de vigilance
Pas de restriction mais une vigilance est mise en place.
Niveau 2 : seuil d’alerte
Interdiction d’arroser les terrains de golf de 8 heures à 20 heures de façon à diminuer la consommation d’eau sur le volume hebdomadaire de 15 à 30 %. Un registre de prélèvement devra être rempli hebdomadairement pour l’irrigation.
Niveau 3 : seuil d’alerte renforcée
Réduction des volumes d’au moins 60 % par une interdiction d’arroser les fairways 7 j/7.
Les greens et les départs peuvent continuer à être arrosés.
Niveau 4 : seuil de crise
Interdiction d’arroser les golfs. Les greens pourront être préservés, sauf en cas de pénurie d’eau potable, par un arrosage « réduit au strict nécessaire » entre 20h00 et 8h00, et qui ne pourra représenter plus de 40 % des volumes habituels (de ce qui est mis habituellement sur les greens). Les préfets peuvent décider d’interdire totalement l’utilisation d’eau.
Les 96 départements de la France métropolitaine sont concernés par ces niveaux d’alerte. Outre Paris, les Hauts-de-Seine et la Seine-Saint-Denis, qui sont au niveau 1, quatre départements sont en alerte 2, 27 en alerte renforcée et 62 en crise, selon le bilan en date du 4 août 2022. Malgré les accords-cadres nationaux, les préfets peuvent adapter ces règles aux contraintes locales et exiger plus de restrictions.
Il n’est pas question de prendre de l’eau au détriment des populations
Gérard Rougier, ffgolf
« En cas de crise exceptionnelle, et c’est un peu le message d’Élisabeth Borne dans la presse ce vendredi, le plan Orsec dans un certain nombre de départements pourrait être mis en place, explique Gérard Rougier, Directeur Territoires Environnement et Équipements de la ffgolf. Cela vient au-delà du seuil de crise et il s’applique si l’on vient à manquer d’eau potable pour la population. Dans ce cas, les golfs n’auraient plus de droit d’arroser. Bien entendu, on se conformera à ce qui sera décidé au plus haut niveau de l’État. Il n’est pas question de prélever de l’eau au détriment des populations puisqu’on aura franchi une nouvelle étape. Si cela se produit on étudiera les moyens de soutenir les golfs comment les aider financièrement et économiquement et sauver des emplois. »
Pourquoi l’arrosage des greens demeure autorisé ?
Voici la réponse de la ffgolf :
Le golf est une activité sportive de loisir marchand impliquant une filière économique qui doit préserver son activité au risque de créer un impact non négligeable sur sa filière (chômage, perte d’exploitation, faillite).
Il convient de rappeler que la filière économique que nous défendons représente un poids économique de plus de 1,5 milliard d’euros en France et assure 15 000 emplois dont 7 500 emplois directs sur le terrain. Il s’agit à 83 % d’emplois en CDI dont 61 % d’emplois d’ouvriers, et non délocalisables.
Le parcours étant l’élément numéro 1 de l’outil économique, il est nécessaire de le préserver en passant par un arrosage minimal vital. Le green, essentiel pour garantir une pratique de l’activité, est la priorité. C’est l’objet des accords passés avec les pouvoirs publics afin de les maintenir en vie.
Pas d’arrosage pendant plusieurs jours provoque des dégâts irréversibles et la mort des graminées. Ces plantes ont de faibles enracinements, ce qui les rend extrêmement sensibles à la sécheresse et oblige à des arrosages fréquents.
Si cela se produit en période estivale, cela entraine la fermeture de la structure et une perte d’exploitation pendant 6 mois jusqu’au printemps de l’année suivante car il faut au moins 3 mois de végétation active (température moyenne du sol >10°C) pour obtenir un green de qualité normale à partir d’un nouveau semis.
A cette perte d’exploitation de 6 mois s’ajoutera le coût de la remise en état :
• Par semis, le coût moyen de rénovation est de l’ordre 3€ HT le m², soit 30 000 € pour 1 hectare de green.
• Par placage, le coût moyen est de l’ordre de 30 € HT le m², soit 300 000 € pour un 1 hectare de green.
• Pendant ces travaux, les golfs devront être fermés avec toutes les conséquences catastrophiques en terme d’emploi.
L’équivalent de deux terrains de foot
Aujourd’hui, dans la grande majorité des golfs du pays, seuls les greens (et dans certains cas les départs) sont arrosés. « Ils ne représentent qu’1 à 2 % de la surface totale du golf (soit 1 à 1,5 hectare pour 18 trous) », précise de directeur du RCF La Boulie, Jean-Franck Burou.
Cible de nombreuses critiques d’élus et responsables politiques, la filière se défend par l’intermédiaire du Président de la Fédération, Pascal Grizot, invité à pourfendre les idées reçues sur les plateaux télés et dans les émissions de radio.
En période de sécheresse, il est interdit de remplir les piscines, mais les golfs doivent seulement réduire leur consommation de 20% et arroser entre 19h et 9h. Un 18 trous a besoin de 5 000 m3/jour, soit la consommation de 12 000 habitants. Et si on les interdisait aussi ?
— Hendrik davi (@hendrik_davi) July 31, 2022
« Dans nos accord-cadres qui datent de 2005 (!), nous nous sommes engagés à faire des efforts à hauteur de 98,5 %. De n’arroser donc plus que 1,5 % de la surface d’un parcours », répète inlassablement Pascal Grizot à chacune de ses interventions.
« Les 18 greens d’un parcours représentent la plupart du temps une surface d’un hectare, soit l’équivalent d’un terrain de foot. Arrêtons de faire du sport de classes. Ce n’est pas un loisir, c‘est une filière économique. Ce que l’on demande pour sauver les golfs et les emplois, c’est 60 m3 par jour et par tranche de 18 trous », répond encore le président de la Fédération sur BFM TV à Aurélien Taché, député EELV – NUPES du Val-d’Oise, quand ce dernier prône l’interdiction totale de l’arrosage des parcours en affirmant que les quantités nécessaires sont déraisonnables.
Gérard Rougier confirme : « Un golf doit avoir besoin entre 80 et 120 m3 environ pour ses greens chaque jour pour un 18 trous. S’il faut encore diminuer si la situation ne s’améliore pas, on pourrait descendre entre 60 et 70 m3, mais c’est le strict minimum obligatoire simplement pour assurer la survie des greens et sauver l’activité. »
15 000 emplois dans la balance
Si les décisions des préfets dans les jours ou les semaines à venir conduisent à fermer complètement les robinets, les répercussions seraient alors dramatiques pour des milliers de salariés dans les plus 700 structures de l’Hexagone.
« Les golfeurs peuvent comprendre pour les fairways “cramés”, mais si on ne protège pas nos greens, ils ne viendront plus, craint Sabine Bellanger, directrice du Golf le Vert Parc dans le Nord. L’herbe va arrêter de pousser en octobre, donc s’il ne pleut pas en septembre ou qu’on n’arrose pas, on perd nos greens et on ne les récupèrera pas avant juin de l’année prochaine. Cela représente une perte équivalent à une année d’exploitation. »
Cette situation catastrophique met donc en péril toute une filière qui se bat pour sauver son outil de travail. Ne pas laisser mourir ses greens et éviter que les golfs, abandonnés par les pratiquants, ferment, laissant craindre le pire pour de nombreux salariés.
« Sans irrigation, c’est mort, pestait au micro de France Info Lucas Pierré, greenkeeper du Golf National. On est des entreprises et un secteur d’activité comme un autre. Ici, au Golf National, il y a 50 personnes qui travaillent à l’accueil. J’ai 25 personnes sur le terrain. Si on n’a plus d’eau, on n’a plus de travail. » Le parcours situé à Guyancourt a cependant obtenu une dérogation en raison de l’accueil des Championnats du monde du 24 août au 3 septembre prochains.
« Notre priorité, c’est sauver nos emplois (15 salariés), valide Sabine Bellanger. Si on n’a plus nos greens, on ne peut plus payer nos salariés. »
Quelles solutions pour l’avenir ?
Si cette situation est exceptionnelle, elle pourrait devenir habituelle avec les changements climatiques d’ici quelques années, obligeant les golfs à s’adapter. Cela coïncide également avec l’interdiction de l’usage des produits phytosanitaires chimiques d’ici le 1er janvier 2025. Les golfs français se trouvent donc à un tournant. (lire ici l’interview d’Alejandro Reyes sur les nouvelles graminées à utiliser et le futur de l’entretien des parcours.)
La FFGolf, qui vient de passer quatrième fédération en nombre de licenciés devant le basket, travaille évidemment sur ce volet-là. « Il y a deux axes, d’abord une transformation de la flore avec de nouvelles graminées, plus résistantes et moins consommatrices d’eau, donc on peut imaginer demain transformer les gazons des golfs. C’est déjà à l’étude pour pallier l’interdiction des produits phytosanitaires d’ici 2025, énumère Gérard Rougier. La deuxième chose, c’est d’accompagner financièrement l’économie d’eau effectuée grâce à des bassins de rétentions d’eau et à un meilleur drainage des parcours. On travaille également autour de l’utilisation de l’eau usée qui pourrait servir à arroser. Mais les lois bloquent un peu de ce côté-là : il faut que l’eau soit tellement purifiée et traitée pour être utilisée que l’objectif devient compliqué. Il y a des enjeux qu’il faut qu’on retravaille. »
Dans un texte publié sur Facebook, le greenkeeper du Golf du Lys-Chantilly (60), Jean Louis Mignon, préconise un arrosage plus ciblé. « Au Lys, nous préférons modérer notre arrosage et travailler sur des solutions d’avenir plus économes en eau qui passent par de nombreux changements d’arroseurs : ceci permet de sectoriser le jet et de moins arroser la forêt comme le font les arroseurs plein cercle (360°). Nous étudions également la réfection de l’arrosage avec une implantation différente des arroseurs afin de pouvoir arroser précisément chaque zone… Bien sûr, cette solution ne se fera pas en un jour car elle demande une étude précise du réseau actuel et du coût de cette opération. »
On court après le temps
Sabine Bellanger
Dans le département du Nord, si le Golf le Vert Parc dispose d’un étang pour son arrosage quotidien, cette source d’eau ne va très rapidement plus suffire. « Pour l’instant, nous n’avons pas de restriction car on prend l’eau directement dans notre étang, explique Sabine Bellanger, la directrice. On arrose cependant que 3 minutes à partir de 22h30 les greens et les départs, c’est tout. De tout temps, par conviction, on n’a jamais arrosé nos fairways. Mais notre étang arrive à bout de souffle, on a fait une demande de forage pour pouvoir piocher dans la nappe phréatique et ainsi sauver nos greens. Nous le savons : dans les années à venir, notre étang ne suffira plus pour arroser. Nous serons donc obligés de faire cette demande. On refuse d’utiliser l’eau de la ville, par conscience écologique. Mais ce que l’on souhaiterait, c’est prélever dans la nappe : quelque chose de minime. »
Mais le golf situé à Illies, proche de Lille, expérimente également de nouvelles techniques. « On a fait du sur-semi depuis un an. Avec une nouvelle machine, on vient semer une nouvelle graminée qui est plus résistante. Ça fait un surdosage, l’herbe devient plus dense et donc ça garde mieux l’humidité. Il faut qu’on accélère, on court après le temps. Tout arrive en même temps et c’est une course contre la montre. On n’a pas beaucoup de temps pour réagir pour essayer de préserver nos golfs. »
Après les incendies, la sécheresse !
Pierre-Emmanuel Rivaud, qui dirige le golf d’Albret dans le Lot-et-Garonne, connait un été spécial : « Nous avons été classés en alerte rouge en juillet à cause des incendies qui menaçaient notre région et qui ont parfois fait des dégâts énormes. Cela veut dire que nous avons dû fermer notre golf pendant une semaine. Et maintenant, ce sont les effets de la sécheresse qui nous font souffrir. Dans ce malheur, nous avons la chance d’être bien orientés et de bénéficier des avantages du Bassin de la Gelisle. Nous arrosons ainsi la nuit… Autre part de chance : pour l’instant, les instances départementales ont été sensibles à nos revendications et ont bien pris en compte l’importance économique et sociale du golf. »
Golf Planète aura l’occasion de revenir sur cette forte période de sécheresse qui affecte la France. Il faut aussi savoir qu’en Grande-Bretagne, les températures ont atteint les 40° récemment : les mêmes enjeux ont obligé autorités et golfs à prendre des mesures adaptées. Et ne parlons pas des États-Unis où incendies et sécheresse sont le lieu commun de nombreux états.
Si vos témoignages peuvent servir l’intérêt général et celui de la filière golf, n’hésitez pas à nous joindre à
contact@golfplanete.com