Le golf féminin a du mal à décoller : aussi bien sur les parcours que dans les médias. Pour mieux comprendre la situation des circuits et les championnes internationales et françaises qui les animent, nous avons demandé à Hervé Marques, journaliste à Golf Channel, un des meilleurs connaisseurs du golf féminin, de nous éclairer sur sa réalité et ses perspectives. Dans son état des lieux, ce passionné évoque également les attentes mais aussi les illusions en la matière… Passionnant !
Domination coréenne avec de belle surprises
Golf Planète : Lors de cette année 2020, la pandémie a aussi perturbé les circuits féminins européens et américains (166 jours d’interruption !). Néanmoins, 4 des 5 majeurs majeurs et beaucoup de tournois ont pu être organisés et Golf Channel a répondu présent pour retransmettre ces événements. Quels sont les faits marquants de l’année qui vient de s’achever ? Et quels en ont été les principales actrices ?
Hervé Marques : C’est vrai que depuis 10 ans, le LPGA Tour bénéficie de la présence de Mike Whan à sa tête et dans cette saison perturbée, nous avons eu la chance d’assister à 18 tournois de golf féminin.
Dans ce contexte, le premier fait marquant reste la domination coréenne malgré le fait que la plupart d’entre elles sont restées au pays à cause de mesures sanitaires. Elles trustent tout de même les trois premières places de la Money List 2020.
Jin Young Ko a montré qu’elle était toujours la meilleure joueuse du monde. Elle conserve sa place de n°1 mondiale en ne jouant que les quatre derniers tournois de la saison !
Et puis on a vu Sei-Young Kim enfin briser le plafond de verre en remportant un Majeur (le LPGA Championship). Nous tenons là sans conteste les deux meilleures joueuses actuelles qui ont, toutes les deux, un style bien différent.
Enfin, dans cette hiérarchie coréenne, Inbee Park continue de nous épater par sa longévité en remportant la Race du LPGA Tour. Attention à elle l’année prochaine car elle serait bien tentée d’achever sa carrière en défendant sa couronne olympique !
Ensuite, et comme souvent sur le circuit féminin, nous avons eu des lauréates surprises en Majeurs, vraiment des grosses surprises. Sophia Popov qui remporte le British en étant classée 304e mondiale ! À noter qu’elle a confirmé derrière en ne ratant aucun de ses derniers sept cuts de la saison, si bien qu’aujourd’hui elle est 26e mondiale. La belle histoire de 2020, c’est sans conteste cette joueuse allemande. Elle qui, trois années durant, a lutté contre la maladie de Lyme, c’est une belle preuve de résilience.
D’ailleurs en parlant de résilience, coup de chapeau également à Melissa Reid qui, à 33 ans, a enfin réussi à accrocher cette victoire tant attendue sur le LPGA. Le confinement semble lui avoir fait le plus grand bien, surtout au putting. Si elle maintient ce niveau de jeu en 2021, elle pourrait endosser le rôle de locomotive laissé vacant par Suzann Pettersen dans l’équipe européenne de Solheim Cup.
Lexi Thomson talonnée par Nelly Korda et Danielle Kang
Côté US, Lexi Thompson continue de tâtonner et du coup, son statut de meilleure joueuse américaine semble bien loin. Elle est aujourd’hui en retrait d’une Nelly Korda ou d’une Danielle Kang. D’autant que derrière ça pousse avec Jennifer Kupcho qui commence à taper à la porte et surtout Yealimi Noh que Florence Le Jacques, consultante Golf Channel, avait déjà remarquée à Évian il y a deux ans.
Enfin, comme nous avons la chance de diffuser également le circuit européen sur Golf Channel, nous avons pu assister à la fabuleuse série de trois victoires de suite d’Emily Kristine Pedersen. Un exploit que seule Marie-Laure de Lorenzi avait accompli sur le Ladies European Tour…en 1989. Après, dominer le LET est une chose, transformer l’essai sur le LPGA Tour en est une autre comme le montrent actuellement les difficultés d’Anne Van Dam, la Néerlandaise.
Côté France, Céline Boutier et Perrine Delacour…
GP : Comment se sont comportées les joueuses françaises, professionnelles et amateures ?
Hervé Marques : Le premier mot qui vient à l’esprit, c’est la densité. Durant de nombreuses années, Karine Icher a été la seule Française à tenir le pavillon français sur le LPGA Tour. Aujourd’hui Céline Boutier a repris brillamment le flambeau en dépit d’une fin de saison compliquée. Heureusement elle termine par une bonne note au Tour Championship avec une 19e place.
Et, Céline n’est plus seule car Perrine Delacour semble avoir franchi un cap. Elle a passé le cut dans tous les Majeurs arrivant même aux portes du Top 10 à l’US Open avant de connaître un dernier tour délicat. Et puis, il y a eu cette 13e place au Tour Championship, un résultat qui lui a sans doute donné une confiance incroyable. Une fille comme elle, qui termine 42e de la Race sur le LPGA, doit pouvoir intégrer le Top 50 mondial l’année prochaine.
… en attendant Pauline, Agathe et Lucie
Côté amateures, je suis tellement impatient de voir ce que va nous réserver Pauline Roussin-Bouchard. Et je peux vous dire que les Américains sont très élogieux à son propos. Elle s’est parfaitement adaptée à la vie universitaire américaine à South Carolina, elle s’est hissée en début de saison au rang de n°1 mondiale amateure. Si elle continue comme cela, elle pourrait bien arriver sur le LPGA Tour avant même la fin de son cursus universitaire.
Derrière, nous avons également Agathe Laisné qui semble comme un poisson dans l’eau dans son université au Texas. Elle a profité du confinement pour venir en Europe près de sa famille et accessoirement remporter deux tournois sur le LETAS (et le troisième n’était pas loin !). C’est dire le potentiel.
Un trio de jeunes prétendantes au LPGA que je complèterais par Lucie Malchirand. La Marseillaise qui à 17 ans seulement, occupait la tête du Lacoste Ladies Open de France au soir du 1er tour.
Grâce à leur classement amateur, elles ont toutes les trois pu participer à l’US Women’s Open mi-décembre. Il reste beaucoup de travail assurément même si Pauline est celle qui semble la plus proche de rejoindre Perrine et Céline sur le grand circuit.
Solheim Cup et « résurrections »
GP : Comment se présente l’édition 2021 ?
Hervé Marques : Sur Golf Channel, nous diffuserons comme d’habitude la Solheim Cup. Même s’il sera très difficile d’atteindre l’émotion de 2019, j’ai encore une fois bon espoir que le match Europe – États-Unis soit disputé. On gardera donc un œil sur l’évolution des joueuses américaines et européennes. Pourquoi pas l’émergence du jeune américaine comme Yealimi Noh, Jennifer Kupcho, voire Rose Zhang qui écrase tout chez les amateures.
Côté européen, je crois toujours en l’éclosion de Leona Maguire. L’Irlandaise, ancienne n°1 amateure, n’a quasiment pas raté un cut de l’année. L’heure de l’adaptation est peut-être terminée, à voir.
Au chapitre des « résurrections », je suis très curieux de voir si Lydia Ko et Ariya Jutanugarn vont réussir à retrouver le niveau qui ont fait d’elles les reines de ce sport. Elles ont montré de belles choses en fin d’année, et leur retour au top ferait un bien énorme au LPGA Tour. Un circuit qui se porte déjà très bien.
Et comme c’est la saison des paris, je pense que Nelly Korda va faire une très grosse saison à plusieurs victoires, voire même s’approcher de la place de n°1 mondiale.
Évian, un bon baromètre
GP : Le golf féminin est toujours en devenir. Certains s’étonnent que l’on est loin de la parité sur les parcours de golf et que la place des femmes dans les médias de golf soit encore aussi réduite. Qu’est ce qui changera ce constat regretté par beaucoup de spécialistes qui considèrent que le plus beau et le plus achevé swing de golf est féminin ?
Hervé Marques : Pour le côté esthétique, je ne peux qu’aller dans votre sens. Quand on regarde le swing de Jin Young Ko, l’élégance d’une Azahara Munoz, la technique d’une Nelly Korda…il ne devrait pas y avoir besoin d’autres discours.
À Évian, la majorité du public français continue de désigner les joueuses par leur nationalité ou leur apparence physique, se promener dans le public à Évian, c’est un bon baromètre pour jauger de la maturité golfique de notre pays….et ce n’est pas gagné.
On a déjà du mal à faire de la France un pays de golf ! Ne demandons pas trop à notre pays en voulant faire de lui un pays de golf féminin. Pour moi l’équation est la même que chez les hommes : il faut une Française qui se mette régulièrement en position de gagner les plus gros tournois.
Convergence entre les circuits américains et européens
Pour le côté marketing des choses, je pense que Pascal Grizot n’a rien à envier à Mike Whan, ils n’ont juste pas le même terrain de jeu. Est-ce que cela passe par l’organisation d’un gros tournoi féminin en région parisienne ? Pourquoi pas ! Malheureusement, vu le contexte économique, cela risque d’être difficile pour les deux prochaines années. Il est néanmoins intéressant de noter qu’à l’instar des hommes, la convergence entre le circuit européen et américain est en marche.
Dans ce contexte, souhaitons tout d’abord que le circuit européen retrouve un rythme de jeu régulier avec au moins deux tournois par mois et des dotations de bon niveau. Pour emporter l’adhésion du public, il fait aussi se rapprocher des Américains. Or, la moitié des tournois du circuit européen se sont déroulés soit au Moyen-Orient soit en Australie.
Je n’ai pas envie que le LET devienne comme la Formule 1 avec des tournois joués loin de ses terres historiques, sans public. Le golf, c’est aussi la chance d’être à quelques mètres de nos idoles pendant une partie, de pouvoir les observer évoluer sur des tracés légendaires. S’offrir de nouveaux débouchés c’est très bien, se couper du berceau historique en revanche serait une erreur ; mais je n’invente rien.
Ont-elles envie de jouer au golf ?
Pour ce qui est de la place des femmes dans les médias de golf, je suis très bien placé puisque je commente le LPGA Tour avec Florence Le Jacques depuis 2014. Elle est éminemment compétente : les téléspectateurs apprécient ses analyses et c’est une collègue de travail que j’apprécie énormément. Pour moi c’est une question de compétence, d’envie également. Partir de la maison à 1h du matin et rentrer à 5 h pour commenter les tournois du LPGA Tour en Californie, c’est un parcours du combattant.
Sont-elles nombreuses à avoir envie de s’y atteler ? Je ne sais pas. Cette proportion hommes-femmes dans les médias se retrouvent également chez les licenciés. La question sous-jacente serait alors de trouver le moyen d’augmenter la part des femmes sur les parcours. Si les clubs trouvaient des moyens astucieux d’occuper les enfants pendant que les parents jouent, ça pourrait faire que le golf soit davantage synonyme de moments de partage que de disputes au sein des couples. Je dis ça avec une pointe d’ironie mais je n’ai pas la réponse.
Encore une fois, posons la question aux premières concernées : Ont-elles envie de jouer au golf ? Si la réponse est non, il faut les « draguer ». Après si elles ne montrent pas plus d’intérêt que ça, ne nous épuisons pas au « combat ». Contentons-nous déjà de pouvoir offrir des perspectives aux jeunes filles qui veulent en faire leur métier pour créer un éventuel appel d’air.
Les choses bougent : soyons patients !
Après je ne suis pas un chantre de la parité. Je suis pour que les femmes soient rétribuées à la mesure de l’intérêt qu’elle génère. N’oublions pas que la joueuse qui gagne l’US Open gagne plus d’argent que le joueur qui remporte le PGA Championship à Wentworth. Attendons que le contexte économique s’améliore, que de nouvelles personnalités émergent dans le golf féminin et je pense que le reste suivra…à condition d’avoir des hommes et des femmes compétentes aux manettes. Soyons patients et ne tombons pas dans un côté revendicatif systématique qui n’arrangerait rien à la cause du golf féminin. Il faut faire bouger les choses en douceur. Regardez, l’Augusta National s’est ouvert aux femmes sans que les Femen n’aient eu besoin de faire une opération coup de poing durant le concours de par 3 ! La plupart des grands golfs Britanniques ont (enfin) ouvert leurs portes aux femmes. Les choses bougent : soyons patients !
Un entretien avec Hervé Marques – Golf Planète 2021