Environnement

Environnement (2/2) : les solutions proposées pour s’adapter à la loi Labbé

23 décembre 2024
GrassTonte Kevin C. Cox / Getty / AFP

Suite et fin de notre dossier environnement / loi Labbé… Après avoir exposé la loi Labbé et les différentes raisons de son application partielle, nous allons tenter de faire le point sur les solutions proposées pour parvenir à stopper l’utilisation des produits phytosanitaires sur les parcours de golf. Un arrêt voulu par tout le monde en théorie, même si la crainte des conséquences d’une telle décision radicale oblige les gestionnaires de golfs à se réfugier derrière la liste dérogatoire de produits phytosanitaires toujours autorisés, qui aura cours pendant quelques années encore. La communauté scientifique, aidée par des organismes proches de la FFGolf, tente de répondre à ces craintes avec des solutions fiables et pérennes. La recherche de variétés de graminées naturelles est la piste privilégiée, mais d’autres solutions sont envisagées, dont l’herbe synthétique.

 

David CHARPENET

 

La recherche s’organise en France

Les greenkeepers et la communauté scientifique n’ont pas attendu la loi Labbé pour réfléchir à des solutions naturelles pour se passer des produits phytosanitaires. Mais certains usages restent autorisés car le combat est souvent inégal face aux attaques de nuisibles.

« Pour l’instant, on a déjà pas mal de leviers comme l’arrosage, la nutrition des plantes, des outils de biostimulation et de biocontrôle et en dernier recours, des produits chimiques, rappelait Rémy Dorbeau, président de l’AGREF & Écoumène. Pour se passer de la chimie, le levier variétal semble être le plus prometteur. On recherche les graminées qui répondent le mieux aux trois problématiques de demain : le manque d’eau, la chaleur et les bio agresseurs. Il faut aussi des graminées qui poussent toute l’année pour ne pas avoir une pratique du golf trop saisonnière. On étudie beaucoup les graminées de type tropical en regardant ce qui se passe au sud de la France. Le climat hexagonal est de plus en plus méditerranéen. On peut donc essayer d’anticiper les solutions en étudiant ce qui marche dans les pays du sud. »

On n’a jamais trouvé de résistance avérée aux produits phytosanitaires. En revanche, on a de nouveaux types de dollar spot qui arrivent.

Rémy Dorbeau

« Il faut également des modes d’action diversifiés pour éviter au maximum les risques de résistance de la plante. À l’heure actuelle, on n’a jamais trouvé de résistance avérée aux produits phytosanitaires. Par contre, on a de nouveaux types de “dollar spot” (Ndlr, un champignon agressif) qui arrivent et on aurait maintenant quatre souches. On n’abandonne surtout pas la piste des produits de biocontrôle qui ne sont malheureusement pas encore assez efficaces dans certaines situations. Mais la recherche avance dans plusieurs directions. »

 

Une mobilisation tardive, mais forte

Pour centraliser toutes ces recherches concernant les surfaces sportives en gazon naturel et privilégier des solutions globales, la Fédération française de golf a mis en place le consortium SPOR&D avec l’aide des différentes filières sportives concernées par la mise en application de la loi Labbé, comme l’hippisme et le football, avec le rugby et le tennis en spectateurs attentifs.

L’AGREF & Ecoumène ou encore l’INRAE font également partie de cette “task force”.

« On est plus forts à plusieurs, avançait Gérard Rougier, Coordonnateur de SPOR&D. Cette synergie va nous permettre de trouver des pistes en privilégiant certaines recherches précises sans s’éparpiller. On mutualise également les coûts et on peut lever plus de fonds. »

Un appel à projets a d’ailleurs pris fin en novembre 2024 et les premiers résultats seront annoncés début 2025.

On est convaincu que la mono culture est favorable au développement des maladies. On cherche donc à développer des gazons multi espèces.

Jean-Paul Sampoux

On peut regretter que la recherche s’organise dix ans après le vote de la loi. Mais ce laboratoire à idées a le mérite d’exister, de rassembler les parties impliquées dans ce besoin de sortir du paradigme chimique et de mutualiser les coûts de la recherche scientifique en vue de trouver de potentielles solutions adaptées aux différentes pratiques sportives. « Pour le football, il faut des gazons résistants aux actions mécaniques des joueurs, alors que pour le golf il faut un gazon régulier et dense sur les greens », rappelait Jean-Paul Sampoux, ingénieur hors classe à l’INRAE. 

Souvent montré du doigt par le secteur agricole, l’INRAE permet de faire progresser la recherche fondamentale en espérant pouvoir proposer une solution scientifique. « On est convaincu que la mono culture est favorable au développement des maladies. On cherche donc à développer des gazons multi espèces », concluait M. Sampoux.

Rémy Dorbeau sait lui aussi que la connaissance du végétal constitue une part importante de la solution. « Pour stopper l’utilisation des produits, il faut parfaitement connaître le contexte des bio agresseurs et de la plante qui est la victime », soulignait-il.

La recherche a besoin d’argent… et de temps. Il faut compter entre cinq et dix ans pour l’aboutissement de ce genre de projet. Il faudra donc des décisions politiques bienveillantes pour accepter de prolonger d’autant les dérogations de la mise en application stricte de la loi Labbé

 

Combattre les champignons… avec des champignons !

Pionnier en la matière, le Golf de Pont-Royal a débuté une collaboration avec la start-up Mycophyto il y a deux ans pour implanter des champignons « amis » dans le sous-sol… afin de lutter contre la prolifération de champignons nuisibles. Et les premiers résultats de cette mycorhization sont encourageants. «On est partis avec le greenkeeper à Grasse pour échanger avec eux et anticiper l’application de la loi Labbé, expliquait Thibaut Sampoux, directeur du Golf de Pont-Royal… qui n’a aucun lien de parenté avec Jean-Paul Sampoux, cité précédemment. Mycophyto travaillait déjà avec des propriétaires de vignobles, de vergers…»

On cherche à minimiser les maladies et l’utilisation de l’eau, tout en conservant au maximum la croissance des graminées

Thibaut Sampoux

«Le concept de la mycorhization est d’implanter des champignons (mycorhizes) sous les greens et les fairways. On cherche à minimiser les maladies et l’utilisation de l’eau, tout en conservant au maximum la croissance des graminées. Les champignons ont l’avantage de plus garder l’eau que les graminées. Les mycorhizes implantés aident également à la croissance des gaminées de l’ordre de 25 %. On cherche aussi à empêcher les maladies de se développer en saturant le sous-sol de matière organique vivante. On a implanté tous les dix-huit greens avec ces champignons, à l’aide de machines spéciales qui ne cassent pas les champignons lors de nos aérations. Et cette année, on a en plus traité un fairway. On a remarqué qu’on était plutôt moins impacté que nos voisins par le dollar spot en 2024. 

Nous sommes le premier golf a avoir utilisé ces champignons à grand échelle sur un parcours. Les résultats de la première année étaient encourageants. Les résultats définitifs de 2024 sont encore attendus, mais c’est aussi très positif pour le moment. »

Une nouvelle piste pour la recherche qui ne constitue peut-être pas une solution à elle toute seule, mais peut participer aux petits pas en avant qui font que la solution idéale se rapproche inexorablement.

 

Les pelouses synthétiques peuvent-elles représenter une réponse adaptée ?

Le golfeur est censé s’adapter au parcours sur lequel il évolue. En fonction du lie de sa balle, des pentes, des obstacles… Peut-être faudra-t-il à l’avenir qu’il s’adapte aussi à des parcours moins verdoyants et à des greens moins réguliers.

Peut-être même qu’il devra s’habituer à jouer sur une surface artificielle. L’arrivée de Synlawn sur le marché français confirme que les propriétés du gazon synthétique se rapprochent de plus en plus d’un gazon naturel, et qu’il séduit de plus en plus de gestionnaires de golf.

L’utilisation de gazon artificiel fait partie de la solution pour la recherche du “zéro phyto”, mais tout en soulevant d’autres problématiques. « Certains golfs que je qualifierais “d’ordinaires” pourraient effectivement proposer à l’avenir des greens hybrides ou carrément en synthétique », développait Jean-Paul Sampoux.

Les solutions synthétiques ne satisfont néanmoins pas la profession pour le moment. « Le golf est un sport de nature. On aimerait trouver des solutions plus naturelles. Et l’herbe synthétique est composée de plastique avec tous les risques que ça comporte. »

Un principe de précaution repris par les chercheurs de l’INRAE : « Il y aurait également le souci des eaux de ruissellement chargées de micro plastique et les microfibres qui seraient arrachées à chaque coup de golf. »

Il faut qu’on ait des parcours adaptés à la performance. Les compétitions se jouent sur des terrains en herbe naturelle, donc il faut que nos futurs champions s’entraînent sur des pelouses naturelles.

Gérard Rougier

Il est pour l’instant difficile d’envisager l’utilisation de grandes surfaces “engazonnées” en synthétique. La FFGolf n’est pas non plus emballée par cette perspective :

« Les pelouses synthétiques sont à étudier. Mais si c’est peut-être envisageable dans certaines conditions, ce n’est pas la solution ultime. L’objectif de la FFG est de faire éclore des champions. Il faut qu’on ait des parcours adaptés à la performance. Les compétitions se jouent sur des terrains en herbe naturelle, donc il faut que nos futurs champions s’entraînent sur des pelouses naturelles », complétait Gérard Rougier.

Le gazon synthétique est déjà très largement répandu dans le monde du golf et nous avons tous tapé sur des tapis de practice. Le synthétique commence également à se démocratiser sur des putting greens et même quelques parcours compacts. Mais à notre connaissance, seul un parcours 18 trous entièrement synthétique est en construction en France, en Normandie. On pourrait même oser pousser la logique plus loin et imaginer que les golfeurs se satisfassent de jouer sur des simulateurs en salle. Ce sont des outils formidables… mais incomparables avec l’expérience d’un parcours de golf. Les simulateurs, comme le synthétique, sont pour le moment des outils de substitution… Ils sont encore très éloignés de la solution idéale. 

 

L’exigence du golfeur comme variable d’ajustement

On entend souvent les gens se demander comment on faisait avant. Avant l’apparition des produits chimiques puisque les plus anciennes pratiques de jeu de golf remontent au 15e siècle et les règles modernes à 1744.

La pression des nuisibles s’est accrue dans les années 1970 en France et la solution chimique s’est imposée comme solution. C’était dans l’ère du temps.

Les golfeurs se plaignaient peut-être moins aussi… Et c’est peut-être la plus importante de toutes les raisons qui font que les greenkeepers utilisent des produits phytosanitaires pour rendre les parcours impeccables : l’exigence du golfeur !

Les golfeurs ont l’habitude de regarder à la télévision des greens immaculés. Des fairways immaculés. Des départs immaculés. Et des swings parfaits de joueurs professionnels. Peut-être qu’il faudrait commencer à essayer de se rapprocher de ces derniers pour améliorer sa technique, tout en acceptant de s’éloigner d’une idée fantasmée d’un parcours de championnat. Car les bons joueurs qui privilégient un contact balle-terre ont moins besoin d’une surface de jeu parfaite entre le départ et le green, les deux endroits les plus choyés… et les plus traités.

 

S’adapter aux inéluctables contraintes environnementales

« Les joueurs lambda veulent en général des fairways qui portent légèrement la balle car ils ont tendance à la cueillir et pas à la compresser comme les professionnels notamment. Avec des fairways brûlés par le soleil, la balle est moins portée. C’est plus difficile à jouer. Sans compter le côté verdoyant qui plaît esthétiquement aux golfeurs. Certains pourraient donc être tenté de traiter les fairways un peu plus pour satisfaire la clientèle et pour ne pas qu’elle aille voir ailleurs si l’herbe est plus verte », pointait Stéphane Rouen, consultant en greenkeeping.

Le golfeur hexagonal devra certainement s’adapter aux inéluctables contraintes environnementales. « Peut-être aussi qu’il faudra réfléchir à une jouabilité plus saisonnière dans certaines régions, concédait Rémy Dorbeau. Mais on imagine bien que si les grandes équipes de football évoluent sur un terrain détérioré, elles auront plus de mal à exprimer leur talent et à rendre le foot attractif. C’est pareil pour le golf ! »

C’est donc un sacré défi auquel va devoir faire face ces prochaines années le petit monde du golf hexagonal. Entre la nécessité de mettre fin à l’usage des produits phytosanitaires, dont l’utilisation sera encore restreinte avec le règlement européen SUR (à condition qu’il ne soit pas raboté petit à petit d’ici sa mise en application… repoussée en 2035) et la gestion des captages d’eau et des rejets, le golf français est obligé de trouver des solutions pour s’offrir un avenir (à peu près) serein. Faisons confiance aux dirigeants du golf tricolore qui ont visiblement pris conscience du problème depuis longtemps et qui mettent en place des actions pour chercher des solutions… et les trouver le plus rapidement possible ! L’image du golf en France, en Europe et dans le monde dépend en partie de sa capacité à respecter l’environnement dans une société qui le demande.

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