Notre ami irlandais Ivan Morris, journaliste et écrivain de golf, un des meilleurs spécialistes au monde de notre sport préféré, consacre sa chronique de ce mois au problème soulevé par la proposition du R&A et le USGA de choisir une balle bridée MLR (Model Local Rule) qui limiterait les distances atteintes aujourd’hui par des pros de plus en plus puissants. Cette réponse à une réflexion de Bubba Watson parait dans Golf Planète et Irish Golfer.
Sauver nos parcours de golf, s’inscrire dans un choix écologique et réduire les dépenses
Un journaliste a fait l’erreur de demander à Bubba Watson sa position sur la nouvelle balle MLR proposée pour répondre aux interrogations dont Golf Planète vous a déjà parlé à plusieurs reprises (voir les articles joints). Bubba a donné une réponse qui, à mon avis, dépasse celle de Justin Thomas par son ignorance, son égocentrisme et sa logique mal informée :
« Nous sommes le seul sport qui change notre façon de jouer et nous nous mettons en colère quand un golfeur pro joue 10 sous le par pendant trois jours consécutifs alors que nous applaudissons quand un basketteur marque 50 points, ou qu’un joueur de baseball réussit trois home-runs ou encore quand un footballeur américain fait 7 touchdowns. Jamais on va reprocher à un sportif de réussir de tels exploits alors que nous, ce n’est pas pareil. On n’a pas le droit de jouer toujours mieux et de réussir toujours plus d’exploits. »
Bubba, laisse-moi t’expliquer quelque chose : ton ego prend le dessus et tu ne vois pas la réalité. Nos responsables du golf dans le monde ont fait cette proposition pour sauver nos parcours de golf, les rendre plus adaptés aux nouveaux choix écologiques et maintenir le prix de ce sport pour 99 % de ses pratiquants.
Le golf est un sport qui a laissé trop longtemps la technologie se développer sans entraves. Les autres responsables sportifs n’ont pas effectivement ajusté la taille d’un terrain de basket, d’un terrain de football ou d’un terrain de baseball mais également d’un court de tennis. Mais ils ont réglementé les balles ou ballons utilisés. Au golf, pour une raison qui m’échappe, chaque parcours nouvellement construit doit avoir la longueur et répondre aux normes d’un parcours championship. La longueur est la réponse à tout, ce qui se traduit par des parcours de golf de plus en plus longs et des balles de golf qui volent plus loin pour pouvoir réaliser le par plus facilement.
Les balles de tennis ou les ballons de football ont bien évolué !
Il y a longtemps que le tennis a limité les performances des balles utilisées. Ainsi, on trouve maintenant trois types différents de balles de compression différentes (code couleur) selon le niveau de jeu. Au plus haut niveau, dans les années 70 et 80, la balle de tennis a commencé à voler trop vite à mesure que les joueurs devenaient plus grands et plus forts ; le service et la volée ont prospéré. Il y avait moins d’échanges et les parties devenaient trop dangereuses en double. Il faut ajouter qu’une balle jaune plus lente était également meilleure pour la télévision. Même chose avec le baseball et le hurling : dans presque tous ces jeux de balle rapide, un contrôle strict a été exercé sur la vitesse de la balle en raison des espaces confinés dans lesquels l’action se déroule.
Le tennis de table a également changé la taille des balles. Les ballons de rugby et de football avec lesquels j’ai joué dans ma jeunesse sont totalement différents sur le plan aérodynamique de ceux utilisés aujourd’hui : à noter que les joueurs de la Premiership ont été consultés sur le sujet. Toutefois, les équipementiers utilisent les gars qu’ils parrainent pour répartir des bêtises qui sèment la confusion. Or, tout le monde N’UTILISERA PAS une balle modifiée (bien que je ne vois pas, pourquoi pas ?). Il y a une limite à la longueur pour de nombreux terrains de golf. Le but est de les garder tels qu’ils sont.
Certes, les golfeurs professionnels n’oseront pas jouer une balle qui offre plus de spin comme ma génération de golfeurs en utilisaient il y a 40 ou 50 ans. Faire des swings à 85 % de sa puissance, c’est ce qu’on nous a appris pour éviter de se balader dans les hautes herbes.
Vous n’avez pas besoin de vérifier les publicités de balles de golf vieilles de 100 ans dans les magazines de cette époque. Je l’ai fait !
Sachez aussi que les équipementiers fabriquent déjà des balles plus lentes. Ils les testent depuis des années. Personnellement, je joue avec une balle plus douce, à rotation élevée pour m’aider à faire décoller la balle. J’ai besoin d’un spin supplémentaire et d’une compression « plus douce » avec un swing qui ralentit d’année en année et qui est à peu près la moitié de la vitesse de celle de Rory (McIlroy).
La fin du message marketing « plus de distance » ?
Les fabricants prennent des mesures défensives pour une raison simple : leur meilleur slogan marketing a toujours été “plus de distance !”. C’est ainsi que leurs départements marketing pensent qu’ils gagnent leur argent. C’est comme ça depuis 100 ans. Vous n’avez pas besoin de vérifier les publicités de balles de golf vieilles de 100 ans dans les magazines de cette époque. Je l’ai fait !
Les marques ne se soucient pas vraiment des balles utilisées tant qu’elles sont vendues. Les golfeurs professionnels ne devraient pas s’en soucier non plus. Les frappeurs les plus longs seront toujours les plus longs. Mais la distance est relative et doit être contenue.
Changer l’aérodynamisme de la balle via ses configurations à fossettes réduirait la distance et les terrains de golf n’auraient pas besoin d’être allongés. Aimeriez-vous aussi des fairways plus étroits et des roughs plus hauts ? La vérité est que les joueurs du circuit veulent que tout soit aussi « easy » que possible.
Avec la balle MLR (Model Local Rule), le golf fera quelques pas en avant vers un meilleur contrôle de la balle. Cela prendra plus de temps à maîtriser car cela prolongera les carrières et rendra le jeu plus accessible. Qu’est-ce qu’il y a de mal à ça ? Une balle plus grande (1,70″) pourrait être aussi une part de la solution. C’était ainsi avant. J’ai vécu ce changement moi-même et ce n’était pas grave. Plus la balle est grosse, plus elle reposera sur l’herbe et plus elle deviendra facile à frapper.
Les amateurs et les géants du golf
Les fabricants de balles doivent prendre en compte également la nécessité d’une couche extérieure plus épaisse : la technologie pour cela existe déjà. Personne n’aime le changement. Le changement est difficile mais il est inévitable dans toutes les industries. La technologie détruit certaines entreprises mais en développe d’autres. Le R&A et l’USGA devraient poursuivre leurs tests, notamment en réduisant le COR sur les faces des clubs. Je n’ai pas d’intérêt personnel dans cette question. Je serai un golfeur à la retraite ou un golfeur mort au moment où tout se passera.
Mais je sais déjà qu’une nouvelle race de géants du golf se pointent à l’horizon avec des vitesses de swing bien supérieures à celles de Rory McIlroy ou de Cameron Champ. Il n’y aura pas de place, ou si peu, dans le golf professionnel pour des pros de la taille de Bubba Watson ou Min Woo Lee. La règle se trouvera autour de 2 mètres et 100 kilos. Même un Tiger à son apogée ne devrait plus avoir sa place en 2030. Son corps était beaucoup trop dégingandé, léger et maigre quand il a commencé. Comment il a surmonté ce handicap mériterait un prochain article ! A l’avenir si vous ne répondez pas à ces critères physiques, mieux vaudra s’acheter une guitare et essayer de devenir une rock star !
Une balle de golf “bridée”, plus douce, plus lente, avec plus de spin “rendra plus égal” le jeu pour les grands, les petits et les golfeurs amateurs.
Cher Bubba, pour faire évoluer le jeu et le sauvegarder en même temps, il convient d’en faire un jeu pour tous. Et ne pas seulement se soucier des gros frappeurs.
Ivan Morris
Photos : Getty Image via AFP