Conversation entre deux septuagénaires, fous de golf et qui ont bien du mal à trouver le chemin de la sagesse, jusque dans leur carte de score. Et pourtant, « oublier la compétition » n’est pas un vilain mot, reste le plaisir avant tout.
À condition que les parcours d’aujourd’hui s’adaptent mieux aux seniors en particulier. Avec la création de nouveaux tees par exemple !
Par Ivan Morris
Après une longue absence, Jeff retrouve son ami Roger :
Jeff : Cela fait bien longtemps qu’on ne s’est vu : comment vis-tu cette période si particulière de crise sanitaire ?
Roger : Très mal en vérité ! J’ai eu du mal à supporter. Au début, j’étais content qu’on puisse rejouer mais ma joie fut de courte durée. Toutes ces nouvelles règles et ces protocoles me fatiguent. Tout est compliqué.
On n’a plus le droit d’aller ici ou là, de faire çi ou ça, que ce soit sur le parcours ou, pire, dans le club-house. Obligation de porter un masque ici mais pas là, difficulté à trouver des horaires compatibles avec ses copains pour faire une partie ensemble. Si le golf perd son côté « fun », à quoi bon ?
Par ailleurs et bien que j’arrive à taper pas mal de bons coups, toucher des greens en régulation n’est vraiment pas une sinécure. Je rentre la plupart du temps déçu de ma partie. Aujourd’hui, presque tous les parcours que je joue me paraissent trop longs. J’ai l’impression de « ramer » comme jamais. La tentation est grande de suivre le conseil : « et si tu laissais tomber quelque temps le golf, au moins pour l’hiver, avant de t’y remettre le printemps venu ».
Jeff : Mais, ça va pas ? En agissant ainsi, tu ne fais que raccourcir la distance qui nous mène tous au cimetière.
Roger : Le temps emporte tout au final. On peut le regretter mais c’est inéluctable. Je joue depuis 60 ans, j’ai eu la chance d’être 1 de handicap – ou mieux encore- la moitié du temps. Pourquoi devrais-je me plaindre ? Aujourd’hui, mon but est de passer un bon moment à marcher en plein air, avec la satisfaction d’entretenir mon corps, enfin ce qu’il en reste. Car, en ce qui me concerne, passer le cap des 70 ans entraîne, qu’on le veuille ou non, une perte considérable de la masse musculaire. J’ai bien essayé de lutter contre cela, j’ai tenté le Pilates, le Yoga ou même le fitness mais rien n’y fait, rien n’arrête la marche du temps . Malgré ma mentalité de compétiteur, les fairways sont de plus en plus difficiles à atteindre, même des boules bleues !
Jeff : Dis donc, tu n’es pas très optimiste ! Pourquoi es-tu si négatif ?
Roger : Je suis simplement réaliste. Et puis j’ai commis une lourde erreur. J’ai voulu me confronter à moi-même en prenant une leçon avec le « TrackMan » pour m’apercevoir que ma vitesse de swing ne dépassait pas les 80 miles ! Je dois dire que ça m’a totalement dévasté : j’ai eu l’impression d’être au bord de la mort. Oui, oui, je n’exagère pas ! La simple idée de me dire que je ne pourrais plus toucher un par 4 en 2 ou un par 5 en 3 coups, de ne pouvoir espérer que 5 ou 6 pars au maximum pour scorer au mieux +12. Pas simple.
Jeff : Mais tout ça, permets moi de te le dire, c’est de la connerie ! Oublie ton passé de très bon joueur, change de logiciel, joue différemment, en partant par exemple des boules avancées ! Tu dois mettre ta fierté de côté et repartir de l’avant. Ignore désormais le mot « compétition », tu n’as plus rien à prouver.
Tu as raison sur un point : les parcours n’ont pas assez de tees différents. Au lieu de boules blanches, rouges, bleues, ne serait-il pas préférable de redimensionner les parcours ? Chacun avec des tees adéquats et de les mesurer de 4 500 m pour les jeunes et les seniors jusqu’à 6 500 et plus pour les pros.
Roger : Génial ! Je crois que ce système s’applique déjà en Suède et ça marche !
Jeff : Il ne faut jamais oublier que le golf doit être pratiqué par des profils aussi différents qu’un jeune garçon de 8 ans jusqu’à un vieux de 80 ans ou presque, comme moi. Quel que soit votre âge, le plaisir doit rester le même, celui de taper un coup en plein milieu de la face de club, de se retrouver en pleine nature, gratter ici ou là un peu de distance. Il faut oublier les fantasmes sur la vitesse de club ou la notion même de compétition ! Simplement être là, bien vivant.
Terminées les données scientifiques, les espoirs impossibles, les illusions de jeunesse. Un mauvais jour, un mauvais score, ça s’oublie. Demain sera meilleur ! Le score ne doit plus être la priorité. Seul le jeu compte !
Roger : C’est sûr. J’ai joué un parcours, le Castle à Lahinch en Irlande. Il ne fait guère que 5 500 m des boules blanches mais il y a un tel mix de trous longs et courts, avec prime à la précision, que j’ai vraiment beaucoup apprécié.
Jeff : En réalité, qu’importe que le gamin joue un fer 8 sur un par 3 de 130 m quand, toi, tu dois sortir le bois 5. Plutôt que de te plaindre, il faut admettre la réalité et faire avec. Mieux, il faut en tirer parti et se dire que la distance qu’on perd dans le jeu long peut tout à fait être compensée par le petit jeu.
Avec la fierté de pouvoir continuer à rivaliser, de se dire qu’être bon dans le petit jeu constitue une véritable force et non une faiblesse. On peut être bon au golf sans être un frappeur hors pair.
Roger : Mais c’est vrai qu’il est toujours dur d’accepter d’adapter son jeu
Jeff : Je dirais, moi, qu’à 75 ans, il faut pouvoir apprécier le simple fait d’être là, sur un parcours, en bonne santé et de pouvoir atteindre un green en régulation. On ne mesure pas la chance qu’on a !
Roger : Je m’étais préparé à cette conversation. Je me disais qu’il y avait peut-être des solutions et j’ai déniché une formule qui permet de définir la longueur d’un parcours en tenant compte des variables que sont l’âge et le niveau de jeu.
Il suffit de mesurer votre longueur moyenne au fer 7, club intermédiaire, et multiplier par 18. A cela, ajoutez le nombre de par 4 et 5 où vous utilisez le driver avec la distance raisonnable que vous atteignez, vous additionnez les deux chiffres, par exemple: 18 x 134 = 2 412 m et 14 x 212 = 2 968 m … Ce qui fait un total de : 5 380 m. Ce calcul qui pondère permettrait à n’importe quel joueur, quel que soit son âge et son niveau, de se confronter à d’autres.
J’adorerais, en supposant que je joue ce parcours de 5 380m si Rory (McIlroy), lui, se confronterait à un parcours de 7 000m, je pourrais même le battre, génial non ?
Jeff : Avec ou sans handicap ?
Roger : Sans handicap évidemment.
Mais une chose me taraude : auraient t-on Rory et moi assez d’humilité – surtout lui ! – pour accepter cela ? Mais ça, c’est une autre histoire !