Dans une première partie présentée la semaine dernière, Laurent Favarel nous a proposé une première réflexion sur l’apport de l’hypnose dans la préparation d’un golfeur. Aujourd’hui, il nous parle d’un cas pratique.
Ancien membre de l’équipe de France militaire de cyclisme, c’est au cours d’une préparation à un championnat du monde qu’il a découvert les techniques d’optimisation du potentiel (TOP). Cette discipline propre à l’armée, fait appel à des fondamentaux basés sur les pratiques de la respiration, la relaxation et l’imagerie mentale. En parallèle à sa carrière militaire, Laurent est sorti du giron pour se former à la sophrologie et à l’hypnose. La première gère le stress, la seconde développe les capacités d’adaptation des athlètes, notamment leur habileté gestuelle.
Préparateur mental, il a collaboré à la revue de l’hypnose et de la santé « Transes » (Dunod), à la revue des entraîneurs français d’athlétisme « AEFA » et au magazine « Sophrologie, pratiques et perspectives » (Soteca). Psychanalyste fédéré, président de l’association « Mental+Sport » à Toulon, il fait partie de la Société Française de Psychologie du Sport.
Lâcher prise et transe
Il arrive que l’hyperactivité de l’esprit perturbe sérieusement un sportif dans son lit.
Si c’est le cas, plus il pense qu’il lui faut dormir pour être en forme le lendemain, plus cette condition le stresse, plus la tension le maintient en éveil. L’image du serpent qui se mord la queue colle bien à ce processus émotionnel.
Quand un golfeur ne trouve pas le sommeil la veille de ses tournois, la focalisation de son attention sur ce problème va continuer à l’en empêcher. En compétition, quand un joueur butte systématiquement sur une difficulté maîtrisée à l’entraînement, la focalisation de son attention sur ce problème va continuer à le déstabiliser.
Le point commun entre ces deux-là tient dans le fait qu’ils n’envisagent pas de lâcher prise, de penser ou d’agir autrement face à des frustrations qu’ils entretiennent involontairement. Le lâcher prise dont il est question est une voie très différente de celle empruntée par la volonté, la transe est sa marque de fabrique. La transe hypnotique est un état de conscience élargi, elle libère un accès à des ressources singulières, stimulant le développement des capacités d’adaptation d’un golfeur.
Immuniser un golfeur des pensées parasites
Ce second volet donne une représentation de ce que peut être une séance d’hypnose.
Suite à cette description, figure le retour d’expérience de Laurent Mastoumec[1], enseignant de golf et membre PGA. Cette partie pratique est complétée par un exercice d’auto-hypnose pour travailler la concentration en autonomie.
Désireux de communiquer sur la pratique de l’hypnose, je suis allé à la rencontre de Laurent Mastoumec (LM), pro enseignant au golf de Barbaroux (83). J’avais déjà travaillé avec lui et un de ses joueurs, ce qui a facilité nos échanges. Nous sommes rapidement tombés d’accord sur un principe : nous ferions une priorité de son retour d’expérience.
Je me suis rendu au golf de Barbaroux le 30 mai 2020. La séance s’est déroulée dans des conditions confortables, à l’abri des regards et des bruits parasites, dans une pièce servant aux séminaires de l’école de golf. Mon intervention a duré près de trois heures, ce qui nous a permis d’aborder un point particulier : le but poursuivi était que LM puisse contenir ou repousser des pensées parasites susceptibles de perturber son habileté au moment de jouer son coup.
Suivent dans l’ordre :
- a. La situation de départ ;
- b. Le but de la séance ;
- c. La description de la séance ;
- d. Les photos commentées de la phase d’induction ;
- e. Les retours d’expérience de LM.
Nous avons pris des photos, elles correspondent à la phase d’induction de la séance d’hypnose, c’est à dire au moment où le golfeur a lâché prise en basculant dans l’hypnose.
a) La situation de départ
La répétition d’une configuration d’attente, entre deux coups, dans une posture peu mobile, facilite l’apparition de questionnements en lien avec des ruminations. Cet effet rend un joueur plus sensible aux sensations corporelles relevant du stress (ex : gorge serrée, fébrilité musculaire, sensations d’oppression). Quand ces sensations désagréables sont mal supportées, le stress est susceptible de déclencher la dispersion de l’attention du golfeur et par extension, une désautomatisation de son geste (ex : yips). La séance doit permettre à LM de bien gérer le temps de transition l’amenant à se positionner devant la balle, juste avant qu’il ne s’engage dans son geste pour la claquer.
b) But de la séance d’hypnose
Au cours d’une séance d’hypnose, apparaissent des caractéristiques comparables aux phénomènes physiologiques du sommeil : une diminution de la fréquence cardiaque, des réflexes tendineux, de l’excitabilité des muscles et une baisse de la température centrale. Ce relâchement corporel ne fait pas défaut à la conscience qui se maintient en éveil. Dans l’entre-deux, entre veille et sommeil, la détente psychique est favorable à une réorganisation d’habitudes de pensée en lien avec le comportement du golfeur dans l’action. Aussi, j’ai invité LM à distinguer ses priorités d’un ensemble d’éléments pouvant parasiter sa concentration au moment de jouer la balle.
c) Description de la séance d’hypnose
Durant la séance, j’ai encouragé LM à balayer attentivement un contexte de jeu avant son drive, en allant de ce qui est essentiel pour lui jusqu’aux éléments les plus périphériques. On pourrait aussi dire, en allant de ce qui est positif pour lui jusqu’aux éléments les plus déplaisants. En transe, la conscience couvre la globalité d’un contexte là où d’ordinaire le golfeur pourrait avoir tendance à délaisser ce qui fâche ou, au contraire, à y rester focalisé. L’intention est de ne pas rester bloqué sur un jugement positif ou négatif, mais de s’immerger dans un contexte, dans une forme de neutralité apaisante. Le fait d’être régulièrement baigné dans une action via la mémoire ou l’imagination, de s’y projeter d’une manière réaliste sans la juger, diminue la charge émotionnelle qui lui est attachée.
d) Déroulé de la phase d’induction
Les photos 1 à 5 montrent de quelle manière le golfeur, durant une dizaine de minutes, a focalisé son attention sur une balle de golf pour atteindre un état de « transe ». Un effet favorable à l’examen de son état d’esprit (dialogue interne) et de son comportement dans l’action.
Pendant cette phase d’induction, la balle et son bras ont été attirés inconsciemment au niveau de son front. Quand la balle a touché le front, le golfeur s’est tourné vers son intérieur, en se dissociant de l’environnement externe. Au début de l’expérience, le golfeur a déjà effectué une partie du chemin le menant dans l’hypnose. On remarque clairement la fixité de son regard et une forme de neutralité dans l’expression de son visage (photo 1). L’hypnose conversationnelle a précédé la phase d’induction et mis le golfeur dans les meilleures dispositions, pour qu’il puisse focaliser son attention sur la balle et se dissocier de l’environnement externe.
e) Retour d’expérience du pro golfeur
(PM pour préparateur mental, PRO-LM pour Laurent Mastoumecq)
PM : Laurent, quel était ton état d’esprit avant cette séance ?
PRO-LM : « Connaissant ton travail, j’ai abordé cette séance en confiance. Sachant clairement où tu voulais m’amener, je ne me suis pas posé de questions ».
PM : Quelles ont été tes premières impressions ?
PRO-LM : « J’ai pu, en suivant ta voix, rapidement et facilement passer les différentes étapes jusqu’à l’état de transe. Une fois derrière le miroir[2], j’ai ressenti une grande pesanteur dans mes appuis ainsi qu’une chaleur corporelle très agréable, un grand calme général. Mon esprit était focalisé essentiellement sur le travail à mener et aucune pensée parasite n’est venue me troubler. C’était comme si l’extérieur m’était indifférent, je n’ai pas eu à forcer pour y parvenir ».
PM : Quels sont les bénéfices de ce travail ?
PRO-LM : « J’ai été étonné, en posture assise, de ressentir des parties de mon corps sur lesquelles je n’ai pas l’habitude de porter une attention spécifique quand, debout, je me prépare à jouer. J’ai le sentiment que ce sont des repères supplémentaires (des sensations) pouvant faire évoluer mon jeu, en particulier au niveau de mes appuis. Après, lors du bilan de la séance, j’ai fait un point précis sur mes priorités dans la phase de transition quand je me positionne devant la balle, et dans la phase de réalisation de mon geste ».
PM : Tu peux m’en dire un peu plus sur ces deux phases ?
PRO-LM : « J’ai clairement vu que dans ma phase de transition, j’ai besoin de connaître parfaitement le contexte de jeu pour pouvoir choisir mon coup. Ça me permet d’évacuer les pensées négatives et d’assumer mon choix de jeu.
Dans la phase de réalisation, c’est à dire le coup, je dois respecter l’ensemble de ma routine en débutant par ma visée, puis mon organisation, pour trouver le relâchement nécessaire qui débouche sur ma clé de swing.
J’ai pu surtout déterminer précisément le moment où, dans ces deux temps (routine et coup), les pensées négatives pouvaient surgir et comment je pouvais y remédier ».
PM : Y a-t-il quelque chose de particulier que tu voudrais souligner ?
PRO-LM : « Oui, deux voies me sont apparues, l’une que je considère comme la bonne et une autre plus hasardeuse. Concernant cette dernière, très souvent je tente de surmonter mes doutes grâce à la technique, en essayant de respecter plusieurs points de repère dans mon swing. Cette habitude me mène à un swing guidé, sans rythme ni fluidité. Au final, mon coup est mauvais.
La voie qui me permet à la fois de positiver et de me diriger vers un bon coup, est celle qui m’amène à focaliser sur une position parfaitement équilibrée au finish, associée à l’image du vol de balle. Dans ces conditions, mon engagement physique est optimal car je respecte l’ensemble des relais articulaires et musculaires de mon corps.
PM : Ces éléments étaient-ils nouveaux ?
PRO-LM : « Non, je savais déjà tout ça, mais ce n’était pas aussi clair et structuré dans le déroulement de l’action. Et puis en fin de séance, j’ai imaginé débuter mon swing sans trop penser à comment le faire, me focalisant plus sur le but que sur les moyens pour y parvenir.
En résumé, cette première séance m’a permis de prendre conscience de nouvelles perceptions dans mon corps, j’ai ancré l’ensemble de mes priorités pour jouer mon coup, je sais à quel instant tout peut basculer, et ce que je peux faire pour agir si ça ne se passe pas comme je le souhaite. »
Une plus grande réactivité face à des circonstances perturbantes
Durant la séance d’hypnose, Laurent Mastoumecq a repensé son organisation, en posant un regard lucide sur ses points forts et sa vulnérabilité dans l’action.
En pratique, il bénéficie maintenant d’une plus grande réactivité face à des circonstances perturbantes quand il joue. A ce sujet, une de ses dernières remarques est intéressante : « dorénavant, je sais que je ne dois pas prêter attention au regard des autres avant de jouer». Le fait d’avoir pris cette décision en hypnose va lui permettre de la respecter spontanément, sans avoir à faire un effort supplémentaire en situation de jeu. Aussi, le temps d’hésitation attaché jusque-là au regard des autres est gommé.
Le cerveau n’est pas un muscle, son activité la plus naturelle va dans le sens de l’inhibition. C’est pourquoi la pensée de l’action qui préoccupe le joueur qui se met en place devant la balle, ne doit pas venir le perturber dans l’action de jouer. Si c’est le cas, l’intellectualisation des contraintes (doutes, peur, ruminations) peut élever son niveau de stress, déclencher la dispersion de son attention et parasiter la bonne réalisation de son geste en le désautomatisant[3].
Pour éviter cette escalade, l’hypnose entraîne un golfeur à prendre conscience des moments où il se laisse absorber par des pensées, alors que son attention devrait viser exclusivement l’environnement de jeu. En plus de lui permettre de revenir rapidement à l’ « ici et maintenant » dans les moments importants, cet entraînement renforce sa capacité à lâcher-prise juste ce qu’il faut dans une situation de forte tension.
Un entrainement d’auto-hypnose à pratiquer en autonomie.
Durée : entre 12 à 15 min.
Dans cet esprit, intégrer l’hypnose à la préparation mentale d’un golfeur, c’est travailler à la maîtrise des risques liés au stress et à la déconcentration.
L’objectif : il vise le maintien de la concentration par la perception d’un objet neutre dans la conscience, l’exercice de cohérence cardiaque placé en phase 2 permet de rester focalisé sur le corps. On ne peut pas penser à deux choses en même temps, quand une personne vise sa respiration, elle ne pense à rien d’autre.
La posture : assise, choisissez une chaise plutôt qu’un fauteuil. Positionnez votre dos droit, les mains sont posées sur les cuisses.
Conseils pratiques : commencez par 4 à 8 mn d’exercice en intégrant les deux ou trois premières phases. Programmez par exemple le minuteur de votre « smartphone », vous n’aurez pas à vous détourner de la pratique pour vérifier le temps. Quand vous êtes à l’aise avec ces propositions, ajouter progressivement les phases 4 et 5. Si ça vous est possible, respirez par le nez pendant la durée de l’exercice.
Quand le placer ? 4 semaines avant un tournoi. Commencez par deux répétitions en semaine 1, puis un jour sur deux en semaines 2, puis tous les jours jusqu’à la veille du tournoi.
Phase 1 (1 à 2 min)
Choisissez de fixer un point situé à deux mètres de distance, à peine plus bas que la hauteur des yeux. Pendant que vous fixez ce point, prenez conscience de votre respiration sans essayer de la modifier. Dirigez votre attention sur le passage de l’air dans les narines, assez frais à l’inspiration et un peu plus tiède, plus réchauffé à l’expiration.
Phase 2 (2 à 3 min)
Synchronisez ensuite votre rythme respiratoire, cinq secondes à l’inspiration et autant à l’expiration (cohérence cardiaque). Fixer le point plus intensément, diriger toute votre attention sur un détail à l’intérieur de ce point : une particularité, une nuance de couleur ou une aspérité.
Phase 3 (3 à 4 min)
Tout en maintenant votre attention sur le point, qui à chaque respiration devient de plus en clair alors que le reste du champ visuel est de plus en plus flou, vous synchronisez l’ouverture et la fermeture de vos yeux avec la respiration. Allongez, sans forcer, les temps d’inspiration (7 à 10 secondes) et d’expiration (7 à 10 secondes), respirez profondément et calmement. Les yeux se ferment à l’inspiration, comme aspirés, alors qu’ils sont mi-clos à l’expiration, le point devenant également de plus en plus flou. La répétition de ce mouvement fait que vous vous sentez de mieux en mieux les yeux fermés.
Phase 4 (4 à 5 min)
Les yeux se ferment pour le reste de l’exercice. Imaginez l’arrivée d’un objet sur votre écran mental. Il doit être d’une taille raisonnable et ne pas avoir de signification particulière, c’est un objet neutre. Dirigez votre attention sur la forme de cet objet, sa texture, attardez-vous sur sa couleur. Prenez le temps de le contempler, utilisez l’ensemble de vos sens pour vivre la présence de l’objet dans la conscience. Vous pouvez imaginer, par exemple, que vous faites l’expérience du toucher : sentez la matière sous la pulpe de vos doigts, la différence thermique entre l’objet et la peau, vivez sa présence dans votre conscience.
Phase 5 (2 min)
Laissez repartir l’objet comme il est venu, respirez un peu plus énergiquement.
Allongez l’inspiration pour retrouver le tonus musculaire qui était le vôtre avant le début de cette expérience, bougez les jambes, pliez et relâchez les bras puis ouvrez les yeux.
Laurent Favarel
Contact : 06 13 08 86 28
https://www.linkedin.com/in/laurentfavarel/
[1] https://www.pgafrance.org/site-pro/mastoumecq-laurent/
[2] Métaphore utilisé au cours de la séance d’hypnose
[3] Yips