Golfeuse et psychanalyste, Sandrine Vialle-Lenoël a repris la plume pour nous aider à mieux imaginer ce que pourrait être la reprise de la pratique du golf cette semaine.
Une tribune passionnante qui nous ouvre les yeux sur une réalité que l’on croyait connaitre…
Nous ne jouerons plus de la même manière…
Il n’y avait qu’un virus couronné qui pouvait contraindre l’ensemble des golfeurs de la planète à s’arrêter de s’adonner à cette irrésistible passion.
Devant nos écrans confinés nous avons continué à travailler notre golf à travers des images, des discours, des interviews, des histoires drôles mettant en scène notre addiction à ce sport.
Nous avons joué pendant ce confinement à un autre jeu, collectif, consistant à se mettre à distance les uns des autres afin que ce virus ne passe plus de corps à corps. Notre distanciation physique n’a cependant pas entamé notre lien nous sommes restés liés socialement par notre identité de golfeur amateur ou professionnel.
Deux sphères en jeu
Après plusieurs semaines d’abstinence golfique, nous allons pouvoir enfin rejouer. Nous ne jouerons plus de la même manière pendant quelques semaines, probablement quelques mois, puisque vont s’introduire de nouveaux gestes dits barrières.
Nous allons jouer au golf et en même temps, poursuivre notre jeu collectif, qui consiste à nous mobiliser contre un ennemi commun pour le mettre hors limite, ensemble. Une partie souterraine à l’intérieur de nos parties, où chacun se fera responsable de la santé des autres et de la sienne. Nous aurons deux sphères avec lesquelles nous allons jouer.
Une dont nous avons l’habitude, celle qui nous empoisonne la vie de manière supportable psychiquement, la balle que nous avons quelques difficultés à maîtriser, pas très obéissante même quand nous lui parlons, et l’autre qui mesure moins de 0,3 micromètre bien plus mortifère, mais finalement bien plus contrôlable sous condition de modifier nos gestes pulsionnels et automatiques.
Il ne sera peut-être pas facile de ne pas oublier cet invisible parmi nous, tant la tentation de retrouver notre golf d’avant va être immense, voire jouissive nous faisant oublier que nous ne pouvons pas, pour l’instant, jouer dans les mêmes conditions qu’avant l’arrivée de cet intrus.
Des indications sur pourquoi nous jouons au golf
Les préconisations en matière de protection vont modifier nos automatismes, perturber nos habitudes, pas seulement sur le parcours, mais aussi dans les lieux de rencontre du club, nos lieux d’échanges et de bavardage.
Ce qui va faire le plus obstacle, ce qui nous a le plus manqué, nous donnera des indications sur les raisons pour lesquelles nous jouons au golf, c’est une occasion de plus d’en comprendre un peu plus sur nous-mêmes, afin que ce temps sans golf et ce moment de reprise nous servent à poursuivre notre route golfique un peu plus éclairée.
Le désir de jouer dans un premier temps risque de l’emporter nous donnant l’impression, voire l’illusion que ce temps d’arrêt a été salutaire à notre golf, plus particulièrement à notre swing.
Nous allons pour la plupart d’entre nous être assez satisfaits de notre jeu, étant donné les circonstances, atténuant nos exigences. Nous jouerons mieux, à coups identiques, nous apprécierons à la hausse notre jeu. En réalité, pour ceux qui vont avoir cette sensation, il s’agit moins d’une performance étonnante que d’un surmoi un peu moins féroce.
Cette voix qui nous vient d’un Autre lointain et que nous avons fini par intérioriser depuis longtemps : baisser son index, gagner la compétition, être plus fort que les autres, ne jamais décevoir…
L’étau de ces injonctions a pu à notre insu se desserrer quelque peu. Nous jouerons mieux les prochains parcours et après le surmoi reviendra prendre sa place avec son lot d’exigences, sauf si nous en décidons autrement parce qu’enfin nous l’avons repéré.
Le drapeau comme cible : ne plus toucher le symbole
Notre regard a été contraint de buter trop souvent sur un mur. Se retrouver sur un parcours va sans doute être un peu vertigineux. Le regard s’est déshabitué à la profondeur de champ, regarder à nouveau loin, au-delà de quelques mètres, viser à nouveau une cible, s’accrocher au drapeau sera peut-être difficile.
Nous finirons par nous en approcher comme toujours avec plus ou moins de coups. Il ne faudra pas pour autant oublier de ne pas le toucher, ce drapeau qui nous indique notre destination. Ce ne sera pas facile pour certains même si nous avions commencé à nous habituer à jouer sans le retirer du trou.
Le drapeau semble déjà être un souci pour un certain nombre de golfeurs, parce que le drapeau n’est pas seulement cet objet inerte, c’est notre cible qui nous indique où se situe le trou et en permet une appréhension visuelle verticale.
Le toucher signifie que nous ne sommes soit plus très loin de l’objectif soit que nous l’ayons atteint. Plus qu’un repère visuel, il est aussi le symbole de là où la balle doit se retrouver trou par trou. La perte du toucher du drapeau ou du retrait afin de pouvoir rentrer le dernier putt va peut-être perturber certains joueurs.
Mis à la place de l’objet symbolique ou du fétiche, nous devrons faire avec la logique du virus, plus que nos impératifs ou préférences. Ce que nous faisions par habitude sans en comprendre le véritable sens, contraint à faire autrement, peut devenir un obstacle au jeu.
La sensation de notre corps, libéré, dans l’espace
Même si nous avons gardé pendant cette période de confinement une activité physique, marche, jogging, gymnastique, rien est comparable au corps du golfeur exécutant un swing. Le corps revenu au practice ou au départ Tee N°1, risque de nous paraître un peu étranger. La façon dont nous commandons notre geste, le poids des clubs, va nous confronter à un mouvement dans l’espace que nous espérons ne pas avoir oublié, après ces quelques semaines d’apesanteur.
Ressentir son corps dans le swing risque d’être une expérience, soit avec l’espoir que ce temps a fait du bien, soit avec la crainte de la perte de son swing.
Les automatismes reviennent souvent à la même place, la répétition est souvent plus facile que l’innovation ou l’oubli. Le swing va revenir, parce que nous pouvons compter sur un principe inconscient celui de l’automatisme de répétition. Il en est de même pour nos symptômes. Même si nos entraînements vont être limités et que la perspective de la compétition ne pourra pas nous servir d’appui, les dates de reprises étant encore incertaines pour tous les golfeurs.
Ce temps de confinement, puis cette reprise est l’occasion, a bien y regarder, d’éclairer ce qu’est le golf pour nous, ce que nous y cherchons, ce que nous y trouvons. Ce qui nous a le plus manqué sera une réponse dont il faudra se souvenir.
Pour l’instant savourons la reprise. Dans quelques heures ou quelques jours, nous allons retrouver la sensation de notre corps dans l’espace, le chemin du club, la sensation de frappe, l’esthétique du swing, notre corps libéré… sous caution de nos nouvelles exigences golfiques.
Sandrine Vialle-Lenoël, psychanalyste, psychosociologue et golfeuse
DESS Psychologie sociale appliquée, Université Paris VII DEA Psychanalyse concepts et cliniques, Université Paris VIII
Membre du Golf de Saint-Germain en Laye et Golf d’Hossegor
Dessin de Romain Lecocq