Le bon golfeur doit être adroit, souple, résistant, calme et bien doté entre les oreilles pour se remémorer ses parcours au détail près.
Au Masters d’Augusta en 1968, Roberto de Vicenzo venait de rendre la carte gagnante du tournoi. Erreur d’inattention ou trou de mémoire, le champion argentin la signant les yeux fermés, ne vit pas le 5 inscrit à la place du 4 par Bob Goalby qui héritait ainsi de la fameuse veste verte du vainqueur.
Voilà l’exception, seulement rencontrée aux quatre coins du monde du golf quelques fois dans l’année, parce que le golfeur a développé, en même temps que son swing, une sacrée faculté à se rappeler tous les détails de son parcours du jour ou de sa carte au Trophée “Machin-Chose” du début de saison.
C’est simple. Dans la tête, le golfeur a un laptop et le logiciel qui va avec. Donc, à la sortie du parcours, au moment où vous avez vraiment besoin d’une bonne bière et d’un moment de détente, soyez impoli et oubliez le «Et comment as-tu joué aujourd’hui?». Même si vous êtes en fonction dans une salle de presse devant Rory McIlroy.
Pour la statistique
Remarquez, il y aura toujours quelqu’un d’autre pour la poser cette question, mais au moins vous aurez votre conscience pour vous. Rory, déjà blasé à son jeune âge (vous savez, tous ces chèques aux chiffres obscènes…), espère limiter les dégâts: «Les birdies seulement» , dit-il.
Non, non, le confrère veut tout savoir, tout connaître, trou-par-trou. Mais qu’est-ce qu’il va en faire de ces 66 coups, le confrère?
Aux Etats-Unis, où tout est disséqué, on peut comprendre que les statisticiens aient besoin d’être alimentés. Mais à l’interclubs Auvergne-Rhône-Alpes ou dans votre partie aussi dominicale qu’amicale et ce 83 net, handicap déduit…
Besoin de partager
Bon, la question “comment” vous ayant échappé au bar, l’interrogé ravi branche son circuit, ajuste ses neurones et lance: «Au 1, mon drive a fait 207 mètres, légèrement en fade. J’ai retrouvé ma balle à deux doigts d’un papier de bonbon rose qui s’est envolé vers le sud-ouest au moment où mon fer 8 a touché la balle pour l’envoyer à 133 cm du trou où j’ai signé un birdie net. Au 2, mon swing parfait a été contrarié par un coup de vent force 4 déviant la tête de mon bois 3 d’un demi-centimètre vers l’intérieur du plan de swing. Et ma balle a fini dans les palétuviers de droite. De là, mon fer 6 en draw est resté trop court. Du bunker où ma balle reposait dans une trace de FootJoy, j’ai fini au bord du green d’où je suis sorti sur un bogey. C’est le 24ème que j’y réalise depuis que le trou a été refait il y a 3 ans» …
Rendez-vous urgent
Vous êtes encore là ? Bon.
Faut dire que le joueur, outre la faculté de ne parler qu’en “golfing” (langue hermétique renvoyant le béotien à ses chères études), vit dans un mensonge perpétuel, s’inventant mille excuses pour expliquer le mauvais coup qu’il vient de faire.
Ce qui n’est pas pour raccourcir l’histoire. Quand vous êtes assis au bar de votre club, entre le 1ère série qui a failli bien jouer et Madame “Dufnul” qui fait le cent pas entre son siège et le tableau des scores pour savoir si elle reste toujours 5ème, on n’est pas bien loin de la vérité.
«Et au 18 (on a bien fait de sortir une seconde), je savais que Grouniard avait enquillé son approche, après avoir retrouvé sa balle près du gros spectateur au pantalon couleur olive. A 87 mètres du trou, j’ai tapé un sandwedge avec trop de backspin, me laissant encore 4,52 mètres pour le par. Mon 1er putt a rasé le trou, mon caddie toussant au moment où le vol Milan-Genève passait avec trois minutes d’avance sur l’horaire» …
Un brin exagéré, quoique. Le mieux, dans ce cas, est de prétexter un rendez-vous urgent. Mais le golfeur ne peut pas faire çà.
Pas tellement par politesse, mais parce que (grand fourbe qu’il est), il a aussi une histoire à placer. Et tiens, puisque vous êtes encore là, savez-vous ce qui m’est arrivé hier au 12? Vous voyez le 12? Vous savez celui qui dog-leg à droite. J’ai pris un hybride 4 et…