Une chronique de Kristel Mourgue d’Algue
Kristel Mourgue d’Algue est une ancienne joueuse du Circuit Européen qu’elle a rejoint après avoir emporté le titre prestigieux de championne universitaire américaine : elle est aujourd’hui co-éditrice du Guide Rolex des «1000 Meilleurs Golfs du Monde» et copropriétaire du Grand Saint Émilionnais Golf Club. Et ambassadrice des Hôtels Beachcomber.
Les plus grands experts de ce sport s’attendaient à tout mais surement pas à une semaine aussi fantastique en Australie.
La Presidents Cup qui vient de se terminer par la victoire 16 à 14 des Américains sur l’équipe internationale disposa de tous les ingrédients pour faire de ce tournoi habituellement soporifique, un des plus magiques de l’année, et peut être de l’histoire…
En 1994, Tim Finchem, l’ancien responsable du PGA Tour, créa la première édition de ce match biennal entre les Etats-Unis et une équipe composée de joueurs internationaux (hors sélection en Ryder Cup). En douze affrontements, cette dernière ne réussit à gagner et à égaliser qu’une seule fois, en 1998 (20,5 à 11,5) et en 2003. Autant dire que l’engouement n’était pas au rendez-vous jeudi dernier, pour cette première journée de compétition. Et pourtant l’après-midi même, à l’issue des quatre-balles, le ton était donné : les États-Unis étaient menés 4-1 ! Il en fut de même les jours suivants et le samedi soir le score affiché était de 10 à 8, toujours en faveur des Internationaux à la veille des 12 simples…
Le bataillon international, emmené pour la première fois par le Sud-Africain Ernie Els (50 ans, quadruple lauréat en Majeurs) et représentant neuf pays et cinq continents, comptait dans ses rangs un record de sept rookies ! Le Chilien de 21 printemps, Joaquín Niemann et le Mexicain Abraham Ancer, 28 ans, jouèrent avec un brio qui traduit le niveau du golf mondial actuel. Quant au Sud-Coréen de 21 ans, le flegmatique et souriant, Sungjae Im (consécutivement « Player of the year » sur le Korn Ferry Tour puis « Rookie of the year » sur le PGA Tour cette année !), il ne fit qu’une bouchée (4&3) du vainqueur de l’US Open de juin dernier, Gary Woodland. Seul le Chinois Haotong Li, 24 ans, hermétique aux conseils précieux de son capitaine, ne put remporter aucun des deux points qui lui étaient confiés. Sa déroute en simple (4&3) contre Dustin Johnson ramena à égalité les deux équipes le dimanche. Point crucial psychologiquement pour les Etats-Unis, menés depuis trois jours et qui demeurent supérieures, comme en témoigne l’épreuve suprême des simples. Conscient de cet avantage, le Zimbabwéen, Nick Price, capitaine à trois reprises, avait déjà réduit le nombre de parties de 34 à 30 en 2015 afin de tenter d’accroitre les chances de son escouade.
Néanmoins, galvanisé par les conséquences d’un événement malheureux aux Bahamas la semaine précédente, puis le renvoi forcé de son demi-frère et caddie après une altercation avec un membre du public, « Captain America », Patrick Reed, démontra une fois de plus sa passion pour le match play. Trois birdies de suite pour démarrer lui permirent de serrer la main du Taïwanais de 28 ans, C.T. Pan, au trou numéro 16. Une forme de rédemption…
La journée s’enchaina au bénéfice des Américains. Puis à la faveur de la 11ème rencontre, le destin fut scellé. Transporté par son capitaine et malgré une année éprouvante, le rouleau compresseur Américain, Matt Kuchar, 41 ans, rentra un putt d’1m50 au 17 pour assurer un match nul et un demi-point décisif, face au Sud-Africain de 37 ans Louis Oosthuizen.
Tiger Woods, humble et ému aux larmes, a rendu hommage à ses « coéquipiers qui sont tous allés chercher les points nécessaires à la victoire » (Golf Digest, 15 décembre 2019). Toutefois selon Matt Kuchar, « nous disposions des meilleurs golfeurs mondiaux mais quand Tiger parlait, nous écoutions tous » (New York Times, 15 décembre 2019).
La défaite semble tout autant difficile à accepter pour Ernie Els qu’à titre personnel, Tiger lui barra la route dans quatre Majeurs durant sa carrière. Voilà une occasion qui s’avérait inespérée de prendre sa revanche d’autant plus que le Royal Melbourne Golf Club tint lieu de l’unique succès des internationaux en 1998 !
Évidemment s’il avait perdu, TW aurait essuyé moult critiques sur son capitanat, à commencer par son auto sélection. Mais quelle intelligence une fois encore ! Leader incontesté par son jeu (trois victoires sur trois), il sut s’économiser le samedi pour gagner le premier face à face du lendemain; le plus important pour un capitaine-joueur afin d’insuffler une dynamique positive. Sept birdies en 16 trous suffirent pour congédier le jeune mexicain, Abe Ancer. Concentré sur l’unique objectif qui compte pour cet athlète hors du commun, il retira sa casquette pour aller remercier son adversaire avant même que la balle ne soit tombée dans le trou final ! Il peut désormais se prévaloir du plus éloquent palmarès de cette épreuve avec le résultat impressionnant de 27-15-1 (nombre de victoires-défaites-matchs nuls) contre 26-16-13 pour son compatriote Phil Mickelson. Au-delà de son propre jeu, le vainqueur du Masters réussit à fédérer 11 joueurs d’horizons et de personnalités différents. Attendu au tournant après les Bahamas, il évacua le « problème Reed » dès son arrivée sur le sol australien en déclarant lors de la conférence de presse : « Pat est un chic type » ; point à la ligne ! Jusqu’au bout il crut en lui, le sachant exalté par le match play et il eut raison…
Les golfeurs du monde entier ne pouvaient espérer plus belle arène pour cette compétition passionnante. Le Royal Melbourne Golf Club situé dans l’état de Victoria fait partie des plus beaux parcours de la planète (le tracé « West » plus précisément, est classé septième parmi les 100 Meilleurs Golfs du Monde de Golf Magazine USA) et recourt depuis huit ans au virtuose américain Tom Doak pour préserver son esprit originel. Chef d’œuvre de l’architecte écossais Alister MacKenzie en 1931, auteur également d’Augusta National en Géorgie ou encore de Cypress Point en Californie, il bénéficie du sous-sol sablonneux idéal de la « Melbourne sandbelt »*1. Le jeu se veut ainsi ferme et rapide. En outre, avec 6 442 mètres pour le tracé composite (12 trous du « West course » et six de « l’East course »), la longueur ne revêt ici que peu d’importance ; place à la stratégie et à la créativité avec des par 4 courts, des par 3 exigeants, des greens et des contours démoniaques. « Big Cat »*2 ne pouvait rêver mieux… il surclassa l’ensemble du champ alors qu’il affiche une distance à peine dans la moyenne. Ingénieux, capable de coups inenvisageables pour les autres, il démontra une maitrise totale de son art. Une fois encore, la preuve qu’un parcours ferme et rapide révèle les meilleurs joueurs du monde ; que souhaiter de plus !
Retransmise dans 223 pays, traduits dans 23 langues différentes et aptes à lever des millions d’euros pour les œuvres caritatives (de US$750,000 en 1994, l’enveloppe de 2019 devrait s’élever à plus de US$10 millions), cette édition rencontra un succès entier.
Mais par-delà cette semaine trépidante, il s’agit une nouvelle fois de la démonstration de l’attrait extraordinaire de ce sport à nul autre pareil.
Pour nous, golfeurs, le plus précieux des cadeaux de Noël !
*1 Ceinture de sable qui entoure la région sud-est de la ville de Melbourne
*2 Surnom de Tiger Woods