Un sourire fat lui fendant la figure, les yeux pétillants d’un orgueil mal rentré, la bouteille de Moët à portée de sa flûte, entouré, choyé, voilà le héros qu’il a toujours rêvé d’être depuis qu’on lui a mis un club en mains pour taper dans cette capricieuse balle blanche. Il l’a enfin son jour de gloire.
Trou-en-un, cette arlésienne du golf
Non, il ne vient pas d’enlever le Masters, encore moins la médaille mensuelle de son club. Il a seulement réalisé l’impossible exploit de mettre sa balle dans le trou, là-bas, à quelques longues dizaines de mètres, d’un seul coup d’un seul. Le trou-en-un. “Hole-in-one”, dit-on en version originale. “The ace” en Yankee.
Tournée générale, tradition oblige. Il y a même des assurances pour couvrir les dégâts causés par ce hasard. Le hasard? Qu’est-ce que vient faire le hasard dans cette histoire? Aux Etats-Unis, d’un jour à l’autre, ce ne sont pas moins de mille trous-en-un qui sont signés par des golfeurs de tout calibre. Alors, pourquoi pas vous ou moi? Je vous le demande.
Aces à gogo
Voyez un certain Jimmy Pollock, habitué de Colina Park aux environs de San Diego en Californie. Il en a signé 322 au long de ses parcours et le dernier à 82 ans. Cette longévité n’explique pas tout. Et le hasard non plus s’il en a entré autant, tout en n’étant qu’un simple golfeur lambda. C’est en forgeant qu’on devient…
Alors, qu’est-ce qu’il nous a fait ce brave Pollock. En 1951, à l’ouverture de Colina Park, il s’y est abonné comme plein d’enfants auxquels ce golf géré par Pro Kids est d’abord destiné. Et pour cause, le par 54 de 2100 mètres étant à leur mesure. Comptez bien. Cela fait dix-huit pars 3 de distance plutôt courte, avec cent mètres pour le plus long.
Répétitif
En y jouant souvent, le trou-en-un y devient donc aussi naturel qu’un bogey dans votre club. A 60 ou 70 mètres d’une cible de 10,8 centimètres de diamètre, il y a mathématiquement autant de chances d’y faire tomber une balle que de la mettre à côté, en jouant correctement. Et quand cela devient répétitif, faites les comptes vous-même.
Il n’y a pas un seul jour où ce club n’inscrive à la « National Hole-in-One Society » l’auteur de ce qui, chez nous, reste l’arlésienne et, là-bas, devient une affligeante banalité. Chacun des habitués de Colina Park en compte au moins cent à son actif, selon une comptabilité tenue en lettres d’or à l’entrée.
La facture
Par opposition, je vais faire des jaloux en annonçant les quatre « aces » de mon palmarès-bonheur au bout d’un demi-siècle de golf.
Comparés à ceux de Pollock, si cela fait riquiqui, c’est une véritable fortune à côté du pauvre bagage présenté par nombre des plus grands golfeurs de France, de Suisse ou de Navarre, qui n’ont jamais connu ce bonheur, ou plutôt cette situation qui amène l’acteur principal, soit à payer une tournée générale au club-house, soit à prétexter un rendez-vous urgent pour ne revenir au vestiaire qu’au moment où seul l’aspirateur fait encore du bruit.
Vécu, mais pas vu
Croyez-moi, vous qui êtes à la recherche de ce Graal, le bonheur ne peut être plein et vrai que lorsqu’on voit sa balle disparaître dans le trou, surtout si, au passage, elle est passée par deux arbres ou un bunker sur un top malheureux, ce qui arrive plus souvent qu’on ne le pense.
Quatre « aces » vous disais-je donc, témoins présents bien sûr. Le premier au No 7 d’Ascona en Suisse. Le trou est caché par une butte. On a cherché la balle partout, avant de la trouver là où personne ne l’aurait imaginé.
Le second à Crans s/Sierre, sur le No 8. Rien vu non plus, n’ayant pas mes lunettes, mais bien entendu, le commentaire “live” assuré par l’ami Angel Gallardo. Cela me vaudra une jolie montre offerte par le club. Un autre au No 2 du Domaine Impérial au bord du Lac Léman, lunettes cette fois à leur place, mais les yeux regardant déjà ailleurs tant le coup de golf était déplorable, seuls les rires de mes partenaires et les tapes dans le dos m’informant de cet eagle si rare.
Qu’elle est bonne cette balle!
Des “aces” donc, mais sans ce bonheur total seulement ressenti lorsqu’on vit l’activité de la balle d’un bout à l’autre, une joie enfin éprouvée, encore à froid, sur l’intimidant et rocailleux No 3 de Monte Mayor, l’extravagant par 70 (6150 m.) près de Marbella (aujourd’hui fermé).
Ravin à gauche. Bunker à droite. Drapeau dans un coin sur un promontoire cerné de roches et d’arbres. Après lecture du “stroke saver”et le bon choix du club, on s’aligne et on “rentre” dans cette balle. Le coup semble quasiment parfait.
A 170 mètres du trou, le joueur a le temps de rattraper des yeux sa balle, la tête à peine relevée. Dès lors, ils font l’aller-retour entre le drapeau et la balle, la balle et le drapeau pendant une poignée de secondes qui frisent l’éternité. Elle est bonne cette balle. Parfaite…
Pitche le green, roule, s’incurve depuis la droite vers le trou. Le coeur bat plus vite. Wow, elle n’est pas loin et, avant même d’en être sûr, on sait. Cloc-cloc-cloc, célèbre-t-elle en touchant le fond, en stéréo avec le battement d’un cœur devenu incontrôlable, toute la séquence repassant dès lors sans cesse entre les deux oreilles du joueur les bras levés au ciel.
Fais-en autant Bryson!
Voilà un simple et vrai bonheur qui, hors tournoi, ne s’inscrira jamais en lettres d’or sur le panneau d’entrée du club et que ne connaît toujours pas Bryson DeChambeau… Et d’ailleurs, qu’en ferait-il?